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 Article publié le 12 novembre 2023.

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Que peut-on reprocher à un texte littéraire de grande classe ? d’être une sorte de pierre d’infinité aux rayons d’action très limité.

Injuste reproche, cela va de soi, en ce qu’il émane d’une « sensibilité » complètement étrangère à la Littérature.

Le « L » majuscule se veut l’incipit d’une sorte de lasso verbal capable de tout attraper, sauf, sauf non pas ce qui lui échapperait - rien ne lui échappe, tous les sujets sont abordables à défaut d’être licites - mais celles et ceux que ne séduit pas ses charmes surannés de vieille dame encapuchonnée.

La vieille dame a beau se démener, elle a beau faire, elle a beau se plonger dans des bains de jouvence qui la rende belle comme au premier jour, elle a beau se faire friponne, garçonne, elle a beau se pouponner et se parer de mille attraits, elle reste aux yeux incrédules un fatras de mots, une mégère mal apprivoisée, une chose foncièrement inutile, et surtout, aux oreilles des tyrans, une dangereuse liberté de ton, une maladie de l’esprit trop contagieuse pour être tolérée plus longtemps.

Or l’utilité, la vieille dame à la jeunesse constamment renouvelée n’en a cure. Elle porte la mort en elle depuis sa très lointaine naissance, c’est peut-être pour cela qu’elle refuse de mourir sous les critiques et les coups portés par « des arlequins de propagande ».

 

Comment une œuvre qui s’est élaborée durant huit années a-t-elle pu naître à elle-même ? Quelle fut sa genèse ? par quels stades et quelles stases a-t-elle bien pu passer pour se donner à elle-même son existence ?

L’œuvre comme causa sui.

L’auteur, tout entier, se prête à son jeu en lui offrant le corps tout entier de son imagination débridée-contrôlée jusque dans les moindres détails de sa mise, les moindres tressaillements de son surgissement.

Muse tourne en mise sans cesse rejouée. Au risque de perdre un fil qui n’existe qu’en arrière de soi, comme s’il aspirait sans cesse à se réenrouler autour de sa pelote qui n’existe que de le voir et se savoir se dérouler sans fin.

Fil engendre la pelote qui le porte à l’existence, telle est l’œuvre. Au lecteur de tramer les fils innombrables.

Bien qu’il sentît avec une force incomparable qu’il n’était rien, en face d’elle qui n’était rien, il se trouvait soudain dépouillé, il se trouvait soudain devant sa dépouille, glacial devant la tendresse, impassible devant l’amitié, sans âge devant l’âge par excellence, la jeunesse. C’était comme si l’histoire de sa mort n’avait pas encore pris fin.

Maurice Blanchot, Thomas l’obscur, Première édition, 1941, page 65

Le thème de la mort impossible se fait jour dans la nuit de l’écriture qui se découvre mourante.

De même que l’homme qui se pend, après avoir repoussé l’escabeau sur lequel il s’appuyait encore, dernier rivage, au lieu de ressentir le saut qu’il fait dans le vide, ne sent que la corde qui le tient, tenu jusqu’au bout, plus que jamais attaché, lié comme il ne l’a jamais été à l’existence dont il voudrait se détacher, lui aussi se sentait, au moment où il se savait mort, absent, tout à fait absent de la mort.

Maurice Blanchot, Thomas l’obscur, Première édition, 1941, page 77

 

Ceux-là mêmes qui crient sur tous les toits : Des actes, pas de paroles ! se servent de mots pour dire que les mots ne servent à rien, s’ils ne sont pas suivis d’effets, or les mots sont toujours suivis d’effets, même lorsqu’ils ne font aucun effet.

Un discours grandiose, un poème de première force, un récit décapant, un roman puissant, tout cela peut très bien tomber à plat, question de public.

 

Prédation et déprédation ne sont pas l’apanage de l’espèce humaine, mais il faut bien reconnaître qu’en ce « domaine », l’espèce humaine est particulièrement habile, sans omettre aussi l’ampleur énorme et proprement catastrophique des dites prédations et déprédations.

Psychopathes et sadiques patentés d’aujourd’hui, stipendiés par des Etats voyous, n’ont sans doute pas besoin de voir des orques en troupeau dévorer tout cru un pauvre phoque perdu sur son ilot de glace flottant pour développer leur imagination destructrice, mais là aussi il faut se souvenir qu’un Hitler arguait de la « cruauté de la nature » pour justifier la cruauté humaine à l’endroit d’autres humains considérés comme des sous-hommes.

Que l’animal prédateur joue ou mange pour survivre, ses jeux et sa prédation ont une fonction bien précise qui s’est développée et raffinée au cours de l’évolution (certains crétins pensent encore que c’est le bon dieu qui a fait les espèces actuelles il y a environ cinq-mille ans, mais passons !) : se nourrir pour survivre et même vivre tout court (Laissons de côté la superbe de certains humains qui ont tendance à regarder le monde animal de haut !).

La superbe des humains… superbia… orgueil mal placé des humains qui aimeraient croire qu’ils ne doivent rien à personne, à commencer par cette « non-personne » qu’est le monde minéral, végétal et animal dans lequel ils vivent et qu’ils détruisent lentement mais sûrement.

L’allemand dit Verwüstung pour parler de ce que le français désigne sous le terme de déprédation définie comme étant un vol ou un pillage accompagné de dégât ou bien comme étant un dommage matériel causé aux biens d’autrui ou aux biens publics. Pour faire court : Vol ou pillage s’accompagnant de dégâts causés au bien d’autrui, comme l’indique le CNRTL.

Le radical wüst signifie désertique. Prédation et déprédation nous viennent tout droit du latin praedatio et depraedatio signifiant tous deux pillage ou brigandage.

Le français indique l’acteur ou l’actant essentiellement humain : le pilleur/le brigand, ce qui nous force à dire déprédation animale pour bien spécifier qu’il ne s’agit pas d’un humain mais bien d’un animal ou de plusieurs à l’origine des dégâts, mais l’animal ne pille ni ne brigande.

L’allemand, quant à lui, met l’accent sur la conséquence : la désolation, la désertification, sans préjuger de la cause humaine ou animale voire naturelle au sens large (cataclysmes divers et variés dont la nature si bien faite n’est pas avare !)

La négativité du travail humain, toutes activités confondues, chantée par Hegel montre depuis longtemps ses limites.

Nos modernes productivistes à tout crin soucieux essentiellement de leurs juteux profits - industriels de l’agro-alimentaire en tête soutenus par la clique de la FNSEA que les conflits d’intérêt n’étouffent pas - n’ont cure des destructions qu’ils causent à ce qu’on appelle niaisement l’environnement.

Un terme bien commode qui tend à faire accroire que les dégâts sont limités à ce qui nous entoure directement, alors que ce sont tous les biotopes de la planète, qu’ils soient terrestres ou marins, qui sont impactés. De manière en partie réversible ou de manière irréversible ? C’est aux scientifiques de le dire, mais ils n’ont pas la main, pas plus que les marionnettes politiques qui sont au service de ces industriels voyous.

Les accros au glyphosate ont de beaux jours devant eux. Je verrais bien leurs cadavres servir d’engrais, en ce qui me concerne.

 

De deux choses l’une : soit tu te lances dans de vastes lectures croisées aux multiples ramifications, soit tu écris dans un style bref et concis.

Les études amples et profondes demandent du métier, beaucoup de patience et une discipline de fer acquise dans de longues études de philosophie : pas de pensée ample voire novatrice sans être passé sous les fourches caudines d’une Licence de philosophie, puis d’un Master et enfin d’un doctorat. Des intuitions s’amorcent sans doute dès les premières lectures, s’atrophient ou se renforcent à mesure que l’on avance dans la connaissance des textes de la tradition et des philosophes contemporains qui sont tous d’habiles et profonds commentateurs.

Ecrire par fragments n’est pas parer au plus pressé ; la pensée y procède par bonds et par à-coups.

Les fragments sont des éclats finement travaillés dans l’instant de leur surgissement : la forme que prend l’idée qui s’y rassemble fait tout. Un tout qui ne repose pas sur soi, en aucune façon un absolu, un dogme, une formule magique, un mantra ou je ne sais quoi.

Le fragment est tout entier discursus qui se fixe des limites strictes, aussitôt franchies par un nouveau fragment.

Les fragments ne sont pas extraits d’une pierre philosophale unique qui peu à peu perdrait de sa substance, chaque éclat brillant d’autant plus qu’il se détache des autres ; introuvable, inusable, perpétuellement en désaccord avec la Terre qui l’abrite.

Le poème désabrite autant qu’il restaure. Sa demeure est de celles qui fleurissent sur des pattes de poules. Baba Yaga n’est jamais très loin.

Picore, picore autant que tu peux !

La pierre n’existe qu’après coup, encore n’est-elle qu’une ébauche perpétuellement inachevée.

Le fragment est arrachement. Arrachement à soi mis à la portée du langage.

L’éva-naissance du poème… le poème adamique n’existe pas. Comment alors espérer « fonder ce qui dure » ?

 

Le je, est multitude, la poésie est habitable par tous, c’est un logis où il n’est pas nécessaire

de relever les compteurs, mais d’en ressentir l’énergie. Comment présenter une œuvre à

laquelle on n’a pas consacré sa vie, mais à laquelle on l’a confiée ? La poésie est pour moi

comme un journal. Loin de moi ce sens du sacré dont on nous rebat les oreilles. J’ai fait

chanter la couleur des mots, la ductilité de la langue, aimanté la limaille du sens, fait

bourdonner les mouches de la sensualité, quelle que soit sa « bassesse », j’ai noté des évidences

qui ne l’étaient pas, inventé des rapports improbables, déjoué les ruses du je et du moi,

chatouillé des prédicats trop rigides. Enfin, j’ai peint des paysages, qui parfois étaient

paysages de pensée, comme dit Coleridge.

Gilbert Bourson

 

De ce fait, te voilà sommé de t’expliquer.

T’expliquer sur les faits qui te sont reprochés.

Mais les faits qui t’incriminent, où sont-ils ? sur la langue de tes accusateurs qui se targuent de les connaître dans tous leurs détails, sur le bout des doigts, comme on dit. C’est cette connaissance parfaite des lieux et des temporalités en jeu que tu commences par contester vigoureusement, puis tu t’attardes sur chaque point du discours accusateur que l’on t’a asséné, tu en montres les angles morts et les ombres qu’ils projettent sur l’impeccable agencement des faits.

Tu obtiens ainsi un contre-discours composé d’ombres portées et de lumière dansante ; tu fais baigner tes auditeurs-accusateurs dans un clair-obscur utile à tes fins.

Ce n’est pas tout, ta suasion doit devenir persuasive et même invasive à un point tel qu’elle saturera l’esprit de tes accusateurs jusqu’à les rendre sourds à leurs propres arguments venimeusement dirigés contre toi. Ce n’est plus à toi de porter la charge de la preuve, tu le prouves aisément en contraignant tes ennemis à retourner contre eux-mêmes la prétendue validité de leurs arguments devenus spécieux et captieux jusqu’à l’absurde.

Par des effets de langage qui appartiennent à tous, tu restaures l’idée de ton innocence. Il ne s’agit même pas d’apporter la preuve tangible que tu étais au mauvais endroit au mauvais moment, mais bel et bien de rejeter toute idée de faits dûment constatés par des témoins jugés dignes de foi.

Les faits sont là, te dit-on avec insistance, et c’est là que précisément tu portes le fer et que tu lances ta contre-attaque.

Tu es devenu, le temps d’une promenade, ces arbres défeuillés-enneigés dans ce parc hivernal à Prague : ils te semblent pouvoir glisser sur le sol et ainsi te déplacer à volonté, mais il n’en est rien aux dires de ceux qui, bien installées dans la certitude de leurs racines, s’acharnent à faire de toi le nomade, le Juif errant, l’indésirable par excellence.

L’impossible est ta demeure ; la possibilité de l’impossible, voilà qui donne à réfléchir.

 

Jean-Michel Guyot

27 septembre 2023

 

 

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