Retour à la RALM Revue d'Art et de Littérature, Musique - Espaces d'auteurs [Forum] [Contact e-mail]
Navigation
Les textes publiés dans les Goruriennes sont souvent extraits des livres du catalogue : brochés et ebooks chez Amazon.fr + Lecture intégrale en ligne gratuite sur le site www.patrickcintas.fr
III - serena
L’enquête de Frank Chercos - chapitre XXIII - 17

[E-mail]
 Article publié le 7 mai 2023.

oOo

Le docteur Vincent ne fut pas surpris (pas plus que ça) de rencontrer Patrice de la Rubanière sur le parvis de l’hôpital. L’homme, vêtu de blanc, sauf le salacot qu’il ne portait d’ailleurs pas plus que la zinta gipuzkoana autour de sa taille fine de romantique attardé, allait et venait entre un poteau indicateur et un lampadaire éteint car le soleil était haut en ce midi. Comme le docteur était coiffé d’un béret il en toucha la visière formée par pli en V renversé, auquel salut le journaliste répondit qu’il faisait chaud et qu’il attendait, sans préciser l’objet de son attente. Il essuyait son front avec un grand mouchoir à carreaux rouges comme une nappe napolitaine.

— Ma foi, dit PDLR, s’il s’en sort, je suis devin.

— Vous voulez parler de…

— De qui voulez-vous donc que je parle ? Vous êtes docteur en médecine, vous deviez le savoir, même si je n’ai jamais envisagé de vous consulter.

— Si vous cherchez à me vexer… fit le docteur en même temps qu’un pas de côté pour quitter le trottoir et éviter le lampadaire.

— Loin de moi cette idée ! Vous savez bien que je suis abonné aux gaffes… surtout envers les femmes… quel que soit leur âge… (interrompant le fil de cette pensée) J’ai appris que Ben Balada était de sortie… ?

— On dit qu’il n’est pas sorti à l’heure prévue… Votre correspondant local ne vous en a-t-il informé… ?

— Ce pauvre comte ! Il n’est plus lui-même depuis que l’assassin de son fils est en instance de libération conditionnelle après la période de sûreté de… de ?

— Vingt et quelques ans. Ça ne vous arrange pas un homme…

— Surtout s’il n’a pas la conscience tranquille. (réfléchissant) Je suis de ceux qui ont cru à la sincérité de ses excuses… avec demande de pardon appuyé par le clergé… mais on sait trop de choses maintenant sur l’activité sexuelle des prélats de l’Église pour ne pas se laisser titiller par le doute.

Le docteur, entendant cela, interrompit sa fuite par le canal de la rigole, s’arrêtant sous le lampadaire en forme d’arbre comme on en trouve peint dans les bergeries classiques, mais la bergère n’était pas peinte et il s’en désola en termes les plus romantiques possible pour ne pas détourner l’attention du journaliste qui attendait et on ne savait toujours pas qui ou quoi. La pluie ? Il fallait être fou pour espérer…

— Fou, qui ne l’est pas ? dit le journaliste. Moi, vous-même. Et cet autre fou qui me fait un AVC alors que j’ai autre chose à faire ! Croyez-vous, comme d’autres, qu’il s’agisse d’une ruse de sa part… ?

— Je n’ai pas suivi le feuilleton… Les maladies saisonnières se suivent à une cadence telle que je n’ai pas de loisir, croyez-moi, et je le regrette plus que vous. Je crains d’avoir du mal à suivre si vous tentez de m’expliquer…

— Oh ! Il n’y a rien à expliquer. L’existence est tellement complexe (je vous fais grâce des facteurs qui produisent, dans le sens le plus simple du terme, cette complexité mortifère) que nous en sommes réduits à créer des personnages… comme si nous n’étions pas assez nombreux sur cette Terre que personne n’a encore eu le malheur de… visiter.

— Pourtant, Frank Chercos est soupçonné d’avoir assassiné l’extraterrestre qui…

— Vous oubliez le comte… ce pauvre Fabrice qui n’en peut plus… comme je n’en peux plus moi-même… et vous, cher docteur, comment pouvez-vous ?

— Ma foi, comme je disais, les maladies saisonnières sont multipliées par quatre et cette simple donnée réduit à l’extrême le temps que je peux consacrer à la lecture des journaux…

— Comme je vous comprends !

Le journaliste s’appuya sur le lampadaire, un pied dans la plate-bande au milieu des trèfles. Le docteur observait des symptômes, mais le domaine du mental n’était pas celui où il officiait. D’ordinaire, il adressait ce genre de pathologie, qu’il soupçonnait toujours avec exactitude, comme quoi il eût été un probablement bon psychiatre, à un spécialiste de sa connaissance, amateur d’anisette pied-noir si possible. Son traitement à base d’anéthol avait, selon lui et la thèse qu’il avait soutenue devant la faculté avec un succès mitigé il faut bien le dire, fait ses preuves depuis autant de temps qu’il exerçait sous le serment d’Hypocras. Justement, il en avait apporté un flacon. Il le sortit de sa poche, le déballa car la feuille de La Méridienne interrogeait le journaliste d’une manière critique, et fit sauter la cire qui se mit à fondre sur la chaussée chauffée à blanc. Le bouchon, toujours de liège, subit une extraction à l’Opinel et, faute de verre, on se servit au goulot, manière de dire qu’en cas d’urgence on peut se passer d’eau, surtout s’il ne pleut pas. PDLR rougit à la limite du blanc, près de se damasquiner par la seule force de sa volonté, ses rides naturelles se creusèrent jusqu’à l’os. Le docteur, plus résistant selon une loi naturelle qu’il étudiait aussi sérieusement, se contenta de jaunir en se tenant le foie.

— Alors comme ça vous attendez quelqu’un… ? dit-il en aidant ses lèvres avec l’index et le pouce.

— Je ne l’attends pas vraiment… mais s’il vient, j’ai deux mots à lui dire…

— Au sujet de son AVC, I presume ?

— Il aurait pu me prévenir. Le comte de Vermort m’est tombé dessus avec une copie de l’accord de branche. J’ai eu beau lui expliquer que je n’y étais pour rien, il a insisté pour que j’envisage une indemnité. Mais je ne suis pas le patron !

— Ah bon… ? Qui c’est le patron… ?

— Si vous saviez !

— Hé bé non je le sé pas…

— (interrompant) Bref ! Je ne sais même pas pourquoi je l’attends ici alors qu’il m’attend peut-être autre part…

— C’est que c’est grand, un hôpital…

— (dubitatif) Vous y allez, vous… ?

— Si on parle de la même personne…

Ce dont le docteur n’était pas absolument certain. PDLR accepta son bras et se conduisit comme une jeune fille jusqu’à l’entrée du service.

— C’est ici les AVC ? demanda le journaliste.

— Ici c’est le Nord, monsieur. Les AVC c’est au Sud.

— J’aurais dû m’en douter, fit le docteur. Pressons !

— Il manquerait plus qu’ils nous claquent la porte au nez, té !

Ils trottèrent jusqu’au service. La secrétaire de service à cette heure tranquille n’avait pas entendu parler de Frank Chercos. Elle fit chauffer son écran, mais rien sur ce Frank Chercos qui n’existait pas selon elle, en tout cas pas ici. Mais dans la chambre indiquée par le docteur au début de la conversation, il y avait un monsieur Rubanière qui était entre la vie et la mort et rêvait beaucoup dans son sommeil. Le docteur sourit.

— En ce moment, ma chère madame, il ne dort pas. Il est tout éveillé (se rapprochant de l’oreille) et je crois même que le traitement anétholique, malgré la privation involontaire de louchissement, n’en déplaise à monsieur Ricard et à son article L3351-3 du code de la santé publique, agit de façon positive sur le patient qui ne tardera pas à rejoindre son poste de commandement au QG de La Méridienne.

— J’appelle la Sécurité…

Quand l’agent de ladite Sécurité arriva sur ses deux jambes comme s’il était poursuivi par le devoir de sa classe, la secrétaire se bouchait le nez, car la bouche du docteur était encore en pleine exposition des résultats de l’expérience dite du lampadaire et de la bergère, bien que malgré la réalité du lampadaire la bergère demeurât introuvable. Le flacon vide, posé sur le bureau de l’inspecteur Frank Chercos, en témoignait. On avait ouvert la fenêtre et côté cloison séparatrice formée de petits carreaux qui portaient la salissure du temps comme un vieux vêtement qu’on ne quitte plus tellement on se sent bien dedans, des nez étaient collés, baveux comme des escargots après le jeûne. Le docteur, pitoyable, ne savait plus comment c’était arrivé. Frank Chercos, soulevant les pieds avant de sa chaise grâce à l’appui de ses genoux sur le bord du bureau, souffla sa fumée en direction du visage penché du docteur qui avait vraiment l’air de se livrer à un effort inhumain de mémoire et d’imagination confondues au détriment de la raison et de la nécessaire volonté sans laquelle l’homme n’est qu’une femme portant couilles.

— Justement, dit le docteur en hoquetant comme un gamin surpris en train de se branler sous les draps, je venais vous voir…

— Vous veniez me voir à l’hôpital ? Mais je n’y étais pas… D’ailleurs en ce moment je ne devrais pas être ici dans mon bureau, mais devant la porte de la prison avec tous ceux qui attendent la sortie de Ben Balada.

— Vous m’arrêtez… ?

— Arrêter le docteur Vincent ! s’écria le flic comme si on lui arrachait une épine qui ne l’avait jamais fait souffrir. Vous n’y pensez pas !

— Que comptez-vous faire… alors ?

— Boire un petit coup de cette anisette andalouse du Nord, il n’y en a plus. Peut-être pourrions-nous retourner d’où nous venons.

— Et pour monsieur le comte de Vermort… ?

— C’est lui l’assassin !

— Vous voulez dire : de notre extraterrestre… ?

— Assassin de son fils ! Que Ben Balada n’a pas tué ! (un temps) Il l’a peut-être violé… ça, je ne dis pas… la tentation était forte… Il n’a pas résisté… Moi-même je ne sais pas si… (solennel) Je vais demander la révision du procès.

Le docteur écarquilla ses yeux de silure. Sa moustache, s’il en avait eu une, se dressa des deux côtés, comme s’il en avait deux (il en avait toujours rêvé). Il se caressa nerveusement les tétons à travers sa chemise lourde de sueur et de sécrétions douteuses. Il commençait à comprendre. Cela se voyait sur son visage. Frank Chercos tapota son sous-main en guise de satisfaction.

 

 

Un commentaire, une critique...?
modération a priori

Ce forum est modéré a priori : votre contribution n’apparaîtra qu’après avoir été validée par un administrateur du site.

Qui êtes-vous ?
Votre message

Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides. Servez-vous de la barre d'outils ci-dessous pour la mise en forme.

Ajouter un document

 

www.patrickcintas.fr

Nouveau - La Trilogie de l'Oge - in progress >>

 

Retour à la RALM Revue d'Art et de Littérature, Musique - Espaces d'auteurs [Contact e-mail]
2004/2024 Revue d'art et de littérature, musique

publiée par Patrick Cintas - pcintas@ral-m.com - 06 62 37 88 76

Copyrights: - Le site: © Patrick CINTAS (webmaster). - Textes, images, musiques: © Les auteurs

 

- Dépôt légal: ISSN 2274-0457 -

- Hébergement: infomaniak.ch -