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V - ALBA
Nouvelle vague

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 Article publié le 24 septembre 2023.

oOo

Il suffit de dire qu’Éris n’est pas odieuse ou malicieuse. Mais Elle est espiègle, et peut être un peu salope parfois. ibid.

…de dire que Nixe est un nom de famille très courant en région toulousaine et qu’en effet la proximité sonore avec la déesse de la Nuit m’a inspiré, heureusement ou pas, des glissements sémantiques à propos de sa fille Éris, non pas Éris Nixe mais vous comprenez, monsieur, que je me garde de révéler son nom de famille, mettons Éris X pour simplifier, soit Léona X, fille de Violette qui l’avait affublée de ce prénom dent de lion suite à ses innombrables lectures de la Nadja de Breton, oui tout est parti de Nixe, de la nuit, et cette petite tordue de l’esprit et du cœur était une fouteuse de merde, ses petits camarades d’école la surnommaient la Toscona, un toscón est une tartine de pain grillée, mais au sens figuré c’est un fouteur de merde, je ne vois pas le rapport mais il existe, elle provoquait le désordre partout où on lui permettait d’entrer, une partie de foot ou de dînette, de trempette dans l’écume des vagues ou de dégustation à la table voisine, partout elle parvenait, par envie et par le moyen de l’hypocrisie, à provoquer des disputes, parce qu’elle avait envie de posséder ce que l’autre fille possédait par conquête ou par amour, et elle jouait la petite garce auprès du garçon, on avait fini par la surnommer la Tortillera parce qu’on s’imaginait qu’elle s’efforçait de fâcher le garçon contre la fille pour posséder la fille, elle manquait d’imagination et ne pouvait procéder que par la pratique constante et fébrile de l’envie, ça tombait bien sa mère et moi l’avions plongée dans le pays de l’envie, d’après Unamuno, on venait de celui de l’avarice, on l’avait fui pour vivre au soleil al-ándalus (émirat de Grenade), et j’avais des tas de choses à écrire, seulement perturbé par cet excès de nuit, de la part de la mère comme de la fille et j’en suis arrivé au point où je ne savais pas comment m’en défaire et mon copain Joaquín me donnait des conseils, c’étaient des conseils andalous enduits de raifort allemand, des saucisses bouillies, pire que le mouton mongol, et maintenant il m’empoisonnait l’existence avec ces deux tantes qui occupaient et occuperaient la maison d’en haut, presque une choza, pour un temps indéterminé qui pouvait prendre fin après le mien, mon temps que je ne parvenais pas à compter parce que je me laissais envahir par d’autres égoïsmes, et les journées étaient trempées dans la sauce soja et les larmes, je suis revenu de là-haut avec la rage au cœur, l’esprit bon pour le puzzle des jours, rien pour mettre de l’ordre dans ces idées, j’avais vu un iguane bleu dévorer Léona et enculer Violette, et Joaquín finissait sa jornada dans le barranco, écrasé lui et sa Puch par l’éboulis qu’il avait provoqué, qui c’étaient ces tantes ? Pourquoi moi ? Et comment il avait pensé le Joaquín que j’allais encaisser cette offense sans embaucher la petite salope de Léona, spécialiste du genre, pour briser le lien apparemment indestructible qui unissait Ben à Octave, je ne les connaissais que sous ces petits noms peut-être d’emprunt, c’est souvent que ça arrivait qu’une vieille Anglaise se fasse appeler Paquita et apprenne le zapateo à l’étage au-dessus, je dis ça parce que je l’ai vécu et que ça avait fini par ce que la Guarda civil avait pendant de longues minutes considéré comme un viol, mais je n’avais pas la tête de l’emploi et Paquita a ouvert un puti à proximité de la maison, dans un angle de la route fondante et odorante bordée d’asphodèles et d’yeux aux aguets, les bagnoles soulevaient des nuages de poussière qui venaient se coucher sur ma toiture, laquelle j’avais ouverte pour avoir de la lumière l’été, hors l’été la chambre n’était éclairée que par la porte qui était une simple ouverture fermée par un rideau de jarapa, je dis ça maintenant que tout est fini, chacun est retourné à sa place et j’en suis toujours au premier chapitre, celui de l’attente du lecteur qui est censé perdre patience et tout ignorer du suivant si jamais il s’écrit mais ce sera sans moi, je suis trop seul pour en penser quelque chose d’aussi positif qu’un projet de roman, je suis retourné là-haut, cinquante mètres de sente aride et déjà brûlante, un dénivelé à couper le souffle et l’érection, j’en avais la sueur qui me sortait par les manches, ils étaient encore en train de siroter de l’anisette sous leur parasol aux couleurs de je ne savais quelle religion de la joie descendue sur terre après s’être baignée dans le ciel infini et torride comme l’enfer magnétique sous nos pieds, j’avais oublié mon chapeau de cuir de bison séminole ou je venais de l’égarer en chemin, deux foutues tantes que c’étaient et j’étais pas leur neveu ni leur nièce, et la fumée formait déjà des volutes noires qui remontaient moins vite que moi, je suis arrivé avant elle

— Justement nous buvions

— Je ne m’invite pas, Violette veut savoir si vous savez cuisiner

— Ben a appris à cuisiner

— Ah ouais où ça

— Dans mon enfance

— Drôle d’enfance (commente Octave qui a le bide à l’air et a oublié de se raser ce matin, ça me met toujours un tas de puces à l’oreille, ces conversations entre étrangers qui se comprennent sans trop en dire, j’ai déjà un verre sous le nez, je ne bois jamais le matin, pas avant que la cuisine cesse de fumer, parce que la fumée, avant de monter là-haut, elle entrait par le rideau de la chambre et sortait par l’ouverture du plafond, entre les chevrons de châtaignier tordus comme des sarments mais parfaitement dressés en surface sur quoi s’appuyait les dalles de schiste elles-mêmes dressées à la barre à mine ou à la hache, j’en sais rien, Joaquín m’explique toujours tout de travers et la couleur locale que nécessite mon récit devient aussi trompe-l’œil que les guiboles d’une pute dans la lumière des néons de Paquita)

— Buvez, buvez ! Ça vient de chez nous

— On en a ici aussi, et de la bonne, peut-être meilleure, de quoi croyez-vous que les Pieds-Noirs se sont inspirés pour séduire et endormir les patos que vous êtes

Ah j’étais pas de bonne humeur ce matin, mais je n’ai pas dit ça, j’ai dit autre chose de banal, comme quand on n’a pas envie de se faire avoir mais qu’on n’a pas renoncé à en savoir plus, c’était la meta de ma jornada de rentier, en savoir plus sur ces tantes, Joaquín ne m’avait rien dit de plus que c’étaient des tantes et qu’il avait une balsa à récurer et qu’en plus sa Puch toussait dans les montées, ce qui ne lui était jamais arrivé

— Le soleil, le soleil, certes, mais attendez qu’il se mette à pleuvoir et vous comprendrez

— Qu’est-ce qu’on comprendra ?

— Il veut dire qu’en un rien de temps il pleut autant que chez nous dans le même temps

— Même qu’une fois ma bagnole est descendue jusque dans la vallée, frein bloqué pourtant, elle avait flotté comme du vieux bois, et les gosses jouaient dedans quand je suis arrivé, un type m’a demandé si c’était ma bagnole et pour en être sûr il a appelé les flics et je n’avais pas mes papiers sur moi, je suis remonté, ils m’ont suivi, et sous la tonnelle, pendant qu’on se rafraîchissait, ils ont remarqué votre barraque, ils n’étaient pas du pays, ils étaient étonnés qu’elle ne soient pas louée et quand j’ai nommé le propriétaire et l’accord tacite qu’on avait conclu lui et moi ils se sont tus et ils sont partis avec je ne sais quelle idée dans la tête

— Ce sont les gosses qui ont dû être déçus, une voiture descendue avec les flots, comme par miracle, le jour des rois à la fin de l’été, une belle histoire, il faudra que j’écrive quelque chose sur le sujet, ne crois-tu pas, Octave ?

— Parce que vous écrivez ?

J’ai presque beuglé cette question et ce n’était pas mon intention, moi si discret et tempéré en présence de l’étranger, surtout que c’étaient des tantes

— Ne me dites pas… commence Ben le bec dans son verre

— Si, si, je peux le dire, je suis là pour ça

— Ah ? Vous aussi (voix sifflet d’Octave qui dose le verre suivant)

Le soleil ne tape pas trop dur à cette heure matinale, même sur le crâne si on n’a rien à mettre dessus, j’avais une envie folle de parler de mon chapeau séminole, mais je sentais que c’était hors sujet, parce qu’il y avait un sujet, je savais maintenant que Ben avait choisi cet endroit secret pour écrire, mais j’ignorais pourquoi Octave l’aimait et réciproquement, je me posais des questions que je ne pouvais pas poser aux autres, Léona s’amena avec une assiette de tentacules de poulpe ou de pota, allez savoir, les mecs préparez-vous à mastiquer, elle a encore oublié le bouchon de liège, c’est Léona qui explique le truc alors que c’est un secret de Polichinelle, l’encre s’est échappée dans l’évier à l’équarrissage, autre trahison de la fille de la Nuit, et ce ne sera pas la première, elle va grandir dans le voisinage de ces tantes curieuses comme les pies de mon enfance, becs aux reflets d’or des feuillages

— Tu en sais des choses dis donc

— C’est beaucoup pour son âge

— Trop (dis-je sans amertume en surface)

— Nous avons un enfant nous aussi, tu sais

— Je le sais, Fredo nous l’a dit, c’est chouette, il vient en vacances ?

— Comment sais-tu que c’est un garçon ? (toujours moi)

— Je ne le sais pas ! C’est toi qui l’as dit !

— Ça se devine aussi, fait Ben et Octave reçoit en souriant le clin d’œil

— Tu as oublié le pain (encore moi)

— No problemo ! On en a, je vais le chercher

— On dit problema

elle veut montrer qu’elle en sait plus qu’eux, qu’elle a une plus longue et riche expérience des lieux, de ses habitants et de leur langue séculaire, voilà le pain, coupé en tranches, je le préfère en dés, Léona dit

— Nous on le coupe en dés

— C’est donc meilleur en dés ? (Octave, en élève attentif)

— Ma grand-mère vous aurait arraché les yeux si vous aviez approché un couteau du pain en question considéré, cela va de soi, comme le corps même du Christ (celle-là je la raconte toujours à un moment ou à un autre de la conversation ou travaux d’approche destinés à connaître les véritables motivations de l’étranger qui se prend pour l’eau du verre)

— C’est à la fois beau et émouvant ! s’écrie Ben

Celui-là, on ne saura jamais s’il est sérieux ou s’il badine chaque fois qu’il l’ouvre, à l’instar de son vieil anus, qu’est-ce qu’il écrit ?

— Celle-là, dis-je en m’efforçant de paraître aussi neutre que possible, vous pourrez la placer dans un de vos romans

— Oh mais Ben n’écrit pas des romans ! C’est un poète !

— Mais l’anecdote ne manque pas de poésie, corrige Ben qui tapote les fesses de Léona on se demande sur quel rythme, ça m’est égal, elles ne sont pas de mon sang

— Moi aussi je connais des poésies, s’enflamme la fille de la Nuit qui ne comprendra jamais la différence énorme qui sépare définitivement la capacité de mémoriser de la joie de créer

— Ah voui… ? (dit Octave qui préfère les garçons) On organisera une soirée et oh voui ! tu en seras la star et Ben sera aux anges, je peux te l’assurer, il adore les enfants qui savent des poésies

— J’en sais des tas, c’est ma Mamy qui m’apprend, mon auteur préféré c’est Walt Disney, mais maman dit que c’est pas un auteur et que Mamy est une idiote

— Elle ne dit pas ça comme ça (corrigé-je)

— Mais elle le dit ! Point !

Le poulpe a la consistance du pneu et le goût de l’air qui s’en échappe suite à une action directe de la jeunesse sur la génération qui lui a donné le jour, ça mâche entre les gorgées, la réputation de cuisinière de Violette est faite, je vais pouvoir me reposer sur ces lauriers, mais il y en a tellement d’autres que je crains d’avoir mis les pieds dans où je ne voulais pas les mettre, exactement à cet endroit, et pourtant j’y étais avant eux, je n’ai jamais vécu avec des tantes au-dessus, et ça me rend malade de ne pas savoir pourquoi c’est à moi que ça arrive, je n’ai rien contre les tantes, j’ai même essuyé des larmes entre Jack et Neal, à l’époque où je n’avais pas les moyens intellectuels ni artistiques de comprendre pourquoi le succès vient aux uns et aux autres ne sourit pas sauf pour ne pas rigoler

— On verra, on verra, m’empressai-je de préciser au cas où mon statut de père de famille serait soumis à l’épreuve de la contestation dans le cadre étroit d’une succession pré-mortem

— Tu n’es pas mon père, susurre la gamine

— Je pourrais l’être

— Tu ne l’es pas

— Je le serais si tu

— Tu ne le seras jamais parce que j’en ai déjà un

— Ben et Octave s’en fichent

— Vous vous en fichez ?

Ça n’est jamais bien de semer le doute chez les voisins qui ne sont pas venus habiter près de chez vous pour douter de votre capacité à accepter l’enfant d’un autre

— Répondez, quoi ! Vous vous en fichez… ?

— Vous féliciterez votre épouse pour cet excellent poulpe (Octave)

— Voui. Excellent. Jamais goûté mieux ni mieux cuit. Vous lui direz, n’est-ce pas ?

— Vous ne voulez pas répondre à la question, tant pis pour vous, vous n’en saurez pas plus, mais attendons demain, comme dit Mamy, mañana veremos

— Ta mémé n’a jamais dit ça (moi) tu inventes pour avoir raison alors que tu as tort, comme d’hab

Pas bien de se chamailler chez les autres, elle reprend l’assiette presque pleine, c’est Violette qui va être déçue, mais n’a-t-elle pas l’habitude de l’être chaque fois qu’elle prétend se montrer sous son meilleur jour hérité de son éducation rurale ? mañana veremos c’est Joaquín qui le dit, on n’a pas parlé de Joaquín alors que j’étais venu pour ça, il faut toujours que la Nuit envoie sa Fille pour semer la discorde et ça marche à tous les coups

— Je n’ai pas vu Joaquín depuis… commençai-je

— Depuis quoi donc… ?

— Depuis que vous êtes… là

— Vous doutez de… ?

— Vous êtes les bienvenus !

— Le poulpe était fameux !

Elle ne fuit pas, elle ne fuit jamais, elle prend le temps de quitter la scène, sait comment jouir de ce qu’elle vient de figer, sent à quel point les applaudissements font défaut, mais son cœur bat à la place de la claque qu’elle trouvera un jour les moyens de payer, elle est encore vierge, ne l’oublions pas, c’est du moins ce que vérifie régulièrement Violette qui a le sang un peu gitan des fois

— Une fillette intéressante, dit Ben. Lazare aussi est intéressant, n’est-ce pas, Octave ?

— Il n’est pas de notre sang non plus, (se tournant vers moi, l’air compassé) c’est dire si nous vous comprenons, ce n’est pas tous les jours facile

— Octave, voyons ! Monsieur Tulipe n’a aucune envie de savoir

— Nous en savons bien quelque chose, nous, cette fillette m’a oh

Il s’essuie le front, dégouline de plus belle, se dresse sous le parasol pour chercher la meilleure ombre possible, celle qui vous dissimule, soustrait au moins votre regard, il n’y a rien comme le regard pour vous trahir, surtout si vous avez conservé votre âme d’enfant, laquelle est copiée sur celle de votre sœur, ou de votre voisine si vous n’avez pas de sœur, il y a bien une image quelque part dans votre mémoire qui vous change le regard au point que la moindre fillette vous inspire le suicide, on dirait qu’il va pleurer, si j’en juge par ses mains étreignant le piquet du parasol, Ben n’a pas bougé d’un poil, il me revient de sortir, côté jardin ou côté cour, je ne me rappelle plus ce que j’ai écrit en didascalie, il va falloir que je me surveille, l’âge me fragilise au contact des autres sitôt que j’en sais un peu plus à propos de racines, de profondeur, de cette eau que le figuier planté définitivement sur la roche va chercher dans les entrailles de la terre qui l’éternise au moins le temps d’une existence reproductible malgré le désert qui vous environne, cette chipie a encore foutu le bordel, Violette refusera de me croire, rétorquera que je suis en proie à mon imagination d’écrivain raté, elle ne dira pas raté mais elle le pensera, les restes de son poulpe gisent dans la gamelle, le pain est dur quand on le conserve comme une relique

— Je suis sûre que ce sont de bons voisins

— Qu’est-ce que tu en sais ?

— Les homosexuels sont toujours

— Tu n’en sais rien

— Mon père était homosexuel, je sais

— Le mien les détestait

— Joaquín a des problèmes, il faut bien que

— Ne change pas de sujet !

 

 

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