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 Article publié le 14 mai 2023.

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D’humeur joueuse ce matin, étant seul, je suis comme un chat esseulé privé de sa pelote. Derechef, je me saisis d’un de mes livres au hasard, tombe sur La maison du Chat qui pelote, de Balzac. Amère ironie du sort.

 

Au pied de l’échelle qui se démène dans le ciel. Montera, montera pas ? Un ange tire l’échelle. Trop tard.

 

Un vaste problème : les sirènes n’ont pas de cul. Avec « les femmes de ma vie », tout s’est toujours terminé en queue de poisson.

 

Je suis une impasse à moi tout seul, et poisseuse avec ça. Qui ose s’y aventurer bien vite me ressemble.

 

Qui s’assemble, tôt ou tard se ressemble. La haine apparaît à d’aucuns comme un puissant viatique. Tout le mal qui nous accable - mais lequel au juste ? - nous viendrait de quelques-uns qu’il faut éliminer ou rééduquer. Nazis et communistes en surent quelque chose.

 

Minorités ou hordes de barbares, peu importe : la segmentation des groupes humains qui se méprisent ou se haïssent est la règle. Clans, castes, classes, tout y passe. La guerre de tous contre tous, tant redoutée, n’aura pas lieu. Ce sont des groupes humains qui se font face, se défient, s’insultent ou s’affrontent : dans ce conglomérat épineux, les personnes ne comptent pas.

 

Les excités de la race ont de beaux jours devant eux. De larges avenues s’offrent à eux comme putains aux soudards. Derrière leurs épais rideaux, quelques bons bourgeois frissonnent d’aise à la vue du spectacle qui s’annonce fas-tueur. Rien de fâcheux d’après mon concierge qui en a vu d’autres.

 

Il y a loin de l’huître perlière au cou de la belle.

Connaissez-vous beaucoup de plongeurs qui rêvent d’étrangler leurs lointaines bienfaitrices ? L’espérance de vie des plongeurs d’éponge est, elle aussi, de bien courte durée.

 

Entre temps, ce qui était infiniment plus grave, colophons et colophane avaient fait leur jonction dans la prose déliée d’un poète dont les vers riaient à gorge déployée à l’approche des grands masturbateurs.

Il les gobait tous promptement d’un vigoureux coup de langue rose qui, par sa fulgurance, évoquait immanquablement un caméléon déjanté camé aux néons et qui gesticulait seul sous les feux de la rampe, bateleur sublime s’escrimant avec les mots des autres, de tous les autres, et tout y passait des langues fourchues, des conneries de comptoir, car pour son public heureux les réseaux sociaux n’existaient pas, ces étouffoirs à paroles débridées.

Exutoires, chaudrons, marmites, voire cocotte-minute

 

On ne débride pas impunément un cheval qui a le mors aux dents.

Triste aphorisme conservateur en diable mais éprouvé-approuvé par les temps qui courent.

 

Encore te faudrait-il être porté par une de ces forces qui n’a pas encore de nom, toute l’œuvre qui s’en suivrait devant être la démonstration de cette force à l’œuvre, la force engendrant l’œuvre illustrant cette force.

 

Une conception de la vie en société - de la vie, non de l’existence - précède toute tentative narrative d’ampleur et préside à sa destinée. Ceci pour les médiocres faiseurs d’histoires fêtés ou non par la critique.

Si élaborée, si sophistiquée soit-elle, cette conception reste toujours en-deçà du phénomène qu’elle prétend décrire. C’est ainsi que toute tentative, si brillante soit-elle, est avortée, si elle se contente de dérouler des scènes et des événements qui vont uniquement dans le sens de la théorie préétablie.

Une écriture qui ne vient pas déranger, contester, perturber une théorie toute faite ne vaut rien.

La puissance de certains écrits, dont l’élaboration fut longue et difficile, tient à ce qu’ils changèrent l’auteur en lui-même : il ne devint pleinement lui-même qu’en affrontant son écriture, en se fiant à elle, tout en conservant la retenue nécessaire pour ne pas être entièrement absorbé en elle, sachant - un savoir que l’auteur ressent au moment d’écrire, c’est une sensation physique qui le transit littéralement - qu’un au-delà de cette écriture est déjà à l’œuvre dans une œuvre réputée achevée : l’auteur n’en restera pas là, il réaffirmera encore et encore sa foi en sa bonne étoile.

Le récit ne raconte que de biais ce qui arrive à l’écriture au moment d’écrire, l’auteur ayant le souci de la maîtrise et de l’œuvre censée en résulter.

La sorte de révélation, qui accueille en son sein le trop plein et le trop à dire que le réel multiforme excèdera toujours, est un Janus : l’auteur s’y révèle être son double souriant dont l’ombre ne cessera de se déplacer en avant de lui-même, mais la révélation excède et le révélé et la personne à qui révélation est faire de ses dons et puissances. C’est là que persiste le noyau religieux de toute expérience.

 

C’est au moment où l’arc se détend qu’il est le plus fort. Il délègue sa force à la flèche.

La flèche, qu’on ne peut suivre des yeux, tant elle est rapide, prolonge le regard de l’archer, file comme le regard d’un épervier qui fond à l’horizontal sur sa proie qui n’en peut mais.

Au Moyen-Âge, le premier prix lors des concours d’archers, c’était un cochon, une véritable fortune à l’époque, d’où l’expression « Schwein haben », littéralement avoir du cochon et qui signifie encore de nos jours « avoir de la chance ».

 

Les poèmes parlent d’eux-mêmes, au double sens de cette expression toute simple.

La mise en évidence de l’évidence, loin d’être redondante, équivaut à la mise au carré de l’énigme, et quoi de plus jouissif qu’une énigme allait s’épaississant toujours plus ?

Cette mise au carré, c’est le poème qui la prend en charge, et qui, ce faisant, décharge le poète de toute responsabilité autre qu’éditoriale.

Surviennent critiques et universitaires, toujours en retard d’une guerre, qui n’en finissent pas de démêler l’écheveau en s’arrachant les cheveux. Les secrets de fabrication sont les plus mal gardés, mais leur connaissance ne garantit en rien que remonter le cours du poème en partant de la tapisserie pour revenir au fuseau et à la quenouille révèle quoi que ce soit de ce que le poème s’évertue à nous dire. 

 

Voilà belle lurette que « les grands de ce monde » ne sont plus entourés de fous du Roi ni de poètes de cour stipendiés, avez-vous remarqué, et ce, en dépit du fait que certains esprits continuent à user de la métaphore, lorsqu’il s’agit de désigner « les proches du pouvoir ». Communicants et publicitaires ont pris le relai.

Ah belle leurette, comme je te regrette !

 

Elle dit, pour se défendre : Nous ne faisons pas l’histoire. La foule hostile hua la belle Inspectrice Pédagogique Régionale à deux doigts de se faire lyncher.

 

C’est quoila différence ? = Quelle est la différence ?

C’est quoiça ? = Qu’est-ce que c’est ?

C’est quoice ton ? = Que signifie ce ton ?

La locution « C’est quoi » est un silure très répandu, y compris dans la langue journalistique contemporaine gagnée par le relâchement : comme on le voit, elle répond à trois fonctions distinctes : la signification, l’identification et l’explicitation. C’est donc un fourre-tout linguistique fort commode pour ceux que l’emploi d’une expression adéquate fatigue.

Le choix de la facilité doit être dénoncé pour ce qu’il signifie : un abaissement des facultés mentales de discernement, une faiblesse insigne méprisable. Faire implicitement l’apologie de la facilité linguistique revient à valoriser la faiblesse d’esprit. Au lieu de piquer au vif la curiosité de l’éditeur par une expression imagée haute en couleurs, au lieu d’user de mots précis qui éveillent l’attention et requièrent une petite recherche sur les CNRTL, nos journalistes et commentateurs préfèrent jouer la carte de la « simplicité », confondant en cela la saine simplicité d’un propos clair et précis avec le relâchement d’une langue savante qui singe une langue populaire indigente.

Le relâchement de la langue parlée par les journalistes de la presse télévisée (quand ce ne sont pas des amuseurs publics, genre néo-bateleurs de foire, noblement dénommés animateurs-télé) signifie-t-il que les journalistes désirent « faire peuple » en parlant (intention démagogique) ou qu’ils sont réellement gagnés par une sorte de solidarité linguistique corollaire d’une solidarité de condition ? Il ne saurait être question de solidarité de condition avec les plus humbles de nos concitoyens ! Les journalistes les plus en vue appartiennent au gratin médiatique qui copine avec la classe politique. Plus banalement, il me semble que le relâchement de la langue parlée rapproche les journalistes de leur public, le plus grand dénominateur commun étant la facilité liée à un lexique d’une grande pauvreté et à des tournures de phrase indigentes : peu ou pas de locutions idiomatiques, un gallicisme réduit au strict minimum : « il y a » réduit à « ya », une syntaxe brinquebalante, pauvre et souvent fautive réduite au « minimum vital » à peine au-dessus du langage d’un enfant de douze ans, une sorte de haine implicite de la rhétorique, un langage truffé d’anglicismes (il faut vivre avec son temps ! Ah, je sais, je chinoise !), la prolifération de la cheville « quelque part » qui n’apporte rigoureusement aucune information sur le sujet abordé, mais laisse vaguement entendre « qu’il y a de ça », c’est-à-dire que l’on est proche de la vérité, étant sous-entendu que la vérité ne peut être qu’approximée et que moi, humble intervenant, je ne puis prendre le risque d’affirmer de manière tout à fait certaine ce que je suis tout de même contraint d’affirmer pour avoir quelque chose à dire. Prolifère également « un peu » placé devant un adjectif ; ce « un peu » pondère lui aussi le propos en atténuant la puissance d’affirmation de l’adjectif. Tous ces « quelque part » et ces « un peu » traduisent-ils un doute et une prudence de bon aloi dans un monde incertain ? Il me semble que de moins en moins de personne qui ont une prise de parole publique osent affirmer sans ambages ce qu’ils pensent, sans doute de peur d’être critiquées par telle ou telle fraction-faction sévissant dans les réseaux sociaux qui contribuent largement à étouffer le débat public.

Ecoutez durant une heure une chaîne d’information en continu avec un crayon et un calepin à la main et amusez-vous à relever toutes les fautes de syntaxe, en particulier les subordonnées relatives massacrées, les à-peu-près lexicaux, les raccourcis et les anacoluthes, et vous serez édifiés !

 

Ainsi, tu ne serais que la béquille d’un imbécile invisible ? Qu’arrivera-t-il alors, si tu disparaissais ?

L’imbécile en question, l’Etat ou le Capital, n’a que faire de toi en tant que personne ; tu dois te contenter d’être un bon citoyen qui paye ses impôts, obéit à la Loi et un consommateur zélé qui contribue à faire tourner à plein régime la machine économique. Etant donné que tu ne comprends rien aux rouages de l’Etat - tu n’as pas « fait l’ENA » -, étant donné que tu ne peux comprendre les enjeux, les stratégies, les impératifs ni même avoir une quelconque idée des responsabilité écrasantes qui pèsent sur les épaules de nos pauvres hauts fonctionnaires, ministres, directeurs de cabinet, etc…, nos « grands hommes d’aujourd’hui », tu te dois de suivre le mouvement sans trop poser de questions. Une version « soft » du bon vieux « Marche ou crève » que les déportés d’Auschwitz ont bien connue lors des « marches de la mort ». Ah, je sais, j’exagère toujours, j’en rajoute dans le pathétique en établissant des liens entre des manières de faire extrêmes et des pratiques « démocratiques » plus douces, plus « humaines », n’empêche que je ne puis m’empêcher de considérer la mort lente et la vie au rabais que nous propose le capitalisme comme indigne de ma condition humaine. De là à vouloir changer la vie ou à faire de la politique, il y a loin, étant donné mon scepticisme. A défaut de pouvoir détruire le grand haras dans lequel nous sommes tous et toutes parqués, je rue dans les brancards.

 

Autrefois…

Mais quand au juste ? tout dépend des lieux, les époques, s’il est pertinent de découper le temps en époques, semblant se chevaucher tout autant qu’elles se contrarient : républiques versus monarchies, démocraties versus autocraties, Etats libéraux versus régimes totalitaires…

Autrefois, avant que les monarchies européennes, contraintes et forcées, ne mettent de l’eau de leur vin, on parlait volontiers de fait du Prince pour désigner une faveur accordée par un caprice princier.

De nos jours, au fait du Prince s’est substitué les faits et gestes du Prince.

Objet de toutes les attentions, bienveillantes et malveillantes, le Prince, sa famille et particulièrement ses héritiers font l’objet d’une surveillance largement hypocrite : on scrute les moindres faits et gestes, on colporte et amplifie les rumeurs les plus folles, on rapporte et déforme des propos, tant et si bien que la personne princière ne s’appartient même plus dans l’étroit domaine privé dont Princes et Rois bénéficiaient jadis entre les murs de leurs palais où ils pouvaient s’adonner en toute discrétion à leurs perversions, leurs lubies ou leurs passions. Le « grand public » aime pouvoir admirer mais aussi se gausser des Princes : à chaque fois qu’ils commettent un impair ou une « faute morale », ils déchoient ; le grand public » peut ainsi se vautrer dans la fange des grands de ce monde, tout en les conspuant. Complicité distanciée…

 

Jean-Michel Guyot

12 mai 2023

 

 

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