Atelier de l’Agneau éditeur>>

Le lecteur invité à entrer dans ce livre pourrait bien en sortir avant de l’avoir terminé, car on ne séjourne pas longtemps chez les fous. Une angoisse finit toujours par vous pousser dehors et une fois dans la rue ou mieux chez soi, on respire et ce n’est pas trop tôt.

Pourtant, si on résiste encore un peu, on a vite fait de se rendre compte que cette folie apparente, qui semble se donner comme telle, n’en est pas ; il s’agit au contraire d’humour.

Un humour qui n’a rien à voir avec la rigolade chère aux esprits les moins propres à comprendre ce qui se passe quand on lit une prophétie et non pas une aventure rompue aux ressources du plagiat et du refais-le-me-le tant apprécié des paresseux du (ci)boulot.

Voici un livre qui vous reste sur l’estomac. Vous ne le digèrerez pas et encore moins le… On a l’impression d’un roman qui flirte avec la poésie mais qui n’est ni l’un ni l’autre tant sa langue coule de source, comme si elle vous appartenait (une fois bien sûr que vous avez courageusement renoncé à en sortir avant de devenir fou vous-même et par conséquent sujet à raillerie, cette forme d’humour qui n’en est pas, ni forme ni humour).

C’est l’existence possible pour demain qui vous prend aux tripes (et pas que dans le cas où vous pensiez un peu vite digérer cet antipensum). Vous vous dites qu’au fond, « c’est possible, pourquoi pas moi, qui suis-je si je ne suis pas en train de perdre la tête avec tout ce qui m’arrive en ce moment… »

L’écriture en est, je l’ai dit, coulante. Mais comme le fleuve charrie les pierres de ses rives et de ses profondeurs.

Pour moi, ce texte est une leçon de ce qu’il est possible d’obtenir de la pratique littéraire si on se laisse aller un peu à en ignorer les limites. On en voit l’avenir. On sent à quel point elle ne cessera pas de nous coller aux basques malgré les menaces d’enfermement.

J’avais déjà lu, et commenté, quelque chose d’assez semblable, toujours chez Françoise Favretto, l’éditrice de l’Atelier de l’agneau : La nuit de la graisse, d’Aldo Qureshi. À croire que l’exercice de l’annonce est inscrit dans les publications de cette maison.

En tout cas Tentacule est un bon, très bon moment à passer. On ne se surprendra pas à en relire les pages déjà cornées (veillez tout de même à laisser la fenêtre ouverte). Mieux qu’un recueil d’aphorismes et d’analectes, la parole y devient poétique et le demeure.

Patrick Cintas