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III - serena
L’enquête de Frank Chercos - chapitre XXIII - 25

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 Article publié le 2 juillet 2023.

oOo

« La salope ! » s’écria le comte.

Heureusement, il était dans son bureau insonorisé. D’après Octavie, Madame lisait dans la bibliothèque, mais en retournant à la cuisine, elle se demanda si Monsieur parlait de Madame ou d’une autre personne. Elle ne l’avait jamais entendu parler de Madame en ces termes. Certes, Madame le traitait quelquefois de con, mais Monsieur de salope jamais. Dans la cuisine, le téléphone mural sonna. Elle décrocha sans cesser de penser à la destinataire de ce qualificatif qui, par exemple, ne pouvait en aucun cas s’appliquer à elle. Elle ne s’était jamais conduite de la sorte. Octave pouvait en témoigner. Et avant lui.

— C’est toi, chéri ? Tu sais bien que Madame défend l’usage du téléphone pour des motifs ou autres babioles personnelles.

— Ce n’est pas perso, rassure-toi, mon chouchou parisien.

— Tu me fais peur, Octo…

— Ben Balada est sorti ! C’est fait !

— Grand Dieu !

Il était sorti (enfin) et notre Hélène n’en avait pas été informée. Mais par quel canal ? Au lieu de ça, elle s’était occupée à punaiser un billet écrit à la main en lettres capitales et tremblantes sur la porte même du bureau de Fabrice de Vermort. Elle avait franchi l’enceinte du château à un endroit de son mur qui s’était écroulé dans son enfance et, évidemment, le comte ne l’avait pas fait relever depuis. Puis, relevant ses jupes sur ses puissantes cuisses de nageuse médaillée, elle atteignit la façade Nord où s’ouvrait la fenêtre du bureau. Il ne lui fallut pas longtemps, car son père avait connu un monte-en-l’air newyorkais (King Kong), pour escalader la muraille, ses tuyaux de descente qu’elle monta, et ses appuis qui n’avaient aucun secret à lui révéler depuis qu’elle avait grandi. Elle n’entra pas toutefois dans le bureau. Elle connaissait les lieux pour en avoir joué dans son enfance. Elle progressa à angle droit, reconnut chaque pierre, et entra par une petite ouverture sans fenêtre ni volet qui donnait abruptement sur la céramique encore rutilante d’un WC à la turque. Elle y jeta d’abord un coup d’œil, car le comte en faisait un usage aussi fréquent que ses lubies sexuelles. Il n’y était pas. La porte ne grinça pas. Le couloir était désert. Le mot était écrit. Prêtes les punaises. Le tour fut joué en un rien de temps. Le chemin du retour était le même. Mais elle ne rentra pas à l’hôtel. Elle vérifia qu’il y avait du réseau et, patiente comme elle savait l’être quand elle était certaine de gagner, elle attendit sous un arbre, n’importe lequel, ce bois en contenait d’innombrables et bien que tous eussent un nom pour être reconnus, elle ne les regardait pas ou seulement s’ils lui imposaient un obstacle et alors elle mettait en jeu sa connaissance de l’athlétisme et de la tactique.

Le portable ne tarda pas à chanter. Elle décrocha. Il avait lu le mot. Était-elle folle ? Anaïs aurait pu.

— Mais il ne s’est encore rien passé, mon chou, dit-elle sans rien laisser paraître de son émotion.

— Voyons-nous !

— Tu sais où.

Elle raccrocha. Comment aurait-il pu oublier ? Sa petite queue toute droite et rouge comme un piment d’Espelette. Elle entra dans le bois. La sente avait perdu ses vieux repères, mais ne suffisait-il pas d’en suivre le cours comme on se laisse aller de l’amont vers l’aval ? Le pavillon de chasse était abandonné depuis longtemps. Cependant le comte y avait aménagé un coin de solitude. Point de livres ni objet passe-temps. Le fauteuil abritait des petits animaux qui prenaient la fuite dès votre entrée dans les lieux. Le vieux plancher de châtaignier était crevé par endroit entre les solives. Un rideau vieillissait aussi lentement que les murs où rien ne pendait à part des toiles d’araignée. Le comte y connaissait des jouissances extatiques, sans injection ni inspiration. Les mêmes fantasmes depuis qu’elle avait comparé sa queue en formation à un piment extrait d’un lieu de villégiature où les jeux ne manquaient pas de. Elle n’entra pas. Elle avait seulement poussé la porte. Une couverture de laine était pendue sur un fil sous la véranda. Encore douce, propre à. Elle l’entendit arriver. Fusil à l’épaule.

— Ce conard de major m’a confisqué mon bon vieux Purdey over-and-under, tu sais… ? (elle savait) Te souviens-tu de ce Noël où j’ai reçu celui-ci ? (elle ne se souvenait pas et pour cause elle n’était pas née)

Il tira une chaise de l’ombre et la lui offrit. Elle fit non de la tête. Il s’y assit à califourchon, ayant posé le Simplex contre le mur. Ses lèvres étaient pincées par les dents.

— Je ne vois rien pour moi, dit-il.

Elle souleva sa jupe et sortit la liasse de sa culotte. Puis la jupe retomba et la culotte disparut. Il n’avait pas tiqué. Pas un poil de sa barbe n’avait frémi. C’était un vieux colon qui en avait vu d’autres.

— Combien ? dit-il. Puis il se ressaisit et murmura : Tu n’as jamais voulu de mon argent. Je ne sais toujours pas de quoi tu avais envie. Tu étais si jeune. Sans poil. J’aimais ta manière d’entrer dans l’eau. Tu es devenue une nageuse de classe, dit-on.

Mais elle ne lui tendait pas la liasse. Elle la serrait contre sa poitrine, bras croisés.

— Je n’ai jamais tué personne, dit-il. Les soupçons du Parquet sont ridicules. Mais le témoignage d’Anaïs, s’il ne me charge pas, n’abolit pas la possibilité d’un assassinat. Pourquoi le deuxième coup n’est-il pas parti ? (riant) Moi, étrangler un extraterrestre ! (un temps) Pourquoi pas Frank ? (autre temps) N’est-ce pas lui après tout qui s’est impliqué dans mon jeu… tu sais… La Méridienne… (elle savait) Mais, si j’ai bien compris ce que Vincent nous a dit, ton petit ami n’a aucune chance de s’en sortir. (presque joyeux) Ou alors il reviendra en… extraterrestre ! (il soulève son cul) Tu ne veux vraiment pas t’asseoir ? Je sortirai le fauteuil et…

Elle l’interrompit, lui jetant la liasse à la figure. Il eut la sensation qu’elle l’aspergeait comme jadis, dans l’eau de la rivière, lui qui ne savait pas encore nager, et qui aujourd’hui ne se serait pas risqué… Les feuilles et les photographies se répandirent autour de lui. Pas de vent pour les emporter. Il reposa son cul. Il haletait. Il avait le cœur fragile à cause du soleil et de la poussière, là-bas. Elle le savait. Pourquoi cette cruauté ? Elle fit mine de s’en aller. Il se leva aussi brusquement que le lui permettaient ses articulations elles aussi victimes des mêmes phénomènes coloniaux. Mais elle se retourna et le gifla. Il encaissa, mais pas comme un boxeur qu’il n’avait jamais réussi à interpréter, comme un gamin que les coups rendent voluptueux, un aspect de sa personnalité qu’elle l’avait aidé à découvrir. D’un aussi brusque retournement, il saisit le fusil. Elle en tenait déjà le canon, comme sa bite du temps des Colonies. Le coup parti. La tête fut arrachée au-dessus du regard. Elle s’écroula, jambes sciées. Toujours dans le feu de l’action, il jeta la couverture sur le cadavre encore en proie à des convulsions. Le mur était. La terre battue de la véranda. Il pensa : sa Brabant, son hôtel, son rendez-vous avec Ben Balada.

Et de trois. Ça fait beaucoup à la campagne. De quel étau parlez-vous ? Il écoutait les arbres. Inutiles de cacher le corps. Quelqu’un soulèverait la couverture. Il était nécessaire que ce geste eût lieu. Calibre 12. Chevrotine. Sa chevelure rouge emportée dans le fond de la véranda. Il fallait que quelqu’un prenne cette photo. Il n’avait même pas pris la peine de ramasser les papiers. Il songea : c’est fini. Mais il continuait d’avancer. Le bois était dense. Le taillis étouffé. Des troncs pourrissaient sur place. On entendait la rivière. Une petite branlette. Pourquoi s’en priver ? Comme Chinaski avant de remonter les draps sur sa carcasse de vieux dégueulasse. C’était ça l’Amérique. Et ce n’était pas ça les Colonies. Le gland à l’air, sous les feuillages noirs, il cessa de caresser. Et une minute plus tard, il était de nouveau sous la véranda. Il ramassa les papiers. D’abord les photographies qu’il rassembla sur la table qui se trouvait là. Puis les feuilles dont certaines étaient liées par une agrafe. Il prit grand soin de ne rien éparpiller, fit deux tas, les aplatit consciencieusement, puis il fourra le tout derrière sa ceinture, n’oublia pas le fusil cette fois, emporta la couverture, Hélène bougeait encore, ce n’était peut-être pas si grave, une femme qu’on vient de priver de son cerveau. Il n’avait pas touché au sexe. La tentation était grande d’éjaculer, mais ceci n’était pas une œuvre de son imagination, il était trop vieux pour s’imposer comme l’auteur d’une réalité définitive, décomposition des chairs non comprise.

 

 

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