C’est le charme du conte de se situer partout et nulle part à la fois, dans le temps comme dans l’espace. Avec Moby Dick, vous êtes à Nantucket, à une époque donnée et pour y accomplir le travail de marin qui va vous projeter, avec ses héros inspirés de vrais personnages, dans les confins du monde avec ce que cela suppose d’aventures et de nouvelles connaissances. Ici, partant d’une île qui n’a pas de nom, en compagnie d’un conteur qui n’en a pas non plus, vous allez participer aux tribulations océanes d’un gamin qui n’a pas de nom lui non plus. Tant et si bien que vous êtes incapable de dire si vous rêvez ou si cela pourrait bien arriver, si c’est arrivé hier.

Arrivé à qui ? Mais à votre enfant. Et si vous n’en avez pas, prenez celui de la voisine. Il aura besoin de vous pour saisir le sens de chaque péripétie, l’une après l’autre et dans un ordre qui ne doit rien au hasard tellement cette histoire inouïe semble déjà écrite et comme l’enfance s’éloigne irrémédiablement.

Ainsi, on ne sait pas bien si l’enfant, qui prend la mer sur une embarcation improvisée et peu faite pour naviguer, tel Arthur Gordon Pym, commence par se noyer ou si sa mort est une belle occasion d’y penser, à la mort. Mais d’y penser en poésie, avec de nouveaux personnages qui eux ont un nom, un nom toujours symbolique, comme cette Dame Silencieuse qui est la clé de l’énigme.

Savoir si la terre est ronde ou si elle est plus simplement bordée de cascades qui déversent leurs savantes eaux dans l’Infini, ce n’était qu’une manière de commencer à raconter, car la réponse à la question qui n’est pas posée est la suite logique de cette noyade qui plonge notre petit héros au fond de lui-même où il doit d’ailleurs affronter son jumeau maléfique.

Le combat n’est pas homérique. Le garçon y fait preuve cependant de sa malice et surtout de son honnêteté, ce qui le sauvera ; mais nous ne saurons pas de quoi, à moins d’y réfléchir avec l’enfant qui vous écoute, car toute trace de limite entre le rêve et la réalité s’est effacée, comme par magie. Mais ce n’est pas de la magie : c’est de l’art, celui de conter pour que la trace, si elle doit exister, ne sépare rien ni personne.

À lire avec l’enfant qui a l’habitude de vous écouter ou avec celui qui se met à exister parce que vous venez de lire seul ce conte artistement écrit et illustré et philosophiquement bien pensé. Mais à lire sans esprit de leçon : lire ensemble pour mieux se connaître.

Patrick Cintas

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C’est édité au format epub chez Ali Ribelli Edizioni, en français.

Jason R. Forbus est auteur de romans, de poésies, de contes de fées, et d’essais. Diplômé en sociologie de l’Université d’Aberdeen, il partage son travail entre des consultations au sein des Organisations des Nations Unies et sa grande passion pour la littérature sous toutes ses formes. Ses livres ont été traduits dans plus de 12 langues.

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