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De quelques souvenirs - Masse critique nº 9
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 Article publié le 29 janvier 2023.

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Publié dans la revue "Masse critique"
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Zu allem Handeln gehört Vergessen : wie zum Leben alles Organischen nicht nur Licht, sondern auch Dunkel gehört. Ein Mensch, der durch und durch nur historisch empfinden wollte, wäre demähnlich, der sich des Schlafens zu enthalten gezwungen würde, oder dem Thiere, das nur vom Wiederkäuen und immer wiederholten Wiederkäuen leben sollte. Also : es ist möglich, fast ohne Erinnerung zu leben, ja glücklich zu leben, wie das Thier zeigt ; es ist aber ganz und gar unmöglich, ohne Vergessenüberhaupt zu leben. Oder, um mich noch einfacherüber mein Thema zu erklären : es giebt einen Grad von Schlaflosigkeit, von Wiederkäuen, von historischem Sinne, bei dem das Lebendige zu Schaden kommt, und zuletzt zu Grunde geht, sei es nun ein Mensch oder ein Volk oder eine Cultur.

Vom Nutzen und Nachtheil der Historie für das Leben, §1, Nietzsche

 

Il y a sans doute beaucoup d’auteurs dont le caractère personnel est vivement reproduit par la nature de leurs compositions, et chez lesquels l’œuvre et l’homme sont une seule et même chose ; mais il est d’autres écrivains dont l’âme et les mœurs contrastent puissamment avec la forme et le fond de leurs ouvrages ; en sorte qu’il n’existe aucune règle positive pour reconnaître les divers degrés d’affinité qui se trouvent entre les pensées favorites d’un artiste et les fantaisies de ses compositions.

Balzac, Préface à la première édition de La peau de chagrin, 1831

*

Le piquant de certains de mes souvenirs tient à ce que les événements vécus, le cœur battant, parfois dans la sidération, souvent dans la colère, m’ont révélé très jeune le dessous des cartes, en ce qu’ils m’ont clairement montré de quoi certains humains sont capables par lâcheté, par bêtise ou par pure arrogance.

Il m’est arrivé dans mes jeunes années d’être interloqué, de ne pas savoir quoi répondre ni quoi faire face à une agression verbale, tant les propos tenus me paraissaient absurdes, gratuits et dénués de fondement ; j’étais dans l’erreur, ignorant tout du désir de domination de certains êtres, étant pour ma part dénué de tout désir de pouvoir et de domination.

S’il y a bien quelque chose que j’ai rapidement appris à l’école de la République, c’est à faire face à l’agression. Regarder en face la violence, en admettre l’existence tout en la réprouvant, adopter ces contre-mesures efficaces que sont la dérision, l’ironie et l’humour, et, à défaut, l’attaque frontale.

Loin de tendre l’autre joue, j’ai joué parfois le jeu de la violence en foutant sur la gueule de quelques connards. Je me souviens particulièrement du regard effaré de l’un deux en 6ème juste après lui avoir asséné une droite bien sentie. Il y eut aussi à la même époque son copain à qui je plantai avec jubilation mon compas dans le dos de la main en cours de sciences naturelles, comme on disait à l’époque. Ces cons n’en revenaient pas parce qu’ils m’avaient cru incapable de me défendre. J’ai complètement oublié les quolibets dont ils avaient osé m’accabler, je ne me rappelle que la juste correction que je leur ai infligée.

Dans un contexte de harcèlement, il ne faut pas réagir mais agir fermement par la mise au carré de la violence subie et la retourner à l’envoyeur. Peu de gens savent qu’à me titiller ils ont parfois frôlé la mort. Cela ne fait pas une bonne politique, mais la politique est autrement plus violente encore…

L’idéal chevaleresque a du plomb dans l’aile depuis belle lurette, qu’on me pardonne cet anachronisme ! Il n’en reste pas moins qu’il est essentiel à mes yeux de prendre la défense de la veuve et de l’orphelin, de défendre vigoureusement les plus faibles dans toute la mesure de nos moyens.

Les despotes de cours de récréation, mâles et femelles, dès mes années de collège, je les ai vus comme des geôliers et des tortionnaires potentiels prêts à se révéler et faire florès, pour peu que les circonstances historiques leur soient favorables ; sans doute est-ce dû à mon vécu familial si marqué par la Deuxième Guerre Mondiale dont je ne pris vraiment conscience que vers mes dix ans, alors qu’auparavant je n’avais été confronté qu’à la violence ordinaire de camarades de classe turbulents et dominateurs, violence que j’eu beaucoup de mal à admettre et à comprendre, avant de m’en faire une raison de la combattre à ma mesure.

Terroriser les terroristes, dominer les dominateurs… on me dira, à juste raison, que ce n’est qu’un pis-aller, un médiocre mimétisme qui ne fait qu’entretenir la violence. N’est-ce pas là le nœud du problème politique qui taraude toutes les institutions humaines ? On nous parle de monopole de la violence légitime exercée par l’Etat, ah la belle affaire ! Je ne peux pas oublier que des policiers et des gendarmes français ont raflé des Juifs, puis bastonné et tué des Arabes sous les ordres, entre autres, d’un être aussi ignoble que le préfet Papon.

Le problème paraît insoluble ; il faut pourtant agir autant que possible. La noble figure du redresseur de torts est encore prisée par le cinéma hollywoodien : un homme seul ou, plus rarement, une femme seule contre tous et en lutte contre toutes les institutions et qui parvient néanmoins à imposer la justice en faisant éclater la vérité, voilà une belle figure qui ne console que celles et ceux qui veulent encore croire que l’Etat a encore une valeur en dépit de la corruption de ses membres à tous les niveaux de commandement, du chef de l’Etat aux plus obscurs sous-fifres chargés des basses besognes.

Nous naviguons entre initiative individuelle et initiative collective, entre Etat protecteur ou despotique et individu solitaire animé par une mission qui le transcende. Nous en sommes là et rien ne laisse présager quelque amélioration que ce soit dans ce monde de lâches et de filous, de psychopathes et de cyniques qui nous échoit tous et toutes en partage.

*

Mais t’es qui toi pour me faire des compliments ? 

Bien entendu, jamais personne n’a osé me parler comme ça, pour la bonne et simple raison qu’avare de compliments je ne me suis jamais répandu en compliments ronflants.

Louer l’humanité de quelqu’un qui est aux commandes, et vous l’entendrez aussitôt insister sur son efficacité, tel ce principal de collège à Gy en 2013, à qui j’avais dit avoir apprécié son esprit d’équité durant l’année scolaire écoulée et qui tint à insister sur plus important à ses yeux, sa sacro-sainte efficacité. Un bon raisonnement de serviteur de l’état, jaloux de ses maigres prérogatives et soucieux de son avancement.

Arrivé en salle des profs au lycée Watteau de Valenciennes en septembre 1985 : aussitôt arrivé dans cette salle bondée, je sais que je n’y suis pas à ma place. Le stagiaire que je suis efface le brillant étudiant que je fus, tout est à recommencer : il faut faire ses preuves pour gagner l’estime de ce ramassis de profs imbus d’eux-mêmes.

Janvier 2022. La pauvre ptiote, comme on dit chez moi ! Elle avait du mal à garder son masque toute la journée, et moi donc ! J’avais beau lui demander de le remettre en place pour ne pas risquer de contaminer ses camarades dans la salle de cours bondée dans laquelle je ne pouvais même pas circuler, rien n’y faisait, alors j’ai fini par exploser en la menaçant de porter plainte, si j’attrapais la Covid 19. Les parents en ont fait tout un foin, la pauvre ptiote avait été tellement traumatisée par ma menace, faut dire ! Ni regret ni remords de ma part dans cette triste affaire : j’ai claqué la porte et tout laissé en plan ! Depuis, j’ai plaisir à allumer mon feu avec les milliers de préparations de cours accumulées durant mes neuf ans de présence dans ce collège de merde.

*

Lorsque j’étais encore le fils à sa maman, choyé, dorloté, complimenté, les compliments ne me posaient aucun problème, parce qu’ils me paraissaient aller de soi. L’amour inconditionnel d’une mère aimante ne prépare pas à la déferlante d’insultes que la vie nous réserve !

Certains compliments malvenus m’auront plus blessé que des insultes qui ont toujours glissé sur moi. Ils tentaient de flatter en moi un besoin d’aimer avant d’être aimé qu’il est trop facile de prostituer. Avec le temps, j’ai appris à relever les insultes, à les faire payer cher à qui de droit, tout en refusant obstinément de m’abaisser à accueillir des compliments destinés à me flatter pour mieux m’asservir.

Le pire compliment qu’on m’ait fait, d’une grande indigence : Tu es gentil. Moi, gentil ? J’t’en foutrai, moi, de la gentillesse ! Comment avais-je pu tomber si bas pour qu’on m’affublât d’un tel qualificatif ? La question me resta quelque temps en travers de la gorge, je dois bien l’avouer.

Les liens que d’aucuns croient indéfectibles, j’ai plaisir à les trancher net. En langage actuel, on appelle ça le ghosting ! Je préfère dire que je coupe facilement les ponts. Les ruptures dramatiques, les grands mots, les insultes, non merci. Je ne reprise pas les vieilles chaussettes, je les jette au feu.

C’est Sartre qui a raison, lorsqu’il écrit dans Les mots : J’ai changé à travers une permanence. Je me retrouve dans cette formulation toute simple. Et j’ai la nuque raide, comme qui vous savez…

Tu as beau dire, tu es le meilleur !

Ah dieux que j’aime ce gallicisme : beau dire, bondir aussi bien !

*

Un texte m’agrée pour peu que sa rédaction me procure un plaisir d’amusement.

Ma pauvre Muse qui m’a usé jusqu’à la trame se prend pour Pénélope, elle se cache et se révèle dans ce plaisir d’amusement ; c’est une enfant pauvre, sage, tranquille mais capable de concevoir des folies. Elle a tous les atours et les attraits d’un bon feu dans l’âtre : antique, vénérable, venue du fond des âges, délicieusement folâtre, c’est-à-dire joyeusement incomplète, jamais achevée, toujours en devenir, et capable de mourir.

Enfant, je ne fus pas pyromane, mais le feu dans le poêle excitait ma curiosité. Aussi loin qu’il me souvienne, je l’observais rougeoyer à travers les petites plaques de mica translucides. Mon père me raconta un jour qu’enfant il se plaisait à crever ces mêmes petites plaques de mica, chose que moi je n’aurais jamais songé à faire. Toucher du doigt le feu, mettre le feu à la baraque ou à la forêt, c’est bon pour les malades, quelle banalité ! L’allumer pour le voir brûler dans l’âtre ou le poêle, ah ça oui ! « Mange cramaille ! », et l’enfant Bachelard, un jour de colère, balance sa soupe au feu ; ça aussi, jamais je n’aurais seulement songé à le faire.

*

A quatre ans, dès après mon entrée tardive en classe « maternelle », je savais déjà ne rien devoir attendre de bon de mes semblables. Et je me mettais dans le lot, pensant ne pas valoir mieux que les autres. Mon quant à moi, ma « Ohne-mich-Haltung », comme le dit joliment la langue allemande, je l’aurai vécu comme une ascèse, un refus viscéral d’enquiquiner les autres, un refus catégorique de m’imposer à eux par la force ou la persuasion, en cela parfait anti-pédagogue, refusant tout enseignement, chaque signe, chaque fait de culture faisant signe vers des problèmes délicieusement complexes, demandant à être découverts puis explorés par soi-même, en eux-mêmes et pour eux-mêmes, une triade qui tire à hue et à dia, clairement la matrice de l’activité littéraire que j’ai déployée ces vingt dernières années.

Refusant tout enseignement… reçu, donné ? Douce ambiguïté qui répond à merveille à cette « ohne-mich », ce « sans moi » qui signe un désengagement précédant tout engagement tout en signifiant un radical effacement de ma petite personne. Reste ce « moi » dur à cuire. Effacement ne signifie pas repli sur soi, mais, de seuil en seuil, la promesse d’un accueil inconditionnel et chaleureux à qui désire s’ouvrir, parler, converser sans jamais viser quelque conversion que ce soit.

J’ai été un enfant puis un adolescent effacé, bouillant, véhément. J’aime cette apparente contradiction. Je le sais, en moi sommeille un berserker

J’étonnais d’autant plus, lorsque je prenais la parole, tenant alors des propos qui détonaient et émettant des jugements sans appel. Moi si calme, si doux, comment pouvais-je être aussi tranchant, aussi véhément ? Un être de raison et un être de passion, tout cela à la fois, aimant passionnément la raison, tel j’étais et suis resté.

Mes copains voulaient toujours faire de moi leur chef, lorsque nous jouions aux cowboys et aux Indiens. Cela me mettait dans l’embarras car je n’aimais rien tant que le mouvement désordonné, la griserie de l’attaque frontale. L’expérience me fit comprendre fort jeune qu’il y a des chefs qui s’imposent naturellement par leur charisme, leur bagout, leur sens de l’initiative, leur compétence et des suiveurs, alors que moi je désirais n’être ni l’un ni l’autre.

*

Je me tenais coi, j’écoutais attentivement notre prof de philo qui passa un mois à nous ouvrir les yeux, puis vint le moment de rendre ma première dissertation. La rédiger, quelle jubilation ! Il arriva ce qui devait arriver : convoqué à son bureau, je dus certifier que c’était bien moi qui l’avais écrite ! Comme vous ne parliez pas, je pensais que vous ne compreniez rien, me dit-elle !

Ah le silence ! Il m’en aura fallu du temps pour accepter de ne pas mettre ma lumière sous le boisseau !

Impulsif, impulsif jusqu’à en être intempestif, tel je fus longtemps. Ça sortait comme ça, il fallait que ça sorte pour ne pas exploser ! et de fait, j’explosais, laissant tout le monde dans l’embarras, ce qui, pour être honnête, m’amusait beaucoup. Un camarade et ami lança un jour en Terminale : Mais il parle ! Tout le monde éclata de rire, sauf moi pris à mon propre piège !

Le seul compliment que j’acceptai et qui me fit vraiment plaisir dans mes jeunes années fut celui de ma prof de philo qui me dit un jour à son bureau : Vous n’avez pas besoin de moi, vous découvrez les problèmes tout seul. 

*

L’orgueil voudrait que nous n’ayons ni père ni mère ni une quelconque ascendance.

Né dans un milieu pauvre, peu instruit mais chaleureux, je n’ai bénéficié ni d’un capital social accumulé par papa et maman ni d’une instruction de qualité. J’ai avalé la soupe populaire que l’instruction publique de l’époque m’a servie. Dans ce contexte, mes ambitions ne furent pas celle d’Alexandre le Grand qui eut Aristote comme précepteur. Je me souviens avoir déploré dès mon entrée au collège l’absence d’envergure de mes maîtres. Tout au long de ma scolarité, je me suis senti à l’étroit dans mes habits d’élève-enfant d’ouvriers. J’aurais voulu être au lycée de Pforta comme Nietzsche, alors que j’étais au lycée Pergaud à Besançon. La nourriture était maigre, les ambitions intellectuelles au ras des pâquerettes. Je lisais Hölderlin dans le texte et je me faisais chier à longueur de journée au sein d’une classe de merde que j’avais baptisée A poubelle, étant alors en A2, c’est-à-dire faisant allemand, anglais, latin et philo.

On me proposa de passer trois concours généraux en allemand, en français et en philosophie, et tout ce dont je me souviens, c’est l’attitude hautaine de ce connard de Novak, Proviseur du lycée Pergaud en 1976 et 1977, dans le bureau duquel j’avais dû me rendre pour obtenir un papier signé de sa main afin de pouvoir passer les dits concours. Aucun mot d’encouragement de la part de ce cuistre qui ne jurait que par les maths.

Tu sais, Guyot, la liberté, ça n’existe pas.

Voilà bien la seule phrase « éducative » que j’ai retenue lors de mon passage dans ce triste lycée Pergaud. Elle émanait d’un autre connard, le Surveillant Général, le Surg’, comme on disait à l’époque. J’avais eu le malheur d’arriver en retard à la suite d’une panne de réveil, et naturellement cet abruti m’avais accusé d’être arrivé en retard délibérément. Ma bonne foi fut mise en doute, de là date assurément ma méfiance à l’égard des flics et de toutes les instances de contrôle social en général.

Je crois bien que cette phrase, qui, sur le coup, me fit suffoquer d’indignation, signa l’acte de naissance de mon anarchisme tranquille. Dire une telle ineptie à un lycéen qui faisait huit heures de philosophie par semaine, fallait oser ! On en était là à l’époque ! On en est sans doute encore là aujourd’hui, peut-être avec plus d’hypocrisie qu’il y a cinquante ans.

On ne réveille pas un dragon qui dort, surtout s’il n’a rien à perdre. Les flambées de violence, si navrantes soient-elles, ont toujours une explication.

*

Enfin bref, trêve de compliments ! Il ne faut jamais s’endormir sur ses lauriers. La reconnaissance, c’est autre chose ; elle participe d’une amitié à distance qui sait faire fi de toute verticalité et de toute horizontalité, elle respecte l’asymétrie foncière de tout rapport humain. On m’a mis parfois sur un piédestal pour m’en faire tomber. Je connais la chanson. Servir de marchepied à une connasse, rude expérience !

Lorsque j’offre mon amitié à un auteur, ce n’est pas pour lui demander en échange la même considération ; je n’ai que faire des compliments, je le redis. Je ne complimente personne par conséquent. J’offre ce qui s’est offert à moi dans la passion de comprendre, sans obliger quiconque, sans jamais réclamer quelque réciprocité que ce soit. Le Do ut das latin m’est foncièrement étranger, tout comme le monde romain dans son ensemble. 

*

Je suis arrivé à un âge où les rapports ambivalents qu’inspirent les diverses autorités et les compromis qu’impose la vie en société n’ont plus aucun poids. Je me moque du tiers comme du quart. Le concept d’ambivalence inventé par Bleuler dit beaucoup de choses des rapports humains que nous sommes amenés à vivre tout au long de notre vie, au même titre que la dyade attirance-répulsion. Si la littérature permet quelque chose, c’est bien de traverser tout cela sans encombre dans cet ilot de prospérité qu’est l’Europe menacée de toutes parts mais aussi de l’intérieur.

Je puis donner la parole au pire salaud qui soit dans un récit, sans en être, n’en déplaise aux cathos qui croient encore qu’évoquer le diable équivaut à l’invoquer et le faire apparaître.

*

Je suis dedans ou dehors, jamais entre les deux.

Je suis heureux de ne pas aimer tel ou tel style musical ou tel ou tel auteur, tout en conservant assez de curiosité pour me tenir informé. En cela, je n’aurai fait qu’amplifier ce que je ressentais si intensément durant mon adolescence : aucun compromis à l’égard de quoi que ce soit et de qui que ce soit qui me déplaît foncièrement.

Je préfère la compagnie lointaine de quelques auteurs et musiciens à la compagnie de la plupart de mes semblables, fidèle en cela au temps où j’ai vécu vraiment heureux dans la maison et le grand jardin de mon enfance, solitaire parmi les fleurs et les arbres fruitiers, protégé par le haut mur de pierre taillée hérissé de tessons de bouteille, libre de retourner la terre et de lever les yeux au ciel.

 

Août 2020, Barjac, Foire à la brocante. Je bute quelques secondes sur le nom de cette charmante localité, preuve s’il en est de ma capacité à refouler patronymes et en l’occurrence toponymes, lorsqu’ils sont associés à de mauvais souvenirs que je ne refoule pas entièrement, car j’aime les cultiver pour les leçons que j’en puis tirer. C’est dans cette jolie commune française que je me suis entendu être comparé derrière mon dos à de la viande blanche par trois gaillards basanés venus y vendre leurs bibelots. Par égard pour ma fille présente, elle aussi visée par cette insulte coloriste, j’ai passé mon chemin sans revenir sur mes pas pour leur casser la gueule. En un éclair, après m’être retourné, j’avais déjà repéré un grand chandelier qui allait me servir à les assommer. Je suis resté sur ma faim, hélas ; demeure en moi la haine de tous les racismes, d’où qu’ils viennent.

*

C’est clair : ma saison préférée, c’est bien l’hiver, l’hiver rigoureux, vent glacé, givre et neige lourde tombée sur les collines qui entourent Besançon, au nombre de sept comme le fait remarquer Jules César dans sa Guerre des Gaules, neige jusqu’aux genoux, funiculaire bloqué pour monter en haut de la colline de Bregille, pelletées de neige pour dégager l’entrée de la maison et joyeuse flambée dans l’âtre, comme dans mon enfance.

C’est par une chaude après-midi d’été qu’enfant haut comme trois pommes j’entendis pour la première fois des cantonniers parler arabe entre eux ; le haut mur laissait passer leur parole. C’est à eux que je dois mon goût pour les langues étrangères. Je fus ravi de leur apporter dans une bouteille de Badois - en verre à l’époque ! - l’eau fraîche qu’il m’avaient gentiment demandée à travers le portail de bois couleur vert sapin. Ces hommes-là, instantanément, je les ai considérés comme des frères en humanité. Je n’oublierai jamais le feu dans leurs yeux, leur sourire et leur noblesse native.

*

Refus de la misère, refus de tout mépris a priori, de classe, de race, de condition, méfiance envers tous les pouvoirs, aussi débonnaires qu’ils paraissent, et affirmation de l’amitié pour l’étrange et l’étranger…

Mes souvenirs ont ceci de bon qu’ils m’interdisent toute généralisation hasardeuse, j’ai néanmoins la faiblesse de croire que des vérités bien senties peuvent s’y nicher.

A vous de voir !

 

Jean-Michel Guyot

20 janvier 2023

 

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