
Ça commençait toujours de la même façon. Comme une sorte de rituel. Immanquablement. La toile se formait selon le registre profond des résonances diversement esthétiques, les oppositions, les fausses valeurs, les pigments, les méprises, les heureux mariages, les dénouements imprévus, les hasards objectifs, les chemins de la ligne, les contrastes, les ombres et les soleils de la figure. Puis je tirais les doubles rideaux, et dans la pénombre je me précipitais sur la toile. Recréant ainsi la tradition dont personne n’avait jamais fait mystère : quand il y a peu de lumière dans une pièce, tout devient un tableau qu’à tout instant on peut dérouler devant soi, comme une carte du terrain, selon la jolie expression de Kierkegaard. Une carte qui, vu les circonstances, maintenant que j’étais vautré sur la toile, ne pouvait pas être autre chose qu’une chose se redisant sans cesse, redisant ce qu’elle était. Une carte qui s’était patinée au fil du temps, au fil des rituels infinis, et qu’on pouvait définir comme l’infini des tourments mais qui selon le mot d’Andromaque à propos d’Astyanax était surtout « le sang d’Hector », c’est-à-dire la couleur rouge. Le rouge parfait et souverain en tout, universel et consommé dans l’art de montrer comme dans celui de masquer, paradoxalement immodeste comme capable du secret, de ce secret qui anime tout rituel et dont je tairai à jamais la suite du processus.
Jacques Cauda