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V - ALBA
Le plan

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 Article publié le 17 décembre 2023.

oOo

Une fois fait le tour des personnages, l’évidence m’est apparue dans toute sa clarté, et la possibilité dans sa seule limite.

— Pas question de proposer à Violette d’aller récupérer la corde du pendu, pour deux raisons : elle estimait le problème résolu ; elle ne se risquerait pas, vu son poids et son volume, à se mettre en danger sur une structure aussi instable.

— Joaquín, je l’ai dit, était dupe de la substitution. Comment aurait-il pris cette révélation ? Mal.

— Léona se précipiterait pour me trahir auprès de sa mère.

— Klaus, aussi bête qu’il en avait l’air et même plus, se ferait un devoir, et peut-être un plaisir, violer d’amores, de raconter la chose à son instrument d’amour dont il ne devait pas ignorer la haine qu’elle me destinait. Rayé, le Boche.

— Peut-être la comtesse de Vermort, mais avec la faillite du chantier, elle était en fuite avec son comte. Je l’aurais bien vue complice de mon innocente plaisanterie.

— Restait Shana.

Léona haïssait Shana. Elle haïssait toutes les filles, mais Shana représentait le paroxysme de la haine qu’elle pouvait destiner à la concurrence possible. Elle avait un sens des statistiques toujours à 1. Jamais 0, et les possibilités de 0 à 1 ne lui apparaissaient pas autrement qu’à 1. Ainsi, elle haïssait toutes les filles. Et Shana était la plus haïe de toutes. Pourtant, je n’ai jamais vu Shana tourner autour de Klaus. Elle était promise à Joaquín, mais ça ne l’empêchait pas de continuer de se conduire comme une fillette. Ce sens du jeu m’avait amené à penser qu’elle pourrait jouer avec moi au jeu d’aller chercher la corde du pendu.

Le risque qu’elle en parle à Joaquín était grand, si grand que j’ai songé à la mort, mais cette corde m’obsédait, Roger Russel, son fantôme, m’apparaissait tous les jours, de nuit de préférence, mais qui ne m’a pas vu, en plein repas ou en quelque autre occasion de se réunir, me figer comme si on m’empalait et que je m’attendais à tirer une pointe acérée au lieu de ma langue qui pourtant ne l’est pas moins. Mes vacheries sont bien connues. On ne m’aime pas pour ça. Et Roger Russel, son fantôme, en profite pour me harceler, me rendre fou, fou de quoi je ne sais pas, mais fou à agir comme si je l’étais définitivement devenu. Je ne me souviens pas si on m’a posé la question, mais j’agissais toujours comme si j’approuvais déjà la sentence. Je m’étais juré que personne ne m’arracherait au petit monde d’Alfredo que, certes, je n’avais pas construit tout seul, mais qui m’appartenait à 100%. Fermez la parenthèse.

Elle en parlerait à Joaquín si je ne prenais pas la précaution de l’inviter à ne pas en parler. Par jeu. En quoi consistait le jeu ?

— Tu connais le barranco, ma petite Shana querida

Muy, ¡que muy peligroso !

Pues… N’exagère pas. Il ne t’est jamais arrivé de jouer dans le barranco… ?

— Pas maintenant ! Il peut y avoir la crue. Et le délestage. (innocence) Tu ne le savais pas. (câline) Tu n’es pas d’ici. (rieuse) Maintenant tu le sais !

— (agacé) Je le savais avant !

¡No te enfades ! Je ne savais pas que tu le savais, c’est tout… Mais maintenant que je sais que tu le sais, je me demande pourquoi tu veux aller y jouer… Avec moi… ?

— Shana ! Shana ! Tu vois bien que je ne peux plus jouer… En tout cas pas dans le barranco. Comment je fais pour y descendre ? (à voix basse) Surtout qu’à l’endroit où je te propose de jouer, c’est plein de rochers…

— C’est non !

Pirouette. Sa robe voltige avec elle dedans. Danseuse née. Le sens du rythme. Elle secoue sa chevelure de jais, remet un peigne en place.

— Je n’irai jamais jouer dans les rochers, Alfredo. Si jamais l’eau arrive, ¡Ay !

Elle se plie, le pied tendu et la jambe pliée à peine, la taille a pivoté et les bras se sont élevés pour permettre aux mains de se poser sur les joues.

— Je ne te demanderais pas de jouer sur les rochers si je savais que l’eau peut arriver, hija !

— Tu vois bien que tu ne le sais pas…

— La sécheresse a presque vidé le barrage, ma fille. En admettant qu’il se mette à pleuvoir, il faudra des jours au ciel pour remplir tellement le barrage qu’il leur faudra délester… comme tu dis…

Elle réfléchit, interrompt la danse qui accompagne ses sentiments. Joli visage de l’innocence qui sait tout de la beauté et à peu près rien de ce qui ne l’est pas.

— Shana, ma fille, s’il se met à pleuvoir, je te promets que je ne te demanderai pas de jouer dans le barranco. Ça te va ? ¿Trato hecho ?

¡Que no !

Y ¿porque no ? ¡Joder !

— Ay, ne te mets pas comme ça que tu vas me rendre folle !

(imitation d’une scène qu’elle a vu jouer dans Cine de barrio)

Elle s’immobilise dans une pose que je ne connais pas, pourtant j’aime les toros.

— À quoi il faut que je joue… ?

— Tu sais ce que c’est une lame de ressort de suspension ?

— Mon père en fait des couteaux… des haches… des… Et toi, qu’est-ce que tu en fais ?

— Je ne peux pas t’expliquer comme ça ! Sans rien pour…

¿De qué me estás hablando ? No entiendo na’…

Les filles. Quel que soit leur âge. Boudiou ! Mais je sens que je la tiens. Je la laisse retourner à sa chorégraphie. Elle m’enchanterait presque si je n’avais pas cette idée fixe…

— Tu connais Violette, hija… ?

— Elle n’est pas gentille avec moi. Mais tu le sais déjà. C’est à cause de Léona. Klaus est moche. Et en plus il est con (je traduis, ndla). Joaquín est beaucoup plus intelligent…

— Ça, tu peux le dire !

On tourne en rond. Comme si je devenais fou. Je dois l’être si je le suis assez pour demander à une fillette d’aller chercher la corde du pendu, non : la lame de ressort de suspension… Mais elle m’a tendu une sacrée perche : elle ne craint que la pluie. L’instabilité de la roche ne lui fait pas peur. Elle prendra peur quand ça menacera de s’effondrer sous elle, ou sur elle…

— D’accord si tu me dis ce que tu veux en faire de cette lame de ressort de suspension…

— Je ne sais pas si…

— Et pourquoi cette lame de ressort de suspension et pas une autre…

— Tu compliques, hija ! Tu compliques alors que c’est simple. Et si je te promets de tout te dire une fois que ce sera fait… ?

¡Trato hecho !

Je serais tombé sur le cul si je n’y étais déjà. C’est comme ça avec les gosses. La conversation ne prend pas le chemin de la logique. Qui n’a pas pensé à les imiter pour changer l’art en réalité ? J’y repenserai une autre fois. Shana accepte d’aller chercher la corde du… heu… la lame de ressort de suspension et je réfléchis déjà à ce que je vais en faire pour satisfaire sa curiosité à l’égard de ce que je fabrique dans cet antre où elle entre depuis peu. Elle a même amené des amis : Índice, Anular et Meñique. Pulgar est à la chasse, une fois de plus. Mais a-t-on besoin de tout ce monde pour enfin retrouver la possession de la corde du pendu ? C’est Roger Russel, son fantôme, qui va être content !

 

 

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