Musique en classe maternelle

La maîtresse se jette sur moi

Elle est furibarde

Qu’a-t-elle crié, avant de bondir ? J’ai oublié

Je suis terrifié

Elle m’arrache les maracas des mains

Parce que je suis incapable de les agiter en rythme

Ases yeux, je suis un incapable

Elle me vire du spectacle de fin d’année

 

En classe de Sixième

Me voilà appelé à scander avec le bras droit 

Une partition à quatre temps

Je ne sais pas lire les notes

Je dis n’importe quoi

Sueurs froides !

Le professeur me lance un regard consterné

Je sens de la haine dans ses yeux

Il doit se demander ce qu’il fiche au beau milieu de cette classe d’incapables

Penaud, je croule sous son mépris

Je me jure, après ce coup-là, de ne jamais toucher un instrument de musique

De ne jamais faire de musique

Et je n’en écoute pas

Exit les comptines

Je déteste déjà la variété qui passe à la télé

 

J’ai quatorze ans

Je lis Baudelaire passionnément depuis quelques mois

Un disque dans la maigre discothèque de mes parents m’intrigue

C’est un disque RCA dirigé par Charles Munch

Qui contient l’Ouverture de Tannhäuser

Ainsi que des extraits de la Tétralogie

La musique du Feu

Et Le voyage de Siegfried sur le Rhin entre autres régals

L’Ouvertureme transporte instantanément

J’oublie l’espace exigu de ma chambre de HLM

Le chant des pèlerins me gonfle l’âme

Moi qui suis athée comme trente-six cochons

La Bacchanale m’ouvre à des sonorités encore jamais entendues

Je reste sonné par cette écoute inoubliable

Ça y est, ma passion pour la musique est née

J’ai quatorze ans

Finie ma rancœur

Je chasse l’épisode des maracas en classe maternelle

Je fais fi de l’expression de mépris de mon distingué professeur de musique de Sixième

La musique est une compagne multiple qui m’enlace

Je vais et viens dans les styles, les genres

Je suis devenu insatiable

Je n’aime pas tout

Mes déceptions sont nombreuses

Peu m’importe

Ma curiosité l’emporte sur tout

Et les découvertes enthousiasmantes sont suffisamment nombreuses

Pour que je ne dételle pas

Je creuse des sillons

Je les parcoure inlassablement

A l’écoute de Third Stone from the Sun

Je voudrais me lover dans les sillons du disque 33 tour

Je vibre à l’unisson de Red House

Are you experienced inlassablement tourne sur mon petit pick-up

Je ne peux pas me détacher de la musique qui s’y déploie

Elle me marquera à jamais

Have you ever been experienced ?

Yes, I have !

 

Les années fastes passent

Riches en découvertes de toutes sortes

La période des vaches maigres arrive

Solitude et tracas professionnels, le blues

Les soucis conjugaux et la tristesse l’emportent pendant une décennie 

Me tiennent éloignés de toutes les musiques

Je m’en vais

Je reprends goût à moi-même

J’écris, je publie, je reprends confiance en moi

J’écoute à nouveau de la musique

Je fais un grand ménage

Ma curiosité s’est faite plus prudente, plus circonspecte, moins vorace

Je distingue nettement ce qui me touche profondément

De ce qui m’intrigue et m’intéresse

Ma culture musicale n’en est pas une

Je préfère penser que je vis l’instant présent

Intensément à travers les musiques que j’aime

Get away, get away from here !

Anywhereout of the world

J’ai la faiblesse de croire qu’elles m’aiment elles-aussi

Si ma vie était à refaire, je tenterais assurément de me faire musicien

Adéfaut d’en jouer

Je suis tout entier musique

A chaque écoute de Pli selon pli

Mon oreille s’arc-boute sur l’immensité foisonnante des percussions

Le blues de Hear my train a-comin’ m’exalte

Le contrepoint de Pali Gap m’enchante 

 

Jean-Michel Guyot

25 janvier 2023