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 Article publié le 29 octobre 2023.

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Fabuler, fictionner en puisant dans le réel des motifs de réflexion et d’indignation ? Le réel est alors réduit à la perception de la vie sociale et quelque fois à la description des rouages économiques et de leurs conséquences sur les modes de vie explorés. A quoi bon ?

Les séries télé sont en passe de remplacer les romans. Au train où vont les choses, les romanciers vont devoir faire assaut d’imagination verbale, s’ils ne veulent pas être supplanter par les scénaristes.

Imagination et mise en forme sont les deux piliers de la littérature romanesque. Ces deux piliers appartiennent désormais au cinéma et aux séries télé.

Les romanciers seraient-ils dans la situation où se trouvèrent les peintres du dix-neuvième siècle concurrencés par la photographie ?

Il n’y en a plus que pour une mimésis appliquée au minable, au dérisoire, au rasoir, à l’abject.

L’homme au centre des préoccupations : abstraction faite des modes de vie, des aspirations, des ambitions, des conflits ? cela ne se peut.

 

Le bout du bout… le fin mot de l’affaire… l’expérience ultime… l’ultime expérience… le mot de la fin… la fin du mot…

N’était l’extrême lassitude qui n’atteint jamais son but ; évanescence de l’extrême.

La charge sémantique, redoutable, accablante n’en est pas moins cette force remuante, cette constante secousse sans autre recours qui pousse le sujet parlant à prendre la parole en dépit du sentiment de vanité qui l’accable.

Une constellation s’impose, on y cherche un chemin prometteur. Se perdre dans les étoiles…

La constellation est promesse en devenir qui ne vit que de nos humeurs, de notre allant et de notre endurance.

 

Qui trop embrasse mal étreint…

J’ai ressenti la vérité de ce dicton rabattu à plusieurs reprises dans ma vie, lorsque, débordé par trop de nouveautés à écouter, je finissais par ne plus pouvoir rien écouter pendant au moins quelque temps. Il me fallait faire taire le trop-plein d’enchantement pour quelque temps, le temps de reprendre mon souffle.

En d’autres termes, un temps de décantation devenait nécessaire pour ne pas avoir l’impression de passer à côté des trésors que ma curiosité avide de nouveautés m’avait fait découvrir. Je déteste me sentir superficiel en matière d’art et de musique. Touché au cœur ou rien, et heureux de l’être.

Le temps long fit, lui aussi, son œuvre en me détournant de certains enthousiasmes qui pâlirent bien vite. Ecrivant cela, je ne peux m’empêcher de repenser à cette remarque de Gide dans l’introduction qu’il rédigea pour son anthologie de la poésie française parue en 1949 dans la Pléiade et qui m’avait tant frappé, quand je n’étais encore qu’un adolescent de quinze ans :

Ce goût, que l’on peut croire infaillible de vingt à trente ans, tandis qu’il est alors plus flexible que les rameaux tendres, ce goût qui devrait aller s’épurant et s’affermissant avec l’âge (on admire peut-être un peu moins, mais pour de meilleures raisons) est devenu chez moi plus craintif.

La crainte, à vrai dire, n’est pas mon fort, sûr et fort que je suis de mes goûts mais bien conscient de n’avoir pu, faute de temps mais aussi faute d’argent, découvrir tout ce qui mériterait de l’être. C’est en cela, d’ailleurs, que les goûts d’autres que moi, tout aussi sûrs que les mien, sont d’une aide précieuse. Le hasard des rencontres mais aussi la lecture inopinée de commentaires inspirés ne laissent de me ravir. Je tends l’oreille, je ne me dérobe jamais aux petites et grandes surprises que me réserve la fortune.

Certaines lectures et quelques musiques vous font sauter par-dessus des décennies en vous projetant dans l’âge adulte, cet âge béni que très jeune, j’appelais de mes vœux, n’ayant aucun goût pour les pitreries et les fadaises des jeunes de ma génération. D’où mon appétit pour les esprits forts, mon inclination à me chercher des maîtres à penser vigoureux et rigoureux capables de m’extirper au plus vite de la médiocrité adolescente. Ce furent Baudelaire, Bachelard et Nietzsche pour ma part, et je crois que je ne pouvais rêver mieux.

 

Un goût immodéré pour le passé et un goût non moins immodéré pour l’actuel et l’actualité la plus récente, voilà bien les deux écueils à éviter, si l’on tient à ne pas prendre des vessies pour des lanternes.

Les œuvres du passé ne vivent que de notre bonne volonté et de notre esprit critique qui s’est aiguisé au contact des petites et des grandes avanies que l’Histoire et notre histoire personnelle nous ont infligés au cours de notre vie et l’actuel, dans ce qu’il a de plus surprenant, nous prend toujours de court, nous contraint, si nous sommes honnêtes, à revoir la hiérarchie de nos goûts qui se doit de toujours rester mouvante.

Cette fidélité paradoxale au passé faite de heurts infligés par le présent me paraît essentielle pour qui veut rester à l’écoute en ne sombrant ni dans le passéisme du C’était mieux avant et le présentéisme du C’est d’aujourd’hui, donc forcément meilleur que ce qui se faisait auparavant.

Ecrivant cela, je ne me fais aucune illusion car je sais pertinemment où en est l’instruction des jeunes esprits en France en ce début de vingt-et-unième siècle. Il n’est pas sûr que la grande culture survive aux tombereaux d’inepties que l’industrie culturelle de masse déverse sur les jeunes générations. Je m’empresse d’ajouter que je ne me suis jamais limité à l’aire francophone ni à l’ère classique en matière d’art et singulièrement en matière de poésie et de musique.

Le cinéma et la bande-dessinée ont acquis leurs lettres de noblesse ; les jeux-vidéo de plus en plus sophistiqués captivent les jeunes générations, et ce n’est pas forcément un mal. La question est ailleurs : comment concilier tradition et modernité, modernité et post-modernité, comment fait cohabiter dans un même esprit ce que le passé a de meilleur à offrir - sujet, il est vrai, à d’incessantes remises en question - et ce que le présent nous donne à voir, à lire et à entendre ? La question ne préoccupe ni les passéistes ni les personnes qui ont les yeux rivés sur l’actualité. Pourquoi, en effet, s’acharner à vouloir maintenir vif un intérêt pour les œuvres du passé, pourquoi donc vouloir à tout prix les préserver de l’oubli, si, comme le « pensent » les tenants de la rupture avec toute tradition les œuvres du passé n’ont plus rien à nous dire ? La question, pour crue qu’elle soit, n’en mérite pas moins d’être posée. Ella appelle des réponses longues et difficiles, mais qui les entendra ?

Une volonté politique, en ce domaine, ne peut passer à l’action que si elle est soutenue par le grand nombre, mais le grand nombre a d’autres soucis… L’utilitarisme ambiant n’est guère propice à une politique ambitieuse en matière d’éducation artistique… Utilitarisme que Baudelaire fustigeait déjà en son temps dans son article mémorable consacré à… Théophile Gautier.

Les régimes politiques, quels qu’ils soient n’ont que faire de l’art en soi ; il faut que ça se vende ou que ça serve à la propagande d’Etat… Ce n’est pas un hasard, si staliniens et nazis ont désiré exercer un contrôle total sur les Arts et les Lettres…

J’écrivais avant la guerre : « Je ne gagnerai mon procès qu’en appel. », ou : « J’écris pour être relu. » — et cela ne signifie plus rien du moment qu’il n’y a plus d’appel et qu’il n’est plus question de relire. Seuls sont dès lors goûtés les émois de choc, de surprise. Les liens qui nous rattachaient au passé, qui peuvent espérer de rattacher à nous le futur, sont-ils rompus ? Du coup, c’en sera fait de notre culture et de cette tradition que nous avons tant lutter pour maintenir. L’art ne peut revenir en arrière. Les anciens canons de la beauté ont vécu. Quelques admirables efforts de restauration, si réussis qu’ils soient (je songe particulièrement à Valéry) paraissent factices et archaïsants, à ceux qui prétendent se délivrer du passé et ne consentent plus à voir dans toute tradition qu’esclavage. Dans ce désastre résolu, que subsiste-t-il ? Rien plus que l’émotion personnelle. Mais le moyen de la propager, de la transmettre ?... Qui dit Art dit communion.

Nous sommes en 1947, deux ans après la fin de la deuxième guerre mondiale ; les plaies sont encore vives, l’immensité des destructions et les corps décharnés qui reviennent des camps aussi visibles que sont invisibles et quasi inaudibles les traumatismes subis par les civils et les militaires survivants confondus dans un même abîme de perplexité et d’effroi. Des voix se feront entendre quelques années plus tard, parmi lesquelles celle de Primo Levi, de Robert Anthelme, de Paul Celan, et de bien d’autres qui tenteront de dire l’indicible.

 

La beauté ne fleurit pas que dans les plus beaux jardins, fussent-ils anglais ni non plus exclusivement sur les tas de fumier ou les monceaux d’ordures. Elle fleurit partout et pas toujours là où l’on s’attendrait à la rencontrer. Le tout est de savoir regarder, « d’avoir l’œil », comme on dit, et surtout l’oreille.

Poésie en éveil : L’œil écoute. (Claudel) : vigilance renforcée de qui, aux aguets, tapi dans les fourrés, guettent à l’aube les premiers bruits de pas de la farouche biche qui vient à traverser la clairière… Une lumière scintille dans ses yeux, cette même lumière que presque tous les êtres vivants ont en partage… Pas question de l’effaroucher, encore moins de la chasser…

Le poète, que je suis à mes heures éperdues, a bien du mal à disjoindre le son et le sens tant en musique qu’en poésie. Emotion et réflexion y vont de pair…

Raisonnements dégradés en ratiocinations au dix-septième et dix-huitième siècle : aucun lyrisme digne de ce nom, que de la rhétorique et pas toujours des meilleures.

Emotions uniquement rapportées à des sentiments amoureux et bons sentiments sont désormais les écueils à éviter absolument tant en musique qu’en poésie, si l’on veut éviter de tomber dans la mièvrerie grandiloquente.

La variété française, hélas, ne se prive pas de puiser dans ce vivier de facilités proprement intarissable. Elle croit y puiser une eau pure qui garantit le succès. Elle ne fait qu’y attraper de ces petits poissons d’eau douce qu’elle transforme en ritournelles obsédantes.

Les variéteuxappliquent sans le savoir une pensée - suivent une pente, celle de la facilité - de Fénelon dans sa Lettre à l’Académie qui s’exprime dans ces deux phrases aphoristiques bien malheureuses :

Il faut s’arrêter dès qu’on ne se voit pas suivi de la multitude.

La singularité est dangereuse en tout.

La parodie et le grotesque ont leur charme : prise de distance salutaire et massacre de toute sentimentalité. Zappa excellait dans ce registre peu fréquenté. Hendrix, pour détendre l’atmosphère en studio, n’était pas en reste ! L’humour ravageur dont il fait preuve me fait regretter qu’il n’ait jamais eu l’occasion de collaborer avec Zappa ! Plus proche de nous, une artiste accomplie comme GiedRé a la parodie savoureuse !

« Tu nous emmerdes avec ton Schubert ! » : voilà ce que mes deux cousins et ma cousine lançaient à ma tante, grande amatrice de Schubert, lorsqu’ils étaient adolescents.

Vingt ans plus tard, ma cousine eut la lucidité et le courage de reconnaître que leur mère leur avait rendu un fier service en les faisant baigner dans cette musique… Ma cousine, grande fan d’Higelin, en était bien revenue…

 

Musique populaire : toute musique élaborée en dehors des canaux classiques par des musiciens qui n’ont pas fréquenté les conservatoires ou les écoles de musique.

Que faire alors d’un Miles Davis qui fréquenta la Julliard School of Music ? d’un Richard « Dick » Witts qui fut un temps percussionniste au Halle Orchestra de Manchester, avant de créer le groupe The Passage qui fit un bref mais remarqué passage sur la scène post punk de 1980 à 1983 ? de Michel Portal ? etc…

Je pourrais ainsi multiplier les exemples de musiciens qui ont ou ont eu un pied dans le monde « académique » et dans le monde de ladite musique populaire.

Les barrières sautent les unes après les autres, ce qui ne les empêchent pas de perdurer dans l’esprit de beaucoup de gens, dans la pratique quotidienne des uns et des autres, dans les rares magasins où l’on trouve encore en vente de trente-trois tours et des Cds.

Le respect n’est pas inné et jamais automatique ; il paraît qu’il faut le gagner en faisant ses preuves. La jeunesse est forte à ce petit jeu qui s’ingénie à renverser la table, oubliant qu’elle vieillira et sera jugée et blackboulée, elle aussi, tôt ou tard.

Il faut être jeune et actuel. Quand la jeunesse finit-elle au juste ? Le musicologue Tibor Kneif, au début des années 80, estimait dans son livre consacré au rock qu’un « mouvement musical » durait en moyenne cinq ans, après quoi il était perçu comme dépassé, ringard, inactuel. Nous étions en 1983, et effectivement le post punk battait déjà de l’aile.

On a eu droit au disco, au punk, au post punk, à l’indus et à quantité de sous-genres issus du heavy-metal et d’autres genres musicaux (on en dénombre près de trois cents…) et depuis lors on ne parle plus de mouvement mais de catégories et de sous-catégories musicales, comme si chacun était rentré à la maison ou à la niche, une niche collective ouatée à souhait, une chapelle dans laquelle adorer ses idoles de toujours en petit comité d’amateurs éclairés par l’esprit sain !

 

Le mépris de classe suppose l’existence de classe nettement définies par la science économique ou plus fantasmées qu’empiriquement étudiées : les prolos, les bourges, les casos qui semblent avoir remplacé les prolos qui, eux, turbinaient, les assistés, les ultra-riches.

Au lycée, ce professeur de français qui traitait de saltimbanque un chanteur de variété célèbre… Un petit bourgeois content de son sort… ces acolytes de maintenant, paupérisés et largement maîtriser, feraient-ils encore preuve de cette morgue, cinquante ans plus tard ?

Les professeurs professent… avant d’être vus comme professant une matière, ils sont considérés socialement comme des profs, c’est-à-dire des « sachants » de second ordre. Il est vrai que j’en ai croisé un paquet qui ne se prenaient pas pour rien, ils me faisaient sourire. Certains se sentaient investis d’une véritable mission éducative, issus qu’ils étaient sans doute de la « classe moyenne inférieure » voire de la classe ouvrière comme moi.

Un abîme sépare un professeur des écoles d’un professeur de classes préparatoires ou d’un professeur d’université… On trouve peu de cuistres au collège, quelques-uns au lycée, si j’en crois mon expérience.

La fréquentation des « grands auteurs » - encore une notion contestable mise à mal par pas mal de parents d’élève ! - m’a toujours tenu éloigné des querelles de chapelle pédagogiques mais aussi des mesquineries de la profession. Les salles des profs sont peuplées de personnes bavardes souvent sympathiques, parfois pathétiques ; on y papote, on y blague, c’est toujours superficiel et le plus souvent impersonnel, en somme tout ce que je déteste et fuis.

Les mesquineries ? (Ah de l’arabe miskin qui signifie servante, un mot rapporté par nos vaillants croisés !) : le grégarisme, le manque d’envergure, l’étroitesse d’esprit, l’absence de curiosité, l’indigence intellectuelle, les jalousies (tel prof apprécié et admiré par ses élèves suscite la jalousie) et surtout une méfiance viscérale à l’égard de quelques-uns d’entre nous qui avaient le malheur d’avoir de l’envergure : surtout, ne jamais dire que vous écrivez et publiez, on vous regardera avec méfiance, un mélange d’envie et de mépris, une belle ambivalence propre à tous les ratés ! J’en ai fait une fois l’expérience amusante en discutant avec un jeune prof de physique perdu de vue puis revu au hasard d’une nomination : Il me demande gentiment des nouvelles, je lui réponds spontanément que je viens de mettre un point final à la traduction d’un auteur américain, prix Pulitzer (j’en tairai le nom…) et je vois son visage aussitôt se fermer, il recule d’un pas, et la conversation s’arrête là !

Le mépris de classe reste bien vivace ; parallèlement, on constate l’émergence d’un esprit tribal ou communautariste. On ne sait pas très bien ce qui peut faire communauté de nos jours, chaque tribu se rangeant sous une bannière et défendant ses intérêts propres, tandis qu’une grande partie de la population ne se sent plus guère appartenir à une classe bien définie ni non plus faire partie d’une communauté soudée (sur une base ethnico-religieuse…) ou informelle (réseaux sociaux, bulle informationnelle, clanisme d’opinion).

Faire nation, voilà le nouveau slogan ! C’est lorsque quelque chose manque ou vient à manquer que l’on s’empresse d’invoquer les dieux !

 

Une analyse, si puissante soit-elle, ne détruit pas son objet d’étude car cela n’entre pas dans ses intentions, et l’analyste le désirerait-il qu’il n’aurait pas les moyens matériels d’y parvenir, surtout lorsque son objet d’étude est aussi fluide que des opinions politiques.

Il ne faut jamais perdre de vue que les opinions politiques sont évidemment toujours exprimées dans un contexte social et historique bien particulier, évidence creuse qui ne doit pas rester l’objet d’une considération de pur constat, mais qui demande que l’on s’attache à décrire par le menu le contexte social actuel en essayant de voir ce qui le distingue plus ou moins voire nettement d’autres périodes historiques, à commencer par les plus récentes.

La périodisation est chose délicate, plus aisée lorsqu’elle s’étale sur une échelle de temps assez longue. On identifiera des ruptures sociétales, sociales, technologiques, économiques, artistiques, etc… C’est dans cet « etc… » que se loge toute la difficulté : quels paramètres choisir pour évaluer un changement d’époque ? Epoque, période, laps de temps, période actuelle : tous ces termes exigent d’être clairement définis et ils ne peuvent l’être que s’ils sont éprouvés et donc susceptibles d’être sans cesse redéfinis.

L’opinion est chose immatérielle, portée par un langage plus ou moins soutenu, mais qui a une grande portée pratique tant dans la vie quotidienne qu’à l’échelle historique.

Les faiseurs d’opinion - ah les communicants et maintenant les influenceurs qui viennent soutenir ou concurrencer les leaders d’opinion que sont artistes en vue, intellectuels en vogue et politiciens-politichiens-polychinelles mais aussi les média - fourmillent d’idées dont il laisse à d’autres le soin de les mettre en œuvre.

 

La nominalisation de processus dynamique, qui est propre à des langues comme l’anglais et surtout l’allemand, me déplaît résolument en ce qu’elle fige ce qui est dynamique, tend à l’essentialiser le devenir en le présentant comme une donnée ayant pour ainsi dire toujours exister dans le ciel des Idées.

La nominalisation est platonicienne parce qu’essentialiste dans sa démarche : elle correspond sans doute à un besoin de se rassurer en identifiant des invariants dans le chaos du réel : toute nominalisation d’une action ou d’un processus en cours d’évolution (si tant est que l’on puisse affirmer qu’il y a devenir, évolution voire rupture de… paradigmes, de valeurs, de critères de jugement) tend à figer le devenir.

Une définition dynamique des processus sociaux appelle un X, une variable d’inconnu à introduire dans les longues chaînes d’équations qui ne peuvent prétendre rendre compte de tout le réel observé, fût-il fort restreint par le sujet d’étude choisi et l’angle choisi pour en rendre compte.

Tout réduire à des nombres, c’est se limiter à définir des proportions en segmentant les faits observés. Les sondages d’opinion, en ce sens, sont des tentatives d’approcher par le nombre des « phénomènes d’opinion » ; non seulement les questions posées orientent et canalisent les réponses mais elles donnent aussi lieu à des malentendus inextricables, chaque terme employé - substantifs et adjectifs qualificatifs - étant lié à du vécu et des fantasmes qui varient d’une personne à l’autre.

Les mots « gauche/droite » issus de la Révolution française sont les plus vides et les plus chargés de sens : vides en ce sens qu’ils n’ont pas de définition a priori qui permettent d’être sûr et certain de leur sens et les plus lourds de sens parce qu’ils charrient une mémoire historique plus ou moins riche, un nombre considérable de points de vue liés à l’histoire familiale, nationale, internationale, régionale et locale : un véritable écheveau impossible à démêler, sauf à s’imaginer en sociologue ou en historien que l’on peut tout subordonner à ces deux disciplines à coup de nombres, de pourcentages et de statistiques.

 

Inscrits dans des processus historiques de long cours, ils sont néanmoins toujours employés « à chaud », la polémique étant le nerf de la politique.

 

Une Loi fixe un cadre d’action qu’elle encadre : elle fixe les limites de telle ou telle action privée ou publique : l’action ne doit pas déborder du cadre sous peine de devenir illégale.

Le peuple réclame des mesures fortes ! Ah le peuple, ce fantasme ! La population, bien réelle elle, émet des opinions tranchées mais fort divergentes. La recherche d’un consensus s’impose difficilement, la loi de la majorité tendant à imposer à la minorité ce qui peut la heurter ou la révulser.

Une certaine gauche française tend à chercher le consensus, tout en provoquant le dissensus, par des réformes sociétales qui visent à satisfaire des catégories sociales vues comme des minorités agissantes, manière de contourner le poids de la majorité en donnant des droits à certaines minorités.

Majorité-minorité sont des données purement comptables et statistiques. Elles sont susceptibles de donner lieu à des interprétations extrêmement diverses et divergentes. On se surprend parfois à rêver d’un gouvernement entièrement composé d’historiens, de sociologues, d’économistes et de philosophes !

Les grandes « d’idées » venues d’en haut qui paraissent sous forme de Lois puis de décrets d’application paraissant au Bulletin Officiel définissent donc un cadre d’action, à chaque actant de se débrouiller empiriquement en jonglant avec les possibles sans sortir de la norme définie par la Loi. 

J’ai vu, au sein de L’Education Nationale », l’extrême difficulté que posent des textes normatifs quand ’il s’agit de les faire entrer dans les faits : tant les injonctions pédagogiques rigoureusement fondées en raison mais soutenues par une idéologie dominante qui veut imposer ses vues et ses manières de faire dans le but de changer la donne existante - on n’est très loin du « changer la vie » rimbaldien qu’en apparence au vu des considérables difficultés qui s’accumulent : budgétaires, intellectuelles et matérielles ! - que l’organisation du temps scolaire posent des problèmes techniques, matériels et humains gigantesques qui ne se résolvent qu’au coup par coup en bricolant avec ce qui est à disposition.

Ni le législateur ni les Inspecteurs Généraux ni les Recteurs n’ont la moindre idée des conséquences en cascades de leurs décisions injonctives : le réel est constamment forcé, il doit se plier à une vision à la fois comptable et idéologique incapable d’emporter l’adhésion de l’ensemble des acteurs du « système éducatif », ce terme d’éducation charriant à lui seul toute une idéologie fort contestable…

Lires quelques paragraphes du BO, c’est se plonger dans un monde idéel et idéal étouffant. Le maître-mot, jamais écrit, se résume à la formule : Il n’y a qu’à…

J’aurais parfois donné cher pour pouvoir discuter avec celles et ceux qui avaient pondu tel texte complètement hors sol. La brillante intelligence de conception de ces textes normatifs ne compense en rien la fragilité des initiatives qu’ils induisent.

Les remontées d’expérience de terrain mais aussi les études psychosociologiques réputées plus objectives ne sont réellement prises en compte dans toutes leurs implications pédagogiques, didactiques et organisationnelles.

En la matière, c’est une réelle concertation collective qui s’impose, de la femme de ménage d’une école primaire au ministre en charge en passant par tous les « acteurs » (un terme qui sous-tend une ironie qui échappe certainement à ceux qui l’emploie !), concertation qui n’aura pas lieu car les gouvernants entendent ne pas voir se diluer leurs vues et leurs projets dans une marées de revendications catégorielles ! 

 

Le tranchant d’une opinion tranchée ! vite émoussé au contact d’autres opinions tout aussi tranchées !

Le tranchant d’une opinion nécessite un solide manche mais aussi une garde qui fait le plus souvent défaut !

Tranchant de la lame, manche solide et garde mais aussi de la poigne !

 

A vingt ans, on avale des couleuvres, à trente, on les recrache, à quarante, on mord.

Les petites humiliations du quotidien, dans les années 70 ; Petit florilège :

Tu sais, Guyot, la liberté, ça n’existe pas. Un Surveillant Général au Lycée Louis Pergaud en 1977, l’année punk !

Un lolo pour le ptit ! Un serveur alcoolique, visage rougeaud, nez écarlate à qui j’ai commandé un lait fraise.

Coup d’arrêt brutal ; je me rebiffe. Je remets vertement à sa place un planton à Strasbourg qui me reproche de rouler à vélo sur un ilot directionnel au moment où je me rends au RU à la Krutenau.

Respecté en fac, rabaissé au rang de stagiaire arrivé dans le lycée où je dois faire mon stage de jeune professeur. Tout est à recommencer : il faut de nouveau faire ses preuves !

Très vite, le spectacle des faiblesses humaines : la vision hilarante, un matin, de cette vieille chouette de Proviseur qui déambule dans les couloirs en robe de chambre et chaussons au lycée Watteau de Valenciennes, mon co-stagiaire Rembalski, rebaptisé Remballe-tes-skis par ses élèves, suffisant et médiocre petit bourgeois imbu de sa personne, un fils de militaire, les grandes dames à bagouses qui enseignent pour passer le temps, pendant que leurs grands hommes de maris se font des tunes dans la médecine ou les affaires, etc…

Pénible d’avoir des « supérieurs » moins vifs d’esprit que vous, des veaux biberonnés au Bulletin Officiel qui craignent pour leur carrière, qui marchent sur des œufs, coincés qu’ils sont entre la vindicte des parents d’élèves - surtout pas de vagues ! - et leur hiérarchie qui les humilie à plaisir lors de séances durant lesquelles on leur remonte les bretelles en les insultant…

L’étroitesse d’esprit et la servilité qui tentent de se faire passer pour un fort sens du devoir. L’épée de Damoclès de la hiérarchie toujours prête à vous tomber dessus, dès qu’un « problème » survient.

La communication à sens unique : le chef d’établissement ne s’adresse à vous que pour vous informer d’une décision, vous transmettre une injonction : déshumanisation de la fonction.

 

Prédation et déprédation ne sont pas l’apanage de l’espèce humaine, mais il faut bien reconnaître qu’en ce « domaine », l’espèce humaine est particulièrement habile, sans omettre aussi l’ampleur énorme et proprement catastrophique des dites prédations et déprédations.

Psychopathes et sadiques patentés d’aujourd’hui, stipendiés par des Etats voyous, n’ont sans doute pas besoin de voir des orques en troupeau dévorer tout cru un pauvre phoque perdu sur son ilot de glace flottant pour développer leur imagination destructrice, mais là aussi il faut se souvenir qu’un Hitler arguait de la « cruauté de la nature » pour justifier la cruauté humaine à l’endroit d’autres humains considérés comme des sous-hommes.

Que l’animal prédateur joue ou mange pour survivre, ses jeux et sa prédation ont une fonction bien précise qui s’est développée et raffinée au cours de l’évolution (certains crétins pensent encore que c’est le bon dieu qui a fait les espèces actuelles il y a environ cinq-mille ans, mais passons !) : se nourrir pour survivre et même vivre tout court (Laissons de côté la superbe de certains humains qui ont tendance à regarder le monde animal de haut !).

La superbe des humains… superbia… orgueil mal placé des humains qui aimeraient croire qu’ils ne doivent rien à personne, à commencer par cette « non-personne » qu’est le monde minéral, végétal et animal dans lequel ils vivent et qu’ils détruisent lentement mais sûrement.

L’allemand dit Verwüstung pour parler de ce que le français désigne sous le terme de déprédation définie comme étant un vol ou un pillage accompagné de dégât ou bien comme étant un dommage matériel causé aux biens d’autrui ou aux biens publics. Pour faire court : Vol ou pillage s’accompagnant de dégâts causés au bien d’autrui, comme l’indique le CNRTL.

Le radical wüst signifie désertique. Prédation et déprédation nous viennent tout droit du latin praedatio et depraedatio signifiant tous deux pillage ou brigandage.

Le français indique l’acteur ou l’actant essentiellement humain : le pilleur/le brigand, ce qui nous force à dire déprédation animale pour bien spécifier qu’il ne s’agit pas d’un humain mais bien d’un animal ou de plusieurs à l’origine des dégâts, mais l’animal ne pille ni ne brigande.

L’allemand, quant à lui, met l’accent sur la conséquence : la désolation, la désertification, sans préjuger de la cause humaine ou animale voire naturelle au sens large (cataclysmes divers et variés dont la nature si bien faite n’est pas avare !)

La négativité du travail humain, toutes activités confondues, chantée par Hegel montre depuis longtemps ses limites.

Nos modernes productivistes à tout crin soucieux essentiellement de leurs juteux profits - industriels de l’agro-alimentaire en tête soutenus par la clique de la FNSEA que les conflits d’intérêt n’étouffent pas - n’ont cure des destructions qu’ils causent à ce qu’on appelle niaisement l’environnement.

Un terme bien commode qui tend à faire accroire que les dégâts sont limités à ce qui nous entoure directement, alors que ce sont tous les biotopes de la planète, qu’ils soient terrestres ou marins, qui sont impactés. De manière en partie réversible ou de manière irréversible ? C’est aux scientifiques de le dire, mais ils n’ont pas la main, pas plus que les marionnettes politiques qui sont au service de ces industriels voyous.

Les accros au glyphosate ont de beaux jours devant eux. Je verrais bien leurs cadavres servir d’engrais, en ce qui me concerne.

 

Jean-Michel Guyot

17 septembre 2023

 

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