Retour à la RALM Revue d'Art et de Littérature, Musique - Espaces d'auteurs [Forum] [Contact e-mail]
  
Fragments
Navigation
[E-mail]
 Article publié le 12 mars 2023.

oOo

-1-

Procédant par synthèses et raccourcis, je ne m’attarde pas à chaque maillon des chaînes de raisonnement mises en jeu que je suppose entendues par celles et ceux qui se risquent à me lire ; je m’attarde plus volontiers sur la résonance de tel concept qui vient en heurter d’autres, et de ces chocs multiples j’extrais les harmoniques qui me plaisent.

Dans le domaine intellectuel, la pédagogie a évidemment un rôle éminent à jouer en tant que propédeutique ; toute entrée en matière connaît ainsi son heure de gloire, mais c’est la matière même qui seule m’intéresse, son foisonnement dédalique, la course effrénée de ses harmoniques. Tout m’est vibration.

-2-

De ce fait.

Une telle expression m’arrête, sans détourner mon attention du flux verbal qui me porte : la poésie se joue là, dans le fait que je tiens compte de la tournure pour en détourner l’usage au sein d’un flux verbal plus large.

Une idée, si elle n’est pas instantanément notée sous la forme première qu’elle est tout entière - rien en-deçà, rien au-delà d’elle - se désagrège au bout de seulement « quelques secondes ». Ressaisie avant d’avoir complètement disparu, elle se présente à moi à la façon d’un petit puzzle incomplet dont il me faut réinventer les pièces manquantes. Le tout s’agite et s’ajuste correctement mais sans la force de l’idée initiale dont ne subsiste plus que le fantôme, à savoir son intensité si vivement ressentie.

Je généralise : Telle expression m’arrête, sans détourner mon attention, etc…

-3-

Le plaisir ressenti tient tout entier à ce désir demeuré désir tout au long du périple verbal qui en est le substrat matériel, soit la trace écrite-sonore qui en témoigne. L’amour, embusqué, y attend son heure.

La mise à nu de ce processus à double face - trace écrite-sonore et plaisir lié au désir demeuré désir - est la poésie même en son élan, c’est-à-dire tant son matériau de départ que sa réalisation verbale-acoustique, l’une et l’autre étant liés à l’intention de parole qui en émane, après que cette dernière en a été la condition première.

Le matériau linguistique qui s’offre à mon attention et à mon intention est la condition per quam de toute poésie, tandis que sa condition sine qua non est ce pacte tacite que tout poète a contracté avec la parole dans les limbes, d’abord, de son enfance sage ou tumultueuse.

Les mots sont arrivés là, au même titre que son existence aléatoire, mais après-coup ; ce fruit du hasard qu’il est, d’abord sans mots pour le dire et le dédire, est un là vacant, un Da-sein, inexpliqué-inexplicable, rapidement mis sous cloche. L’amour filial éloigne la pensée encore informulée, mais qui travaille l’infans au corps, que tout, lui compris, est le fruit du hasard.

Epouser une langue, malgré tout parfois, conduit là où le là s’habite dans l’errance. Cette errance demeure en lui qui demeure dans l’errance. Une parole alors peut s’élever. Elle passera par de nombreux périls, et, de péril en péril, dessinera ou non une expérience singulière communicable communément appelée poésie.

Bien entendu, le cheminement vers l’amont du poème est techniquement possible, sans qu’il puisse jamais rendre compte du pourquoi du flux verbal initialement mis en jeu ni du pourquoi des choix opérés parmi et au sein de cette multiplicité mouvante qu’est la rumeur disséminée-canalisée.

La chair des mots vit sa propre vie, se moque des filiations et des mythes originaires bons pour les puissants soucieux de préserver leur statut de puissants ; chercher à établir des ponts entre la vie ordinaire de tel ou tel écrivain et ses écrits, c’est comme chercher le lien qui unit la vie au destin du cosmos, mais sur une échelle de temps très brève et pour ainsi dire à l’échelle microscopique.

-4-

Ni accessible ni inaccessible, ouvert plutôt sur un avenir indécidable mais que chaque décision prise sur l’instant contribue à écrire.

Peut-être une définition succincte de ce qu’écrire signifie pour moi, mouvement en action et action en mouvement tout à la fois transitif, c’est-à-dire agissant sur le flux verbal en cours d’élaboration, et intransitif sur le fond, écrire étant le sujet même d’écrire au sens dynamique et au sens passif de cet étrange terme sans terme, le sujet dans l’acte d’écrire se découvrant livré à l’incessant et à l’interminable dans le sein desquels il se doit de faire halte.

 

Jean-Michel Guyot

5 mars 2023

 

 

Un commentaire, une critique...?
modération a priori

Ce forum est modéré a priori : votre contribution n’apparaîtra qu’après avoir été validée par un administrateur du site.

Qui êtes-vous ?
Votre message

Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides. Servez-vous de la barre d'outils ci-dessous pour la mise en forme.

Ajouter un document

Retour à la RALM Revue d'Art et de Littérature, Musique - Espaces d'auteurs [Contact e-mail]
2004/2024 Revue d'art et de littérature, musique

publiée par Patrick Cintas - pcintas@ral-m.com - 06 62 37 88 76

Copyrights: - Le site: © Patrick CINTAS (webmaster). - Textes, images, musiques: © Les auteurs

 

- Dépôt légal: ISSN 2274-0457 -

- Hébergement: infomaniak.ch -