Il ne s’agit rien de moins que d’opposer un ensemble de mécanismes créatifs à un système de dispositifs destructeurs de la personne et des relations humaines, dont les plus évidents sont les réseaux de surveillance et les projections publicitaires. Cet esprit constructeur réduit franchement les imaginaires possibles pour laisser un maximum de place à la réalité, celle qu’on sait être là.

L’inspiration (si je puis dire) qui promeut cette manière d’exister vient d’une part de la révolte provoquée par le système, d’autre part du désir de la confronter à la poésie (1).

Ainsi, l’être humain en mutation pense ou espère passer du statut de robot à celui de ce que le poète voudra bien en faire, car ici chacun est libre d’agir comme il l’entend.

Et aussitôt, depuis plus de 15 ans, le mutantisme émaille son chemin, qu’il qualifie de préhistoire, de machines et de tous les processus qui l’animent en périphérie ou en son cœur (kernel) lui-même. Une terminologie précise s’ensuit, que le lecteur découvre dans la série de manifestes que les éditions Caméras animales publient de loin en loin, ayant mis à l’œuvre un équipage aussi nombreux que diversement prolifique (2).

Tout y est soigneusement décrit et présenté, force corollaires aussi scrupuleusement exprimés ; on en retiendra les énoncés comme autant de repères et de mises en garde. Mais le lecteur de ce dernier opus mutantiste aura vite fait de le mettre à profit sans en perdre de vue la pertinence, pour apprécier ce qui s’ensuit de poétique, comme on va de la théorie à la pratique, d’ailleurs aidé en cela par un index étudié pour.

La musique et la danse, la représentation mise en scène ou laissée au hasard, les mots eux-mêmes dans toute leur diversité d’emploi et de compromis, le sens de la vitesse d’exécution associée aux arrêts sur image —toutes ces fonctions apprises aux meilleures sources de la modernité, —c’est-à-dire au temps qui précède une néo-préhistoire de l’Homme — donne lieu, et ce n’est pas peu de le dire, à un foisonnement d’idées, de sonorités nouvelles et de perspectives chacune décrite par le menu comme autant de scénarios possibles avant exécution hors du contexte toujours un peu abstrait du livre lui-même.

On sent, en lisant cet opus 1.3 et après avoir revu les précédents (des années je vous dis !), à quel point les participants à cet essai de représentation du Mutant ont travaillé le sujet (« le mien même et toujours un peu celui des autres »), qu’ils en connaissent déjà les singuliers prolongements et que des œuvres se profilent —mutantistes certes — mais non sans relations intimes avec Faustroll, Duluoz, Alice et tant d’autres spectacles de la conscience que l’Histoire n’a pas laissés dans le fossé de la douleur, de l’angoisse, de la joie aussi, qui doit tout au plaisir à condition que les sens aient commencé à muter suite à un dérèglement de longue date passé dans les mœurs… des plus prompts à retrouver le fil de la vie et de ses existences.

Certes le processus ne sera pas perçu par tout le monde, mais si on y regarde de plus près, à la loupe hallucinogène ou strictement binaire, il est en marche et chacune des séquences qui se succèdent dans ce MUT 1.3 constitue un début de preuve… si jamais il est désormais question de se présenter devant le Tribunal, ce qui arrive tôt ou tard —curieux endroit d’ailleurs, où tout s’achève en cessant à la fois d’être et d’exister —preuve, s’il en faut une de plus, qu’on a plutôt intérêt à au moins feuilleter les propositions contemporaines, dont le mutantisme, quitte à ne plus savoir à la fin à quel sein se vouer. La réflexion entreprise par l’arc mutantiste est d’une profondeur qui invite au vertige futuriste.

Patrick Cintas