Retour à la RALM Revue d'Art et de Littérature, Musique - Espaces d'auteurs [Forum] [Contact e-mail]
  
8 - Les tripes
Navigation
[E-mail]
 Article publié le 4 décembre 2022.

oOo

Jean de Nivelle a trois chapeaux…. Jean de Nivelle a trois chapeaux… Le roi n’en a pas de si beaux ! Le roi n’en a pas de si beaux ! Mais il n’a pas plus de cervelle qu’une grive, une bartavelle. Ah ! Ah ! Ah ! Oui, vraiment… Je parodie, je pastiche…Jean de Nivelle a trois garçons et trois filles… Dans ta chanson ? Jean de Nivelle a trois garçons… Ah ! Ah ! Ah ! Oui, vraiment, Jean de Nivelle a cinq enfants. Je contrefais, j’imite… Jean de Nivelle a trois clébards qui traînent, la nuit, dans les bars… . Ah ! Ah ! Ah ! Oui, vraiment… Je trouve. A Nivelles, au restaurant des Alliés, j’ai pleuré devant une tarte al djote. C’est une spécialité de la Maison depuis 1918, m’a affirmé le patron belge. J’ai demandé la recette… Farine, œufs, levure… La pâte ? Le fromage fermenté au lait de vache, la bètchéye… La plante potagère, les bettes, les jottes en patois… Persil, sel, poivre… La tarte se fait machinalement. On ne plaint pas le beurre. Le kiosque de la Grand-Place fanfarait une romance à soldats. Là-haut, le bonhomme qui frappe allègrement le bronze, qui se tape la cloche de Gertrude… C’est Jean de Nivelles ! Curieux. J’ai dit : curieux ? Comme c’est bizarre ! J’ai mis mon corps et mon âme en bière. Auprès de ma blonde,/Qu’il fait bon, fait bon, fait bon./Auprès de ma blonde,/Qu’il fait bon dormir ! La Chanson nous sépare, nous rassemble, nous exile… Elle t’arrache le cœur du ventre. Elle te le remet au ventre, le cœur ! Des langes au linceul. Elle est dans nos joies, dans nos peines… Je l’entends à tue-tête dans les grands moments de la rue, a capella dans mes idées noires, à cloche-pied dans mes jeux, poco piano dans mes martyres amoureux… Je tripatouille sa culasse et ses grenades sur l’air des lampions, je crapahute dans ses batailles de fleurs, je m’enlumine dans ses retraites aux flambeaux… Je la gringotte, je la fredonne, je la siffle, je l’entonne… Je la prise, je la déprise, je l’embastille, je la déprisonne… Je la dégueunille, je la sape à mort ! Parole ! Parole ! C’est le chien de Jean de Nivelle/Qui mord sous l’œil même du Guet !/Le chat de la mère Michel/François-les-bas-bleus s’en égaie. Des vers de Verlaine ! Une traîtresse voix bien souvent vous appelle ;/Ne vous pressez donc nullement :/Ce n’était pas un sot, non, non, et croyez-m’en,/Que le chien de Jean de Nivelle. Jean de… Jean de La Fontaine. Nivelle et son chien ! Léautaud et ses chats ! Desnos et sa fourmi de dix-huit mètres ! Tu vois que ça existe. Les camps. Terezin, 1945. Tchécoslovaquie. Nivelle et son chien par-ci, Nivelle et son chien par-là. Nivelle et son chien… Avec ou sans particule nobiliaire, avec ou sans collier. J’ai mon fil à plomb et ma nivelle à bulle. Redresseur de torts ? Porteur de rogatons ? Compagnon de la mate ? Métromane ? Au pied du mur, je passe du pré de Paul Fort dans la lande sauvage de Conan Doyle, de la pinède de Pagnol aux marines de Turner, des plages noires du débarquement de 1944 aux plages rouges de Firi Ammos, des grèves de 1936 à Wintzenheim au salon de l’automobile de Genève, du salon de Madame de Staël aux chambres d’Aragon, des oubliettes de Blaye aux feux de la rampe de l’escalier saint de Campli, des fresques de Vasari aux frasques d’Erato, des coups d’épée dans l’au-delà aux coups de canif dans le Contrat social, des jungles parisiennes du douanier Henri Rousseau aux guinguettes de la Marne, des Sylves de Stace aux sonnets de Nerval, du Moyen Age au dix-neuvième siècle, de la Renaissance à l’Antiquité, de la casa Malaparte à la niche de Diogène, de la valse des Strauss au flamenco de Belén Maya, du rock’n’roll du capitaine Alton Glenn Miller à la barcarolle d’André Campra, de Pampelune à Pampelonne, du tintamarre de Landerneau aux vignobles de Landau, de Goslar à Canossa, du moulin de Daudet au moulin de Laffaux… Je change de prénom comme de camisole. Gérard… Rue Basse-de-la-Vieille-Lanterne en 1855. Le 26 janvier, à l’aube… Sylvie ! Sylvie ! Victor, Roméo… Juliette ! Juliette ! Paul… Mathilde ! Arthur ! Emile, Charles… Jeanne ! Jeanne ! Guillaume… Marie ! Marie ! Annie ! Louise ! Qui es-tu, trimardesse ? Sur le rade, je suis la Marseillaise. Les enfants de la Patrie, je te les alpague, je te les saigne, je te les roule dans un drapeau… À eux, j’y tiens comme aux pupilles de la Nation. Pour tuer le temps, je joue aux dés et aux cadavres exquis. Des talus ! Des talus… François Rude et Isidore Pils, mes deux fidèles souteneurs m’en racontent de bonnes. Des histoires tricolores ? De toutes les couleurs. Qu’un chant impur abreuve nos microsillons… Trêve ! Qui n’a pas vu mon chien n’a rien vu. Qui n’a pas vu mon chien dans un jeu de joncs, de jonques, de jonquilles ou dans les jeux de coquilles des colonnes tapageuses de l’imprimeur Morris ou dans les jeux de béquilles de 14-18 ou dans un jeu de quilles de la veuve Clicquot, même par le petit bout d’une lorgnette, n’a rien vu. Rien vu ! Le chien de Nivelle s’enfuit quand on l’appelle. La voix de son maître ! Tourne la manivelle. Plaisir d’amour ne dure qu’un moment,/Chagrin d’amour dure toute la vie. Tu la tournes, nom d’un chien d’ivrogne, cette putain de manivelle ? J’ai tout quitté pour l’ingrate Sylvie./Elle me quitte et… Tourne, je te dis ! Quel cabot ! Florian et Schwarzendorf, dit Martini. Une chanson du dix-huitième. L’arrondissement ? Siècle, bâtard ! Plaisir d’amour ne dure qu’un moment…D’après toi, pourquoi le patron est mordu de la patronne ? Heu ! Tu vas le savoir, canaille ! Parce qu’elle a du chien. Merci. Merci qui ? Merci, mon mâtin ! Sonnez les matines ! Sonnez les matines ! Je voulais dire… Je parle à qui, déjà ? A toi, à moi, à la cantonade, au chien de saint Rock, aux chiens du verdurier qui ne mangent pas de salade, mais qui empêchent les autres d’en manger, au toutou de la mémère, aux chiens hurlants de Scylla, à Orthos, le clébard à deux têtes de Géryon, au chien de mon fusil ? Aux chiens d’Elie, dans le champ de Naboth de Jizreel ? C’est Jézabel ! Raconte, j’ai un train à prendre. L’autre nuit, j’étais dans une ville… Mozart suivait l’enterrement d’Argos, le vieux chien d’Ulysse, mort sans l’avoir revu. Tu entends le Requiem ? La ville, c’est Ithaque ? Comment tu le sais ? Plus loin, les champs élysées aux trois quarts dépavés… Cerbère, ce monstre tricéphale, rongeait des os épars. Une lyre gisait… Une autre fois… Je suis dans ma Rosalie… Il pleut, il vente, il neige tant qu’il peut sur le Chemin des Dames. Un temps de chien, quoi. C’est le printemps ? Un signe. Je suis le général Nivelle. Robert Georges Nivelle. Montez, vous et votre dogue ! C’est un berger allemand. Une brave bête. Je compte sur l’artillerie, mais… Vous avez du feu ? Il tire deux cigarettes roulées de sa manche. Du bon pétun de Verdun. Vous vous chaussez chez Godillot ? C’est du robuste ! La bataille de l’Ourcq, l’Indochine, l’Algérie, la Chine… Ma mère était anglaise. Ce livre, qu’est-ce que c’est ?

Des mitrailleuses fauchaient le village. Des hommes s’effondraient pliés en deux, comme emportés par le poids de leur tête. Croix de bois…

Dès qu’il parlait, c’étaient des tranchées,

De barbelé, de veille, de macaroni, de barrage, de gaz, de tout ce cauchemar qu’il ne pouvait oublier. Croix de bois, croix de fer… Si je mens… L’enfer ! Roland Dorgelès sur sa machine à finir la guerre. Il est encore dans la banlieue parisienne de son enfance. Le tableau, Coucher de soleil sur l’Adriatique au Salon des indépendants de 1910, c’est lui. L’art du canular ! Un pinceau attaché à la queue d’un âne. Aliboron, le maître bâté, anagrammé, donne Boronali, le célèbre peintre inconnu au bataillon. L’art moderne ! Les fantassins… Quel barda ! Le règlement c’est le règlement. La couverture, la tente, les vivres, le bidon, les projectiles, le masque à gaz, les bengales, les pansements, les munitions… Le froid, la boue… Les chars ! Les obus ! La terre nue, calcinée… Des nids de mitrailleuses chantent ! Avril ! Avril ! Avril, ne te découvre pas d’un fil ! La grande fauchaison. Des semaines… Des semaines… La désobéissance ! Les mutins ! Adieu la vie, adieu l’amour,/Adieu toutes les femmes./C’est bien fini, c’est pour toujours./De cette guerre infâme./C’est à Craonne sur le plateau/Qu’on doit laisser sa peau… Pour la plupart, je suis un boucher. A la barbaque ! A la barbaque ! On entasse des milliers de morts sur ma conscience. Et les fusillés pour l’exemple de Pétain ? Et tous ces animaux enrôlés de force, tous ces animaux qui guettent, patrouillent, attaquent, transportent, tirent, renseignent… Les chevaux, les mulets, les ânes… Les chiens, les pigeons voyageurs… Les rats, les poux… Des tripes à la mode de Caen, de Bayonne, de Sedan… Les tripes d’Ajaccio avec cette seule devise : Napoléon ! Napoléon ! Des tripes à la poitevine, à la provençale, à la basquaise, à la sénégalaise… Les tripes à la mode du Chemin des Dames ! Des tripes en lanières reviennent dans la fonte. Des brancards de tripes ! Des rasades de vin blanc, de vin rouge, de cidre, de madère, de cognac, de calvados, de pastis… La course à l’échalote sous des pluies, dans des pluies… On s’occupe de nos oignons ? On nous les dore. Je graisse mes godasses à clous de girofle. Tiens-toi aux branches, me dis-je, aux branches de thym, pardi. Je me tresse des lauriers. Ici, on devient dur de la feuille. Des pelles de carottes ! On te les pèle. J’en ai plus que pour cinq heures dans ce chaudron ! Feu doux. J’assaisonne. Des musettes de pommes de discorde en quartiers. Ton casque, soldat Charlot ! Je t’en ressers ? Non, je n’ai plus le boyau de la rigolade. Les mauvais rêves ne finissent jamais. Regardez… Où vont ces deux jeunes filles, sac au dos ? Adelaïde et Victoire. Les pisseuses de Louis XV ? De Paris au château de Bove… Démoli par la Révolution… Réconstruit. Démoli par la Guerre… Reconstruit. Les deux Dames de France s’y rendent souvent. Depuis, bourlingueur, le chemin est praticable. Le peuple joue aux dames et aux petits chevaux. Nivelle et son chien, je les vis dans la locomotive de Zola, tu les vis dans le camion de Duras, il les vit dans la cage de Faraday, nous les vîmes avec Pirandello sur le chariot de Thespis, vous les vîtes dans le tramway de Tennessee Williams, ils les virent dans le bus de Queneau, ils les verront dans le char à bancs de Phébus musagète, on les aura vu, sur les bords de la Seine, sur le pont des Arts, sur le quai des Orfèvres… Jean ! Robert Georges ! il ne répond plus à ces prénoms. C’est la brouette de Pascal, cette chaise à deux roues, qu’il pousse ? Son chien ne le quitte pas d’une semelle. Voilà Nivelle haquetier ! Cocher ! Aurige ! Postillon ! Jaquemart ! Tourneur de cervelle ! Je retrouve mon couteau et mon latin de cuisine dans le grenier. Des tonnes de souvenirs ! L’homme à tête de chien et le chien à tête d’homme rongent le même os. L’homme sans muselière, le chien couronné. On l’a entendu aboyer à la lune tandis que son chien récitait du Goethe. Ce ne sont pas que des dires. Je suis Albert Wlodzimierz Apolinary de Waz-Kostrowicki. C’est déjà tout un poème, non ? Rome-Paris…1880-1918. 26 août-9 novembre. Le berceau, la tombe. Ces mots de tessons blancs et verts dessinent un cœur : mon cœur pareil à une flamme renversée. Sous le pont Mirabeau coule la Seine… Sous le pont Mirabeau coule la Seine… Un éclat… Ma tempe. René ! René ! Le ciel est étoilé par les obus des Boches/La forêt merveilleuse où je vis donne un bal/La mitrailleuse joue un air à triples-croches/Mais avez-vous le mot Eh ! oui le mot fatal/Aux créneaux Aux créneaux Laissez là les pioches… A la mémoire du plus ancien de mes camarades René Dalize mort au Champ d’Honneur le 7 mai 1917. Dans les ruines de l’abbaye de Vauclair, je pense à Guillaume, je suis Guillaume. J’ai cueilli ce brin de bruyère/L’automne est morte souviens-t’en/Nous ne nous verrons plus sur terre/Odeur du temps brin de bruyère/Et souviens-toi que je t’attends… J’étais dans ma tranchée, je lisais… J’étais dans le Mercure de France.

 

Robert VITTON, 2009

 

Un commentaire, une critique...?
modération a priori

Ce forum est modéré a priori : votre contribution n’apparaîtra qu’après avoir été validée par un administrateur du site.

Qui êtes-vous ?
Votre message

Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides. Servez-vous de la barre d'outils ci-dessous pour la mise en forme.

Ajouter un document

Retour à la RALM Revue d'Art et de Littérature, Musique - Espaces d'auteurs [Contact e-mail]
2004/2024 Revue d'art et de littérature, musique

publiée par Patrick Cintas - pcintas@ral-m.com - 06 62 37 88 76

Copyrights: - Le site: © Patrick CINTAS (webmaster). - Textes, images, musiques: © Les auteurs

 

- Dépôt légal: ISSN 2274-0457 -

- Hébergement: infomaniak.ch -