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La Stpo (Romanciel) - Le chanteur entend des voix
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 Article publié le 19 mars 2023.

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Lorsqu’une voix déborde de vie, c’est l’océan musical tout entier qui donne l’impression de voguer sur le frêle esquif de notre attention. Nous si petits, si frêles, comment pouvons-nous faire face à une telle déferlante ? En devenant cette déferlante, en se faisant tout entier musique.

L’expérience de la scène parachève cette donnée immersive que les musiciens partagent avec le public. Il n’y a pas de traversée, pas de cap à atteindre mais que des étapes durant ce voyage musical qui n’est pas de tout repos et dont on sort « rincé ». Le radeau de la Méduse n’est pas pour nous.

Are you experienced ? Yes I have !

*

Si vous connaissez déjà la STPO, il est inutile de passer du temps à décrire la complexité et la richesse de leurs compositions, ou le chant à mi-chemin du râle, de l’opéra détraqué, de la poésie lettriste, du bruitage de dessin animé et du hurlement pur et dur comme issu d’un vieux disque de Birthday Party. Il y a énormément d’humour et de théâtralité ici. De la folie aussi, bien sûr.

Max Lachaud

Über allem thront dabei wieder Pascal Godjikians unnachahmliche Stimmkunst (das Wort “Gesang” würde zu kurz greifen), die wieder allerlei Variationen seltsamer Lautäußerungen produziert, häufig textloser Art. Es ist kaum möglich, adäquate Worte zu finden für all dies Grunzen, Röcheln, Zwitschern und Schreien, mit dem diese Musik veredelt wird.

Jochen Rindfrey

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L’écrivain, que je suis, a un seul véritable ennemi (hormis les imbéciles, les réacs de tous poils et les illettrés que l’on pardonne car ils n’y sont pour rien), ce sont les coquilles qui font taches un manuscrit, coquilles qui, hélas, ne s’entendent pas contrairement aux fausses notes !

Cela étant dit, une fausse note en concert ne pardonne pas, alors que les coquilles d’un manuscrit peuvent être éliminées à la relecture avant publication, tout cela pour dire que le chanteur lancé en plein concert n’a que sa voix comme filet de protection.

Hum les fausses notes !!!!.... Ma hantise car je ne suis pas un « vrai » chanteur !... Dixit Pascal Godjikian.

 

On croirait entendre Don van Vliet alias Captain Beefheart qui, à ses débuts du moins, n’était guère pris au sérieux par les autres membres du Magic Band, ce qui n’est pas le cas de Pascal Godjikian, le chanteur-parolier de La Stpo, figure de proue du groupe.

Beefheartet bien d’autres chanteurs de blues n’avaient aucune notion de solfège mais une bonne oreille. Chez Beefheart, c’est le rythme qui parfois déraillait et il s’en désolait.

Les tournées harassantes, le peu de reconnaissance du public et de la presse spécialisée eurent raison de sa motivation et il jeta l’éponge au début des années 80 pour se consacrer entièrement à la peinture avec succès. Il reste que ses performances sont devenues des classiques d’un genre musical dérivé du blues mais qui n’appartenait qu’à lui : à cheval sur le blues et une musique atonale, sa voix percute l’indicible, en repousse les limites en poussant à l’extrême une expressivité tout en cris, grognements, hurlements, miaulements, feulements, usant du lamento et du falsetto comme personne. David Thomas de Père Ubu saura s’en souvenir le moment venu.

Sa voix se déplace dans la nuit houleuse d’un espace musical tellement unique qu’elle en devient pour ainsi dire l’amer salvateur auquel l’auditeur se raccroche, suprême ruse de ce « non-chanteur » qui sut ainsi faire résonner une poésie de son cru hautement originale. Stravinsky, qui avait de l’oreille, ne s’y était pas trompé, lorsqu’il salua la musique et le chant de Beefheart en 1970, un an avant sa mort.

Il en va de même pour Pascal Godjikian, dans un contexte musical tout autre, héritier du post-punk dont on ne dira jamais assez quelle aubaine il fut en ce qu’il révéla tant de grandes voix : Ian Curtis, comment l’oublier ? Siouxsie Sioux, John Lydon, et tant d’autres. Mention spéciale pour Graham Lewis et Colin Newman de Wire dont les voix se complètent si bien, celle de Lewis, menaçante et grave à souhait et celle de Newman plus fluette, caustique et railleuse.

Ce qui frappe chez Beefheart et les vocalistes susnommés, c’est un mélange détonant de gouaille, de hargne, d’arrogance mais aussi de modestie lancée à la face du public soufflé, ébahi, renversé. Ces voix ouvrent sur un espace mental dangereux où cauchemars et hallucinations côtoient des réalités sordides, les chansons de Joy Division et des Banshees étant à cet égard « des modèles du genre ».

Le grain de la voix de tous ces chanteurs joue un rôle clef allié à une expressivité exacerbée dans un contexte musical original le plus profond qui soit : les origines de leur chant et de leur musique s’entendent nettement, tout en donnant à entendre un écart qui n’appartient qu’à eux, un style unique qui débouche sur de l’inouï.

Les limites d’une certaine décence en musique sont allègrement transgressées ce que ne peuvent en aucun cas se permettre ni même en rêver des voix plus sages de grande classe éduquées dans le chant baroque ou classique.

Pierre Durr parle justement de « dramaturgie de la voix », lorsqu’il évoque le chant de Pascal Godjkian.

Non que la voix soit théâtralisée, c’est-à-dire grandiloquente, ampoulée jusqu’au ridicule.

La dramaturgie outrée de la voix se joue dans les énormes possibilités expressives des cordes vocales, de la gorge, de la poitrine et des tripes de Pascal Godjikian qui mobilise tout le souffle de son être corporel pour insuffler à la musique qui l’entoure une dimension supplémentaire : sa voix ne se contente pas de surfer sur des rythmes et des mélodies, elle crée une dimension narrative qui ouvre sur un espace dramaturgique qui lui est propre, un monde dans un monde dans le monde, en quelque sorte : voix dans la musique-monde, un tout qui se communique au public présent dans la salle-monde ou sur disque. 

Ce chant outrancier, comme on parle d’un combat à outrance avec l’indicible, n’est pas pour autant l’axe premier et dernier autour duquel tourne la musique, pour la bonne et simple raison que la voix expressionniste de Pascal Godjikian fait corps avec la musique, ce qui la distingue d’un style de chant égocentrique à la sauce Motown ou d’un chant accompagné par une musique comme dans la variété française et internationale.

Le combat avec l’indicible vaut bien qu’on s’y arrête ; s’en détourner, c’est reculer devant le mystère de vivre dont la musique de La Stpo nous offre le spectacle onirique. Les surréalistes, en leur temps, n’eurent pas la musique qu’ils méritaient. Cette injustice est désormais réparée !

Autre temps, autre musique ! C’est ce hiatus qui définit notre rapport aux faits de culture auxquels nous tenons malgré le poids des ans, en dépit de tout ce qui tend à nous en détourner au profit exclusif d’une actualité bruyante mais bien terne.

Une voix qui se fraye un chemin entre le chaos dont elle se fait la complice amusée-effrayée et les peu profondes ornières de chemins de traverse si peu fréquentés que, se sentant si seule parfois, elle recherche la compagnie des habitants des hautes herbes ; y grouillent quantité de sons que le commun ne perçoit pas et qu’elle se doit de partager pour que le monde devienne enfin audible.

Cette odyssée entre ordre et chaos s’appelle musique.

Monde dans un monde.

Voix dans le monde, un monde dans la voix selon un trajet onirique dont tous les musiciens, à part égale, se font les oniromanciens.

Le coq à l’âne, l’âne sur le coq, ça ne vous rappelle rien ? Brême n’est jamais loin ! L’union fait la force !

 

Jean-Michel Guyot

11 mars 2023

 

 

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