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Hypocrisies - Égoïsmes *
Julien Magloire VI

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 Article publié le 8 janvier 2023.

oOo

Fouinard enquêtait lui aussi. Il n’avait pas avalé la couleuvre que lui avait réservée l’administration hospitalière : la chute de Roger Russel dans son établissement. Que savait-il de mon hôte (je n’ose pas dire collaborateur) que j’étais en situation d’ignorer ? Vous avez raison de le souligner : j’ai été flic et, comme vous le dites si bien, il en restera toujours quelque chose. Je reconnais l’enquêteur aussi bien que le sujet à caution. Il n’est pas rare qu’un thérapeute s’entiche, d’une manière ou d’une autre, du patient qui déclenche en lui des sentiments ou des idées déjà en formation. De même la gardienne des orphelins finit par en adopter un. J’ai connu ça… mais ce n’est pas le sujet, n’est-ce pas ? Fouinard agissait d’abord par pure perversité : sa jalousie et son hypocrisie s’associaient presque savamment pour créer la psychopathie du personnage. Il n’est pas rare non plus d’observer cette aliénation chez celui que la société charge d’enfermer le malade mental jusqu’à sa guérison ou la fin de sa malheureuse existence de guignard. Fouinard travaillait à son propre roman. Il en était le personnage conducteur, alors que Roger Russel laissait la vedette à son protégé. Cependant, Fouinard travaillait seul. Et il était le seul spectateur des émanations de son roman. Vous pouviez vous approcher de lui d’aussi près que possible, jamais aucune odeur particulière ne venait titiller vos narines en expansion. Roger lui-même ne connaissait pas le moyen d’agir aussi facilement qu’en exigeant de Sally qu’elle se déchausse. L’odeur de Fouinard n’en était peut-être pas une, ce qui mettait à mal la théorie élaborée de longue date par mon coauteur. J’en éprouvais un certain malaise. La méthode de Roger (c’en était une) ne s’appliquait pas à tout le monde. Et si j’avais constaté sans doute ni suspicion qu’elle se vérifiait avec Sally, rien ne disait qu’elle pouvait devenir le moteur d’un roman que Julien était censé marquer de son odeur particulière. Vous comprenez ?

« Ah ! Oui… Chercos… Nous n’avons pas pris le temps de nous connaître mieux… Mais vous n’avez pas perdu de temps avec le docteur Russel… C’est bien ! C’est bien ! Ne pas perdre de temps est aussi dans mes cordes mais, voyez-vous, je n’en dispose pas toujours comme je veux. Nous le prendrons à la première occasion, croyez-moi... heu… »

Saisissant mon coude sur le chemin du réfectoire :

« Par contre, je n’ai pas bien compris ce que Titien Labastos…

— Titien Labastos !

— Julien Magloire si vous voulez… C’est le nom qu’il s’est choisi pour apparaître comme personnage et non plus comme personne… Vous le saviez, non… ?

— Plus ou moins… Le docteur Russel…

— Oui, oui… Russel, n’est-ce pas… ? Comme je vous le disais, je n’ai pas bien compris pourquoi Julien (appelons-le comme ça pour ne pas nuire à sa fiction) vous en veut à ce point…

— Il m’en veut ! Première nouvelle ! Je le connais à peine…

— Vous fréquentez pourtant assidument la maison de Russel, si je suis bien renseigné… Vous ne connaissiez pas le docteur Russel avant qu’il s’intéresse à vous… Cet homme est le Diable, savez-vous ? Il a un passé…

— Je ne vois pas de quoi…

— Ces dimanches qui vous réunissent… On me dit que même Alice…

— Alice ? Je ne connais pas d’Alice ! Je vous assure de ma…

— Ça ne me regarde pas, bien sûr… Alice fut un homme… je vous l’apprends peut-être… ? Vous n’avez pas encore… comment dire… ?

— Vous parliez de Julien Magloire… qu’il m’arrive de torcher… Je ne vois pas ce qu’il me reproche… Je me limite avec lui à des travaux bien… définis…

— Ah ! Bof… Ça ne me regarde pas après tout… Mais il vous en veut… Et c’est toujours intéressant de le savoir… Qu’est-ce qu’on vous enseigne dans la police ?

— C’est… C’est une expérience qui vaut celle que nous… J’exerçais à Paris…

— Vous… exerciez… ? Et maintenant c’est ici que vous exercez vos compétences en matière d’investigation… Je vois… Cependant… »

Il m’entraîna dans le patio désert à cette heure, celle du repas de midi. Le réfectoire, portes fermées, bruissait comme un gros insecte. Le docteur Fouinard ne se souciait pas de nourriture terrestre, selon son aveu. Il pouvait se passer d’un repas. Il remplaçait souvent ledit repas par une conversation sur les sujets les plus divers, notamment ceux touchant au bien-être des patients dont il avait la garde et assurait avec diligence le salut. Où en étais-je moi-même avec Julien Magloire, en admettant qu’il fallût se limiter au roman qui le possédait, comme si l’auteur de ce roman n’était autre que… le docteur Russel ?

« Voyons, Frank… Vous permettez que j’use de votre petit nom ?... que pensez-vous de ma théorie… ?

— C’est que… je ne vois pas en quoi elle consiste… Vous me prenez de court !

— Vous ne pensez donc pas avec moi que le docteur Russel est l’auteur de ce roman… ? Celui qui interdit à Titien Labastos tout espoir de guérison… ?

— Vous accusez le docteur Russel de… de manipulation… ? Mais au nom de quoi agirait-il ainsi… ?

— Non, non ! Pas au nom de quoi…

(un temps consacré à l’attente et à ses intentions)

Vous ignorez pourquoi le docteur Russel a été… expédié ici… ? Et vous ne savez pas que personne ne m’a consulté avant de procéder à cette expédition !

(la colère monte rougissant le nez de Fouinard comme s’il venait de le tremper dans une affaire louche le concernant puis mettant fin à la conversation en prenant ses distances :)

Nous aurons tout le temps d’en parler vous et moi… C’est nécessaire. Vous m’aiderez peut-être à sauver Julien du pétrin où il s’est mis en fréquentant les mauvaises personnes… celles qui ne peuvent rien pour lui ! Ah ! le Monde est mal fait ! Pas fait en tout cas pour qu’on s’y entende clairement… N’êtes-vous pas attaché à cette clarté, vous, un ancien policier ? C’est en tout cas ce que j’attends de vous. Je n’ai pas hésité une seconde après avoir pris connaissance de votre dossier ! Mais croyez-moi, si on m’avait demandé mon avis, le docteur Russel n’exercerait pas sa perversité dans mon établissement ! Et Julien Magloire ne serait pas Julien Magloire. Avez-vous entendu parler d’Alfred Tulipe… ?

— Je ne crois pas… non…

— Ça ne tardera pas à arriver ! Je vous souhaite bien du bonheur, Frank ! À moins que vous ne finissiez par accorder un peu de votre temps à mes propres conceptions du roman…

— Mais c’est que… docteur… je n’en ai pas… de conception… Je n’ai jamais envisagé de… Je suis entré dans la police par la petite porte et c’est par la même porte que j’en suis sorti…

— Petite est la porte que vous avez ouverte en entrant ici ! Et grande celle que je vous propose de prendre pour en sortir sans casier judiciaire ! Allez manger avant que quelqu’un se nourrisse de votre part ! »

Le voilà trottinant vers une ouverture qu’il laisse claquer de toutes ses vitres mal mastiquées. De loin, Roger Russel me fait signe qu’il est temps de se mettre à table.

 

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