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 Article publié le 18 février 2024.

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La bécasse est timide, simple d’allure comme d’atours. Elle est accorte cependant, rondelette et bien en chair. Rien qu’à la voir se couler sous les fougères, souple et dodue, on la devine savoureuse. Ni l’homme ni l’animal ne s’y trompent...

J. de Pesquidoux, Chez nous, t. 1, 1921, p. 202.

*

Une langue poussée à son paroxysme d’expression.

Jamais ivre d’elle-même ni humble servante de quelque projet savamment ourdi ou tout au contraire délicieusement farfelu, profond, sérieux, fantasque, irrésolu, hésitant, bancal, peu importe.

 

Le monde… oui, mais lequel au juste ?

« Tout un monde lointain » … Celui-là, où qu’il se trouve, emportera toujours l’adhésion de l’aventurier sédentaire que je suis.

Ne te déplace jamais pour te déplacer ! Dépayse-toi autant que tu peux ! Pourquoi ici et pas ailleurs ? C’est le coup de cœur qui décide, provoqué par une configuration singulière des lieux.

Tous les prés sont verts et plus ou moins pollués…

Vivre quelque part en faisant abstraction des habitants des lieux ? Impossible et néfaste tant aux habitants des lieux qu’à toi-même ! Pourtant, tu dois bien le reconnaître : tu ne connais presque personne ici, et ici, dans cette campagne paisible, c’est du purin et du fumier que bon nombre de gens ont dans la tête, ce qui se manifeste clairement dans leurs votes qui favorisent la racaille nationalpopuliste.

La néo ruralité, si elle n’est que la transposition paresseuse d’un mode de vie urbain, est vouée à l’échec.

Se tenir à bonne distance du « monde », des gens ; ne voir que ce que l’on veut voir, s’enfermer dans le mutisme ou bien radoter sur « le monde s’avant » entouré de vieux cons. A contrario, plonger au cœur de la mêlée, s’impliquer, s’engager. Pas pour moi tout ça.

Les alternatives ne me conviennent pas, elles m’ennuient. Je leur préfère ma fourche à trois dents.

 

Déroule les paradoxes, ne les empile pas !

Pas de banquise ni d’aimables bancs dans un parc ensoleillé. Ombres mouvantes-bercées des arbres en majesté se balancent sous le vent. Ne me parlez pas de ses caresses ! J’aime les bourrasques, les coups de vent, les imprévus.

 

Il cherche ses mots dans les mots. Hordes ou meutes ? Il ne sait trop jusqu’au moment où l’un d’eux lui saute à la gorge. Il tient là sa réponse mais n’est bientôt plus là pour en parler, emporté qu’il est vers d’autres mots tout aussi carnassiers qui ne cessent de lui sauter à la gorge.

De bête féroce en bête féroce, il se fait gentil toutou à sa mamie, mais rien n’y fait, les mots ne cessent de s’en prendre à lui. Sans cesse pris à partie, il ne cesse de se défendre de prendre parti.

 

Avant son franc départ, le navire, du plus modeste au plus impressionnant par son tonnage, a besoin d’étais. Accorte présence qui lui fait comme une rangée de dents qui lui faudra perdre lors de sa mise à flot. Tout sourire, la mer l’accueille avec ses dents d’écume blanche.

 

La mer, toujours fidèle à elle-même,

Seule à même de conjoindre au même instant mémoire et oubli

En cela spectacle vivant, bain de jouvence et repoussoir

Pour les femmes et les hommes que la vague à l’âme n’effraie pas

 

Être au four et au moulin.

Bâtir une œuvre en dressant à soi un piédestal voire un monument (funéraire ?).

Ni l’un ni l’autre. Il n’y a pas d’œuvre qui tienne, quand on y songe.

L’accore de ces falaises, en Ecosse, peu accortes, elles n’en retiennent pas moins le pays de sombrer dans la mer.

 

Tes commentaires ressemblent à des échafaudages qui gâchent la vue de l’œuvre en cours de réalisation.

 

Mais on t’a prévenu : une fois l’œuvre achevée, il te faudra disparaître. Cet effacement ne convient guère aux modernes invités sur des plateaux télé à venir pérorer sur leur œuvre. On appelle ça faire la promotion de son livre. Mélange de confidences complaisamment livrées et de retenue : le quant à soi de l’écrivain tend à disparaître au profit d’un tintamarre de foire agricole.

Encore un peu, et l’écrivain ressuscitera le bateleur-crieur de foire, le Martktschreier - il faut bien se faire entendre et surtout se faire remarquer ! - mais privé de voix, pantin de mots devenus impersonnels, pâte à modeler verbale entre les mains de l’interviewer. 

Dans le milieu littéraire, il est devenu de bon ton de se moquer de ses aînés. Les crétins qui se livrent à ce jeu se croient sans doute immortels. Leur tout viendra. Tel est pris qui voulait prendre.

Se livrer en public, se livrer en pâture au public, rester hermétique, clos sur soi-même, énigme à soi qui se dit énigme, se disant énigme ne fait que rendre plus opaque le désir de transparence qui anime ton écriture rétive à toute confidence.

 

Rebours, moi ? Oh bien volontiers ! Je n’ai jamais mal aux cheveux.

 

Ça ne durera pas, alors profite !

Parenthèse enchantée ou morte saison, selon un rythme binaire que je ne connais que trop bien.

A ce rythme lassant, j’ajoute un tiers, ma joie qui balance entre le repli taciturne quelque peu avaricieux et la franche exultation qui déborde sur autrui !

De cela en toi qui chante et t’enchante, s’élance et meurt. Cycles peu amènes. Rude besogne !

Tisonne, tisonne, tout feu éteint ! L’ardeur de tes mains, à réveiller un mort !

Enchanteresse, ta parure elfique, ma douce amie !

Les phrases coulent de source. Impossible d’en capter la source vive. Il faut en suivre le cours à la seconde où elles jaillissent.

L’élan et puis le bond, avant le rebond.

Met meg skal du bu. Cela ne se fit, ni en France ni en Amérique ni en Scandinavie. Je poursuivais un rêve impossible.

Ailleurs, dans la langue élue.

Fort de cet échec, j’en vins à la plus simple des conclusions : les rêves, bien que de ce monde, n’appartiennent pas au monde, tiennent d’un autre lieu d’où ils proviennent et qui se doit de rester scellé. C’est le for intérieur.

Toute communication se communique communiquant, quelle que soit la teneur du message communiqué.

Le contexte de parole, les signes employés, la teneur du message, le destinateur et le destinataire, tout cela tenant ensemble, tout un art !

Manque en Littérature le destinataire, instance ultime seule à même de faire vibrer l’ensemble !

Ces mots de tous qui n’appartiennent à personne.

Le choix des mots a son importance, en diplomatie particulièrement.

Transition away / Phase out…

Cela que tu écris, personne d’autre que toi ne le peut, ce qui ne te rend pas unique mais à tout le moins singulier.

L’art et la caresse, l’art de la caresse, les caresses de l’art, toujours plurielles…

La lumière est indifférente à tout ; elle brille sur les crimes les plus atroces comme elle illumine les cimes des montagnes si proches, si lointaines. L’œil, lui, n’est pas indifférent mais souvent myope voire aveugle, à la beauté surtout, particulièrement lorsqu’aucun motif de s’émouvoir sexuellement n’est en jeu.

Ce moment où la joie tranquille vire au malaise, qu’il est malaisé d’en rendre compte finement !

Les confessions les plus crues peuvent exciter le cortex, mais rien ne vaut un ensemble de non-dits à peine perceptibles, sensibles seulement dans quelques grandes œuvres.

Ce moment où les non-dits de l’œuvre entrent en dialogue intime avec son lecteur, moment de pure magie, absolument incommunicable à autrui. Tenter d’en parler, ce serait comme inviter un tiers au beau milieu d’un transport ou d’un ébat amoureux.

Quelques mots « fuitent » dans la conscience aiguisée du lecteur, ils picotent son cortex en pleine lecture, courent en parallèle des mots à l’œuvre dans l’œuvre, débat unique en son genre et à huis clos !

Pas de tiers témoin pour l’indicible !

En littérature, le repentir n’appelle aucun pardon. Il faut raturer, biffer, dégraisser. Avec les moyens modernes, nos futurs historiens de la Littérature n’auront plus grand-chose à se mettre sous la dent, d’autant plus que la Littérature de qualité est en voie d’extinction.

Connaissez-vous une espèce en voie de distinction ?

Oui da ! L’ingénieur matois !

Permettez-moi de lui préférer le madré perdreau venu ici se perdre dans les verdures de ma prose fleurie. Il n’y coupera pas, il lui faudra, tôt ou tard, faire face à son étymon comme à sa responsabilité propre.

Assurément, il ne finira pas en coupe réglée ornée d’onyx et d’agate, la rugueuse excroissance de l’érable s’étant perdue depuis belle lurette dans le champ des mots que tout le monde laboure plus ou moins en en ignorant les richesses. L’humus se perd dans la nuit des temps.

Matte, prairie en allemand, lieu de rencontres des matois et autres filous et tire-laines.

Madre, de maser en vieux haut allemand : excroissance rugueuse de l’érable, puis cœur ou racine de tous les bois, et enfin bois veiné utilisé pour fabriquer des vases à boire, des coupes, des écuelles ou des hanaps mais aussi, par extension, les pierres précieuses (agate, onyx) dont on faisait les coupes.

L’étymologie n’est sous-jacente que dans les propos et les écrits de quelques-uns, hélas trop peu nombreux.

Ceux qui ignorent la poésie sont sourds à la musicalité de leur langue maternelle et pour ainsi dire arythmiques ; à cette déficience musicale vient s’ajouter l’ignorance de l’étymologie. Déficience musicale et ignorance des étymons font bon ménage chez les gens du commun.

Ce gros balourd encuirassé bouté hors des murs à coups d’estoc et de taille par la plus fine lame du royaume ne put participer au béhourd de ses rêves. Il s’en alla rejoindre les âmes mortes.

 

Dialoguer avec un livre est chose aisée ; les paroles fixées par écrit peuvent être relues autant de fois qu’on le désire, tandis que les paroles qui s’entremêlent tout en se perdant finissent pas créer un flottement, une indécision, à tel point que ni point de départ ni point d’arrivée ne sont discernables. Tout reste ouvert mais perdu à tout jamais. Les conversations à bâtons rompus sont comparables à des improvisations musicales dont il ne reste rien.

Dans le livre, les pensées tournent en boucle dans mon esprit. Demeure double qui n’en reste jamais là. Je ne piétine pas, sans pour autant avancer d’un seul pouce.

Gymnaste dans mon enfance, je n’ai jamais su faire la roue. Bonds et roulades étaient mon fort en revanche.

Le hors-livre auquel les paroles du livre s’adressent continument en s’y référant sans cesse ne peuvent s’aborder que dans l’espace clos du livre, d’où pour certains lecteurs impatients, qui n’y tiennent plus, la tentation de lâcher le livre pour retrouver l’air libre, choix malheureux qui les conduit à ouvrir un autre livre dans l’espoir d’y trouver cette fois une issue aux questions qui font pour ainsi dire suffoquer leur pensée.

Un air pollué n’est pas l’air raréfié des sommets, tant s’en faut, c’est pourtant ce qu’on me donne à respirer dans la plupart des livres mal écrits. Il me faut en passer par ces basses terres méphitiques pour ne serait-ce que m’informer, mais je quitte au plus vite l’atmosphère délétère dans laquelle baigne la pensée mauvaise qui y fait la roue de paon.

Qu’on ne s’y trompe pas : j’aime les corbeaux, et plus largement tout le bestiaire que les Chrétiens se sont employé à diaboliser durant ce laps de temps qui leur fut favorable. Ours, sangliers, mésanges bleues de mes ancêtres, salut à vous !

Etant tout entier épineuse question pour moi-même, hybride de nerprun et de prunellier, mes deux arbrisseaux préférés, je ne puis me satisfaire de réponses que d’autres m’apporteraient sans quelques plaies vives bien senties.

La victoire, toujours provisoire, est à ce prix, la paix impossible et peu souhaitable.

Les questions s’amoncellent et pourrissent, formant un tas informe qui ne cesse de s’agrandir à défaut de grandir qui le compose.

Qui saurait composter ce magma putrescent régnerait sur le monde, à condition de savoir y planter les graines adéquates. Hélas, ni compost ni semences à ce jour ne s’offrent à nous.

La pensée humaine, décharge à ciel ouvert…

Au lieu de cela, des factions de réponses s’affrontent en des combats mortels d’ennui. Je ne joue pas à ce jeu-là.

Je t’ai apporté un bouquet de questions auxquelles tu te feras un plaisir de ne pas répondre. Je les ai cueillies tôt ce matin sur l’églantier qui borde ma propriété. Encore fraîches de la nuit. Hâte-toi d’en égaler la grâce !

Dans le rêve - un long et charmant corridor végétal, sorte de hêtraie encombrée de tapis de ronces - soudain, tout au bout, une fenêtre noirâtre, désagréablement, me fixait avec insistance. Il me fallut mettre fin au rêve pour ne plus l’avoir sous les yeux.

Cette femme m’apparut tel un buisson de ronces. Je m’en allai peigner les myrtilles sur la colline boisée, c’était plus sûr.

 

Jean-Michel Guyot

4 janvier 2024

 

 

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