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 Article publié le 26 mars 2023.

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STEHEN im Schatten

des Wundenmals in der Luft.

 

Für niemand-und-nichts-Stehn.

Unerkannt,

für dich allein.

 

Mit allem, was darin Raum hat,

Auch ohne

Sprache

 

Paul Celan, Atemwende

*

Dans ce court texte, bref et cinglant comme un coup de fouet, anguleux à souhait, rêche parce que mal dégrossi faute d’outils adéquats pour s’employer à polir une matière aussi dure, je voudrais soulever la question du souffle en musique. Un souffle granitique, comme disait un certain poète…

Outre que le sujet requiert de vastes connaissances dans le domaine du répertoire, la question soulève une question en apparence subsidiaire mais en réalité essentielle que je vois comme étant celle de l’accompagnement musical de ce souffle qu’est le chant.

Aucune esthétique précise ne se dégagera de cette réflexion, mais une sensibilité idiosyncrasique qui peut s’exprimer dans la simple formule : valorisation du pneuma.

Mon éclectisme m’interdit de feindre une connaissance approfondie du répertoire ; je ne fais que me déplacer au gré de mes envies d’une pièce à l’autre, ne prétendant aucunement traiter exhaustivement un répertoire immense qui s’étire sur plusieurs siècles.

Je ne puis m’appuyer que sur ce que j’aime.

Je tends à privilégier les musiques qui accueille la voix humaine comme un instrument parmi d’autres, le chant concertant n’étant alors qu’un élément sonore parmi d’autres éléments sonores.

Musique tout à la fois instrumentale et chantée dans laquelle la voix ne prédomine jamais au détriment de la musique.

Hors de question que cette dernière soit traitée à la manière d’un banal accompagnement, ce qui implique un rejet sans appel de musiques destinées simplement à mettre en valeur un chant, brillant ou tristement banal, en d’autres termes mise à l’écart, entre autres, des musiques dites de variété dans lesquelles la voix, mise en avant, surfe bêtement sur la musique.

Ce rejet va à l’encontre du goût commun qui aime à personnifier le chant à travers des figures idolâtrées plus ou moins hautes en couleurs qui dansent et gesticulent sur une scène, la scénographie étant plus ou moins élaborée, tendance qui dérive de l’opérette elle-même succédané populaire de l’opéra.

*

Le son y est conçu comme quelque chose de vivant, en permanente métamorphose, mais sans orientation particulière - à l’image de la respiration ; il obéit plutôt à une sorte de cycle perpétuel.

Martin Demmler, à propos de In an Autumn Garden de Toru Takemitsu

 

Meine Komposition behandelt die Dichtung so, als sei jeder einzelne Gedanke darin eine kleine Arie in sich. 

Hans-Werner Henze, über Being Beautous

 

Währenddie Dichtung sich der Musik bedient wie eines Vorlesers, bedient sich die Musik der Dichtung wie eines konzertierenden Interpreten.

Hans-Werner Henze, über Kammermusik 1958

*

Le groove est à la musique ce que le souffle est au chant. Musique et chant confondus dans ce même souffle entraînant-entraîné qu’est le groove.

Le chant entraînant porté par une mélodie entraînante ?

Mais qu’arrive-t-il, lorsque le chant fait place à des murmures et des cris, à des invectives et des hurlements, à des borborygmes et des passages de voix préenregistrées comme on peut l’entendre dans certaines pièces de Throbbing Gristle ?

Entraînante-entrainée ou bien simple voix parlée, murmurée ou hurlée, toujours le souffle.

Inspiration et expiration, ein-und ausatmen, poésie chantée ou chantée-parlée, grommelée, susurrée…

Ecoutezdonc les œuvres de La Société des timides à la parade des oiseaux, et vous aurez dans les oreilles une poésie dadaïste qui fait partie intégrante de la musique de ce groupe. Le chanteur-parolier Pascal Godjikian y déploie une superbe maîtrise vocale toute en brisures. Godjikian grommelle, susurre, gazouille, gémit ; sa voix passe par toutes les couleurs de l’arc-en-ciel !

Que la musique donne de l’air à la voix comme le champ fournit l’aire adéquate au tracé de peu profonds sillons emblavés à la main, promesses d’une riche moisson.

Une certaine frugalité est à l’œuvre, l’abondance n’étant pas de mise dans cette conception-perception du flux sonore. La richesse du flux sonore s’entend dans son organisation qui lui est insufflée et que nous appelons du beau mot de composition.

La musique compose avec le souffle qui accompagne la composition de celle-ci de bout en bout ; composer avec le souffle signifie, dans cette perspective, que la respiration de l’œuvre provient du souffle qui préside à sa mise en forme puis sa mise en œuvre vocale-instrumentale durant laquelle elle trouve un second souffle.

Patience à l’œuvre qui ne cesse d’endiguer sa puissance en en canalisant les effets primaires et secondaires : la perception immédiate du flux sonore ainsi que sa remémoration, garante de sa perception continue contiguë à sa présence évanescente.

Comme vent et pluie, sécheresse ou humidité de l’air contribuent au développement des plantes convoitées, les instruments de musique participent de l’éclosion instrumentale du chant dans un espace sonore luxuriant ou raréfié.

La voix de velours n’est en aucune façon l’écrin dans lequel viendrait s’enchâsser sa dimension instrumentale. Qui dit voix dit musique du souffle qui insuffle à l’ensemble de la composition sa dynamique propre, laquelle n’existe pleinement que d’être la complice heureuse de la musique. 

L’espace du souffle capable de souffler l’espace est tout du long éclaté et métamorphique à l’image d’une inflorescence qui se jouant de la géométrie fractale, renouvèle sans cesse sa floraison au gré des intempéries sonores. Musique et voix participent ainsi du même monde en train de naître pour mourir et ainsi mieux renaître. 

Le temps, ce phœnix incolore, prend appui, sans dolorisme aucun, sur l’espace environnant dont il est la scansion consubstantielle. Le temps acquiert ses couleurs chantantes au sein de l’espace sonore qui virevolte sous les secousses rythmiques qu’il y impulse.

Une voix s’élève dans l’espace qui lui est impartie par la composition au moment où elle est interprétée ; pivot de l’œuvre sans en être le centre mais plutôt l’axe autour duquel s’articule les grappes sonores qui ne l’accompagnent pas mais bien plutôt se nourrissent d’elle qui se nourrit d’elles…

Pour avoir une idée chantante de ce processus créatif, on peut par exemple écouter ces œuvres magistrales de Hans-Werner Henze que sont BeingBeautous sur un poème en prose éponyme de Rimbaud et la Kammermusik 1958 composée sur la base du long poème en vers libres de Hölderlin In lieblicher Bläue, comme l’on peut tout aussi bien se délecter à l’écoute d’un grand bluesman, Robert Johnson par exemple ou Jimi Hendrix interprétant The Wind Cries Mary…  

Qu’importe que la voix soit travaillée ou soi-disant naturelle : elle fait toujours l’objet d’une stylisation plus ou moins poussée dans un cadre musical bien défini dans le temps et dans l’espace.

 

 

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