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Métamorphose des barbares
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 Article publié le 14 septembre 2008.

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Métamorphose des barbares
Images de l’Allemand dans la littérature israélienne
Benoît PIVERT
Université de Paris XI

Dans son livre intitulé Israel und die Deutschen, consacré à l’évolution des relations entre les Allemands et l’Etat d’Israël, Inge Deutschkron décrit ainsi le sentiment prédominant en Israël dans les années 50 et 60 à l’encontre d’un peuple considéré comme un peuple de bourreaux : « Après qu’eurent éclaté la douleur et la tristesse, une vague de haine se leva en Israël contre les auteurs de ces crimes et contre ceux qui les avaient laisser se perpétrer.[…] Seul comptait le fait que des millions de juifs avaient été assassinés de la manière la plus horrible, la plus infâme et la plus cruelle par des Allemands, et ce sous les yeux d’Allemands qui, sans s’opposer, avaient laissé faire. La « faute collective » de l’ensemble du peuple allemand était à leurs yeux [aux yeux des Israéliens] manifeste et irréfutable. La conséquence de cet état d’esprit était alors pour chaque Israélien : plus jamais de relations avec les Allemands, jamais de réconciliation. »[1]. Dans la pratique, cela allait du boycott par les foyers israéliens des produits électroménagers allemands jusqu’aux consignes données aux diplomates israéliens face à un interlocuteur venu de « là-bas » : « lui serrer poliment la main, parler avec lui une à deux minutes puis saisir la première occasion pour se lancer dans une conversation avec quelqu’un d’autre »[2].

Anat Feinberg, aujourd’hui professeur d’études juives et de littérature hébraïque à l’université de Heidelberg, égrène dans la préface de son livre Wüstenwind auf der Allee (Le vent du désert sur l’avenue) ses souvenirs d’enfant et d’adolescente et ressuscite le climat de cette époque. La petite fille, intriguée, s’était demandé à la fin des années 50 ce que signifiait sur le passeport israélien de sa grand-mère cette mention « valable pour tous pays sauf l’Allemagne ». Quel pouvait bien être ce mystérieux pays dont il était interdit de fouler le sol ? Mentionné sur les passeports, il était en toute autre circonstance innommable, uniquement désigné par la circonlocution lourde de sous-entendus misham (de là-bas) comme un ailleurs étrangement inquiétant. Au jardin d’enfants, une des comptines consistait à faire chanter aux enfants echad, shtaim, shalosh, arba, mi germania Hitler ba. Pour respecter la rime, il faudrait traduire par « 1, 2, 3, 4, Hitler est venu d’Allemagne [nous abattre] ». Hitler était donc pour les enfants un mystérieux père Fouettard et l’Allemagne le pays du père Fouettard. C’est sans doute la raison pour laquelle la grand-mère d’Anat Feinberg qui avait vécu heureuse dans le Berlin des années folles affirmait sans s’appesantir n’avoir pas la moindre envie de remettre les pieds « là-bas ». 

On mesure mieux combien le temps a passé lorsque l’on sait que de plus en plus nombreux sont aujourd’hui les Israéliens de la jeune génération qui, poussés par les difficultés économiques, fatigués des tensions politiques ou simplement curieux du passé, n’hésitent pas à s’installer en Allemagne et notamment à Berlin, ainsi cette historienne, auteur d’Israéliens à Berlin[3], ouvrage que la maison d’édition Suhrkamp présente en ces termes : « Il émane de Berlin une fascination qui rayonne jusqu’en Israël. De plus en plus de jeunes Israéliens sont attirés aujourd’hui par cette capitale ancienne et nouvelle.[…] L’historienne israélienne Fania Oz-Sulzberger a vécu un an à Berlin et a tenté d’analyser ses propres sentiments mitigés comme ceux d’autres Israéliens à l’endroit de ce lieu tout autant réel qu’imaginaire. »[4] Sans doute peut-on, sans grand risque de se tromper, élargir ces « sentiments mitigés » à l’ensemble de l’Allemagne passée et présente dont Berlin n’est ici que le symbole.

Certes, en Israël, on achète désormais sans états d’âme des réfrigérateurs Miele ou des BMW pimpantes, pourtant, comme le signale Anat Feinberg, « même si aujourd’hui on peut entendre parfois en Israël des œuvres de Strauss ou Wagner, ce n’est toujours pas quelque chose qui va de soi »[5]. Où en sont donc précisément aujourd’hui les relations entre les Israéliens et l’Allemagne ? A défaut d’effectuer un sondage, nous avons choisi de nous pencher sur la représentation des Allemands dans la littérature israélienne contemporaine en prenant pour fil conducteur l’anthologie d’Anat Feinberg, Wüstenwind auf der Allee. Si nous avions choisi de n’étudier qu’un ou deux auteurs, le risque eût été grand de verser dans la subjectivité. En réunissant dans cette étude une brochette d’écrivains de tous âges depuis Aharon Megged né en 1920 jusqu’à Etgar Keret né en 1967, les chances sont sans doute plus grandes de cerner dans toutes leurs subtilités les relations entre deux peuples que l’on a cru à jamais irréconciliables.

Malheureusement ou heureusement, le temps a fait son œuvre, fragilisant la mémoire et favorisant le présent au détriment du passé, comme on le constatera à la lecture d’une nouvelle d’Etgar Keret autour d’une paire de baskets Adidas made in Germany. Croire que le passé n’a pas laissé de traces serait toutefois une conclusion hâtive comme le suggère l’extrait d’un roman d’Orly Castel-Bloom qui, en référence aux Allemands, pourrait avoir pour sous-titre Les pires salauds de l’histoire. Sans doute la « vérité » est-elle comme souvent entre les deux extrêmes, peut-être comme cette réconciliation pleine d’anicroches dont Aharon Megged a fait l’objet de sa nouvelle « La visite de Madame Hilde Hofer ».

 

I - Fragilité de la mémoire

 

Que peuvent bien éprouver les jeunes Israéliens lorsque, le jour du souvenir de la Shoah, les sirènes retentissent à travers tout le pays et que soudain tout s’arrête, voitures et piétons, écoliers et retraités ? Les enfants parviennent-ils, lorsqu’ils visitent le mémorial de l’Holocauste à imaginer l’inimaginable ? Sans doute en ressortent-ils la haine au ventre, la haine envers ce peuple allemand qui a laissé faire, qui a encouragé la barbarie et qui est allé jusqu’à cracher sur ces colonnes d’êtres hagards dont le regard n’implorait qu’un verre d’eau et un morceau de pain. Mais combien de temps dure la rage au ventre ? Il y a fort à parier que nombreux sont les enfants qui sortent de Yad Vashem en promettant aux disparus de ne jamais oublier, de ne jamais mettre les pieds en terre barbare mais que deviennent ces promesses avec le temps, ce temps qui efface tout et qui fauche chaque année les derniers survivants ? Bien que l’Etat d’Israël fasse tout pour entretenir le souvenir et que des rescapés se dévouent pour raconter l’impensable, il n’y a rien de plus fragile que la mémoire humaine. Ce sont ces thèmes – o combien tristes – qu’Etgar Kéret est parvenu à mettre en scène dans une nouvelle intitulée Chaussures[6]  (1994), tournant autour d’une paire de baskets. Cette nouvelle est disponible en français dans le recueil Crise d’asthme[7]. Si la légèreté du récit contraste remarquablement avec la gravité du sujet, c’est peut-être la preuve que l’humour peut-être tout aussi efficace – si ce n’est plus – qu’un sérieux de circonstance.

Pour son héros comme pour tous les élèves de sa classe, la journée en mémoire de la Shoah représente avant tout une excursion au cours de laquelle les écoliers sont obligés de contempler des photos en noir et blanc représentant des tas de squelettes tandis que des survivants prennent la parole pour entretenir le souvenir de la catastrophe et parfois, comme dans la nouvelle, souligner la responsabilité collective du peuple allemand au-delà des seuls nazis. L’orateur qui prend la parole devant le jeune héros conclut son discours par ces mots : « Les Allemands sont encore en vie et ont toujours un Etat. »[8] Et d’ajouter qu’il ne leur pardonnera jamais, qu’il espère que les enfants feront de même et ne mettront jamais les pieds dans ce pays. Pour ce rescapé, tout ce qui vient d’Allemagne est frappé au coin de l’infamie, non seulement les individus mais aussi tout ce qu’ils produisent : « à chaque fois que vous voyez un produit allemand, peu importe que ce soit un téléviseur – car la plupart des marques de télévision viennent d’Allemagne – ou quelque chose d’autre, songez toujours que sous l’emballage élégant de la marchandise se trouvent des pièces et des tubes fabriqués à partir des os, de la peau et de la chair de juifs morts »[9]. Le propos peut sembler outrancier mais n’est-ce pas souvent sur l’utilisation de la main-d’œuvre déportée que des empires industriels dont les fleurons trônent aujourd’hui dans les rayons des magasins ont autrefois assis leur fortune ?

Pour ce survivant qui s’adresse aux enfants, tous les Allemands sont complices. C’est pourquoi il les met en garde et leur demande, à chaque fois qu’ils verront un Allemand, de se souvenir de ce qu’il leur a raconté. Le jeune narrateur dont le grand-père a péri dans l’Holocauste est donc tout décontenancé lorsque sa mère lui offre une paire de baskets Adidas venues d’Allemagne. Il se sent d’abord très mal à l’aise puis finit par les chausser avec, à l’esprit, le souvenir de son grand-père assassiné. Il descend alors dans la cour et finit par se joindre à un groupe de jeunes occupés à jouer au foot. Si au début ses gestes se font prudents car il a l’impression que chaque coup de pied dans le ballon est un coup porté à son grand-père, enivré par le jeu, il en vient à oublier d’où viennent les chaussures qu’il a aux pieds. Le vieil homme qui avait tenu son discours l’avait bien prédit : tout le monde finit par oublier. Pourtant, le jeu fini, c’est à son grand-père que le garçon, dans un monologue intérieur, dédie le magnifique but qu’il a marqué. Admirable conclusion plus profonde qu’il n’y paraît. En portant ses chaussures, le garçon s’est aperçu qu’elles étaient « terriblement confortables et en quelque sorte beaucoup plus souples »[10] qu’il ne l’avait imaginé en les contemplant dans leur boîte en forme de cercueil. L’enthousiasme juvénile suscité par ces chaussures allemandes à la légèreté insoupçonnée semble être le signe que le poids du passé commence à s’alléger. Un jeune juif porte soudain une paire de baskets en provenance du pays de l’horreur presque sans frémir. Certes les souvenirs dérangeants ne sont pas absents mais ils ne sont pas présents à chaque instant. Emporté par le jeu, donc le mouvement du présent, le garçon oublie ce qu’il s’était promis de ne jamais oublier. Peut-on l’en blâmer ? L’être humain est ainsi fait que, malgré la meilleure volonté du monde, il ne peut vivre sans cesse dans le souvenir. Il serait certes illusoire de croire qu’entre Israël et l’Allemagne le passé est absent. Un certain nombre de textes qui vont suivre sont là pour témoigner de la persistance du ressentiment mais à la lecture du récit d’Edgar Keret on sent déjà que s’il n’y avait quelques survivants pour entretenir la mémoire du passé, l’Allemagne ne serait plus – et ne sera sans doute bientôt plus pour beaucoup – qu’une indication quelconque sur les cartes de géographie ou une simple mention sur un carton d’emballage : Made in Germany.

 

II - Les plus grands salauds de l’histoire

 

 Chez Etgar Keret, la haine viscérale des Allemands appartient à la génération des survivants. C’est sans états d’âme que les parents du jeune héros ont offert à leur fils une paire de chaussures de marque allemande et, au plaisir que ce dernier éprouve finalement à les porter, on devine qu’elles ne seront bientôt plus pour lui qu’une belle paire de baskets dont il tirera fierté. Si Etgar Keret met en scène la fragilité de la mémoire, l’héroïne de Dolly City [11]

(1992) d’Orly Castel-Bloom incarne, au contraire, la maxime selon laquelle la vengeance est un plat qui se mange froid. Certes, cette femme obsédée par la médecine, qui diagnostique des cancers aux poteaux télégraphiques, peut apparaître comme très dérangée et son expédition punitive en Allemagne comme ubuesque, pourtant n’a-t-on pas tendance à la considérer comme folle parce qu’elle a l’inconscience de proclamer haut et fort – à propos des Allemands notamment – ce que les autres pensent tout bas ?

Avec un humour macabre, O. Castel-Bloom la met en scène en quête d’un rein à greffer pour son fils car elle ne se rappelle plus combien ce dernier en possède, or dans le doute deux précautions valent mieux qu’une. Plutôt que d’attendre indéfiniment un donneur, la mère est résolue à kidnapper un enfant et à lui voler son rein. Elle songe bien d’abord au Brésil où l’on est tombé si bas que même des gosses dirigent des bordels… mais le Brésil, c’est loin et il faudrait danser la samba ! Il y aurait bien les Arabes auxquels elle pourrait s’attaquer sans scrupules car, après tout, ne détestent-ils pas autant les juifs que les juifs les détestent ? Mais comme chacun sait, il vaut mieux ne rien avoir affaire avec eux ! Se demandant quels sont « les pires salauds »[12] de l’Histoire dont la monstruosité justifierait que l’on vole un rein à l’un de leurs rejetons, son choix s’arrête sur les Allemands… qui ont bien mérité qu’elle organise une expédition punitive dans un orphelinat de Düsseldorf !

L’arrivée en Allemagne est à la hauteur de ses attentes. Des néo-nazis agitent des banderoles et lèvent le poing sur le passage d’une équipe sportive israélienne… L’héroïne entreprend alors de trouver un orphelinat isolé dans lequel elle se rend en transportant son fils dans une valise munie de trous d’aération. La météorologie désastreuse est, tout comme le chauffeur de taxi, à la hauteur des clichés. D’abord il pleut, puis il neige et le donneur de taxi est un grand donneur de leçons comme tout Allemand qui se respecte. La jeune femme qui accueille l’héroïne à l’orphelinat est une nymphomane qui finit par avouer qu’elle passe sa vie à se dévouer aux enfants pour expier les crimes d’un grand-père paternel SS. Toutefois, elle n’en peut plus de porter le fardeau de cette culpabilité qui l’écrase. La seule chose à laquelle elle aimerait se consacrer entièrement, c’est le sexe. Les deux femmes concluent un pacte diabolique. L’infirmière de l’orphelinat consent à livrer à l’inconnue des enfants à condition qu’elle ne leur enlève pas seulement un rein mais aussi qu’elle leur ouvre le crâne pour savoir ce qui, chez les Allemands, ne tourne pas rond. La solliciteuse accepte, bien résolue à ne pas se donner tant de peine : « A quoi cela sert-il de savoir que les Allemands ont la tête pleine de merde ? »[13]

Certes l’épopée tragi-comique est « hénaurme » mais Orly Castell-Bloom ne met-elle pas en scène sur le mode outrancier et grotesque l’inconscient israélien et les archétypes qui la hantent : la femme allemande perverse et nymphomane, l’ascendance nazie généralisée, une curiosité scientifique diabolique faisant fi de toute humanité et une pseudo-repentance qui n’est qu’un simulacre fastidieux, le tout pimenté de quelques clichés météorologiques sur une Allemagne, terre de cauchemar, prise sous le froid, la pluie et la neige ? Dans son outrance, l’héroïne déjantée brise les tabous ; resurgit alors tout le non-dit qui encombre l’inconscient – et aussi le conscient – israéliens. Pourquoi O. Castell-Bloom a-t-elle choisi l’humour noir pour l’exprimer ? Peut-être parce que les choses seraient, sans l’oxygène de l’humour noir, par trop insupportables, ce sentiment que toute cette repentance allemande n’est que simulacre et que le nazisme est toujours bien vivant. Le récit d’Orly Castell-Bloom illustrerait alors les conclusions de Freud lorsque ce dernier déclare voir dans l’humour l’épargne de la « dépense nécessitée par la douleur »[14]

 

III - Portraits en demi-teinte

 

Dans sa haine viscérale des barbares, l’héroïne d’Orly Castel-Bloom apparaît toutefois bien isolée à l’intérieur du paysage de la littérature israélienne contemporaine. Il n’y a guère que dans Hauteur du niveau de la mer, une nouvelle de Lea Aini, analysée plus loin dans cette étude, que la germanophobie s’exprime par endroits avec une agressivité comparable. Dans ce récit de Lea Aini, un vieil Allemand dont la fille a disparu sans laisser de traces montre désespérément la photo de sa fille aux touristes allongés sur les bords du lac de Tibériade. Il essuie des réactions d’une hostilité virulente. Sûrs de n’être pas compris en parlant hébreu, les baigneurs traitent la jeune fille photographiée de « vache blonde » ou de « putain » tandis que son père devient le « Père Hitler » ou un nazi. A ceux qui avaient cru que la germanophobie avait disparu, cette plongée au cœur de la société israélienne populaire inflige un cinglant démenti. Les écrivains semblent beaucoup plus mesurés dans leur propos, ce qui incline à se demander s’il n’existe pas sur la question de la haine de l’Allemagne et des Allemands un clivage entre les réactions d’hostilité épidermique de l’homme de la rue et le jugement plus mesuré des intellectuels qui n’imputent pas aux fils les crimes de leurs pères. Ce qui est frappant aujourd’hui dans la littérature, c’est que le raccourci séduisant de simplicité « Allemand = monstre » ne va pas de soi et appelle des nuances. On pourrait dire, du reste, que c’est ce qui dénote la maturité de cette littérature et une sorte d’élévation spirituelle chez les écrivains qui la composent car la magnanimité exige une hauteur de vue qui n’est pas donnée à chacun. On pourrait citer l’exemple de Hanoch Bartov avec Le pays des forêts noires (1965) extrait du roman La brigade[15]. Dans son récit, Bartov, romancier, nouvelliste et dramaturge né en 1926 à Petach Tiqva (Israël), mêle habilement message philosophique et art du suspense en faisant monter l’adrénaline du lecteur qui suit dans son avancée la progression d’une division de la Brigade juive[16] dans une Allemagne en déroute. Les soldats juifs de la Brigade finissent un soir par rencontrer l’ennemi. Quelle n’est pas leur surprise de croiser en chemin une silhouette plus pitoyable que terrifiante ! L’homme, un ancien de la Wehrmacht qui a arraché ses épaulettes, se tient sur une bicyclette dans un pantalon tout déformé. Sans qu’on lui ait rien demandé, il indique aux soldats juifs une maison où ils pourront débusquer des SS.

Au-delà de l’attitude impénétrable de l’homme, ce qui frappe le narrateur, c’est l’impression de le connaître déjà. N’a-t-il pas, en effet, la même intonation, la même silhouette solide, presque grasse, le visage pâteux de Holländer, un juif allemand qui s’est installé récemment dans son moshav[17] - comme beaucoup d’autres – et qui a mis en place des cours de natation en utilisant l’étang artificiel destiné à irriguer les citronniers ? Le narrateur se demandait à quoi pouvaient bien ressembler les abominables Allemands. A son grand étonnement, tout lui est familier depuis les bottes de montagnards jusqu’à la conduite de la bicyclette aux larges pneus. Tout serait tellement plus simple si l’ennemi portait l’ignominie inscrite sur le visage mais voilà, les monstrueux Allemands sont au fond terriblement « banals » et sans doute fallait-il à Hanoch Bartov une certaine dose de hardiesse pour dresser de l’ennemi un portrait si déroutant.

Dans une autre nouvelle signée Savyon Liebrecht[18], une jeune juive qui cultive des fraises dans un camp de concentration (La jeune fille aux fraises[19], 1992) parvient à faire vibrer chez les nazis et leurs épouses toutes les cordes des émotions humaines. L’intention de l’auteur n’est jamais de rendre les bourreaux sympathiques mais de montrer plutôt l’infinie complexité de la nature humaine. Grâce aux multiples personnages de son récit, Savyon Liebrecht ne met pas en scène l’Allemand mais les Allemands en faisant se côtoyer des personnages aussi dissemblables qu’une narratrice sensible, capable de pitié mais aveugle quant aux drames qui se jouent dans le camp, et des personnages cruels comme son mari, impitoyable avec les faibles, ou encore la femme de l’Obersturmbannführer qui envoie sans états d’âmes la jeune fille aux fraises au four crématoire. Le récit apparaît bien dosé. C’eût été faire dans l’angélisme que de mettre majoritairement en scène des personnages naïfs ou charitables dans le voisinage immédiat d’un camp d’extermination. Toutefois, Savyon Liebrecht n’exclut pas que certains Allemands – comme la narratrice de son récit – aient pu ne pas véritablement mesurer l’horreur tant celle-ci peut apparaître comme proprement inimaginable. Manifestement la plume des auteurs comme Hanoch Bartov ou Savyon Liebrecht n’est pas guidée par la haine, cette haine qu’Inge Deutschkron dans Israel und die Deutschen décrivait comme le sentiment dominant à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Une chose est sûre, à la lecture de ces récits il ne semble plus possible d’écrire sans nuance comme Inge Deutschkron le faisait en référence à l’immédiat après-guerre : « Les juifs ne firent pas de différence entre Allemands et nazis. Ils ne s’aperçurent pas (et ne pouvaient sans doute pas s’apercevoir) que des Allemands – assurément une minorité seulement – avaient souffert des nazis, que des Allemands – en nombre infime – avaient risqué leur vie pour sauver des juifs[20]. » Elle poursuivait en notant : « Chaque Israélien semblait avoir des idées bien arrêtées quant aux Allemands, sans qu’existât la possibilité d’une révision de ce jugement [21] ». 

C’est précisément à cette révision du jugement qu’invite le récit de Nava Semel intitulé Voyage dans une ville divisée (1985)[22]. David Berger, le héros, est un homme malheureux. Adina, son épouse, l’a quitté et sa mère vient de décéder. En rangeant des papiers dans l’appartement de sa mère défunte, il trouve une lettre adressée à son père en 1964. A l’époque, son père était en déplacement en Allemagne et dans sa lettre, la mère de David lui demandait de retrouver un certain Heinz Klein avant qu’il ne soit trop tard… Plus tard, lors d’une dispute entre ses parents, David Berger avait entendu sa mère s’exclamer : « Si seulement Heinz Klein ne m’avait pas sauvée ! »[23] A partir du moment où il a découvert la lettre adressée à son père, l’existence de Heinz Klein obsède David Berger. Puisque sa mère était originaire de Berlin, il décide de faire le voyage. En épluchant l’annuaire de Berlin-Ouest, il trouve bien un Heinz Klein mais il apprend en téléphonant que cet homme de 35 ans est mort dans des circonstances tragiques trois ans auparavant. David Berger décide donc d’aller passer une journée à l’Est – d’où le titre du récit, Voyage dans la ville divisée, allusion au Mur de Berlin.

A Berlin-Est, ses recherches téléphoniques sont plus fructueuses. David Berger rencontre finalement un vieil homme, Heinz Klein, qui finit par lui avouer avoir connu sa mère. C’était sous le nazisme. La mère de David Berger, Anna Wagner, était dans un camp de travail. On l’avait envoyée dans l’usine où travaillait Heinz Klein. Lorsque ce dernier avait découvert qu’elle était non seulement belle mais capable de réciter par cœur des poèmes de Rilke, il en avait été bouleversé et, au mépris de toutes les lois du Reich, s’était épris de la jeune fille. Klein apportait à manger à Anna en secret. Lorsqu’elle était tombée malade, il l’avait cachée et soignée. Il avait même rêvé à l’époque de quitter sa femme pour épouser Anna après la guerre.

Aujourd’hui, Klein, l’ancien nazi, se demande si cet amour n’a pas été sa seule part d’humanité. Alors que David Berger était encore en Israël, le mystérieux Heinz Klein lui avait inspiré des cauchemars dans lesquels l’Allemand en uniforme le traitait de sale juif et l’invitait à venir voir en Allemagne ce que l’on avait fait à sa mère. Et le voilà soudain face à un vieil homme qui sait qu’il va bientôt mourir. Contre toute attente, David Berger n’éprouve aucune haine en présence de cet ancien nazi qui, après la guerre, a passé 10 années dans les geôles soviétiques et qui a attendu – en vain – qu’Anna vînt témoigner de son soutien. L’homme que David Berger a aujourd’hui face à lui est un ancien nazi avec ses erreurs et ses errements – il reconnaît avoir été un nazi convaincu – mais c’est aussi un homme avec ses faiblesses, chez qui la passion a su l’emporter sur la raison politique et c’est enfin un homme avec ses regrets, blessé de n’avoir pas été aimé en retour. C’est ainsi qu’à sa grande surprise David Berger, l’époux délaissé, finit par se trouver un point commun avec le « monstre » : « il nous est échu, à Heinz Klein et à moi le rôle du mal-aimé. »[24] Et c’est une fois encore l’archétype du nazi qui se fissure. La brute n’est pas entièrement brute. Heinz Klein a pu être tout à la fois un nazi convaincu et l’amoureux transi d’une jeune fille juive. Peut-être vaudrait-il mieux au fond ne jamais rencontrer les coupables tant le risque est grand de voir vaciller les certitudes. Ces certitudes, Nava Semel, à qui l’on doit cette nouvelle, n’a pas craint de les bousculer. Si cette nouvelle avait vu le jour sous la plume d’un auteur allemand, on pourrait soupçonner une volonté d’humaniser a posteriori les bourreaux, d’enjoliver le passé. Difficile de prêter ces arrière-pensées à Nava Semel, membre de l’Institut Massua des études de l’Holocauste et du Conseil supérieur du mémorial de Yad Vashem. C’est donc ici plutôt de courage qu’il faut parler pour qualifier un récit qui, pour mieux souligner la complexité de la nature humaine, n’hésite pas à égratigner les clichés au risque de choquer une opinion publique attachée à une distribution des rôles plus tranchée.

 

 

III - Et les filles rachèteront les péchés de leurs pères…

 

Si le héros de Nava Semel quitte Israël pour se rendre quelques jours à Berlin, c’est à un voyage en sens inverse qu’invite Lea Aini, née en 1962, dans son récit Hauteur du niveau de la mer (1997) mais peut-on encore parler de « voyage » pour désigner au-delà d’un changement de décor une aventure existentielle extrême et sans retour ?

C’est à une véritable métamorphose qu’assiste le lecteur de la nouvelle La hauteur du niveau de la mer[25]. Son héroïne n’est, aux yeux de tous ceux qui la connaissent, qu’une marchande de glaces parmi tant d’autres qui, dans sa camionnette, sillonne les bords du lac de Tibériade et désaltère les touristes assoiffés. Nul ne se douterait que dans une « autre vie », cette femme à la peau hâlée et aux cheveux courts qui parle l’hébreu avec l’accent israélien a été un jour allemande. C’est son itinéraire hors du commun qui constitue la trame de la nouvelle.

Tout a commencé lorsque, en Allemagne, la jeune fille se mit en tête de découvrir par elle-même tout ce que les manuels d’histoire passaient chastement sous silence. A force de persévérance, elle finit par enfin les voir de ses propres yeux, ces squelettes plus morts que vifs et ces cadavres blancs recroquevillés qu’on avait voulu lui cacher. Poursuivant ses recherches en fouillant dans les tiroirs de son grand-père, elle découvrit dans son journal le récit de ses amours et notamment sa relation avec une jeune femme qui avait visité la Palestine et en parlait avec des accents vibrants de sensualité lorsqu’elle évoquait « cette ville qui repose là comme une turquoise, étincelante, avec les têtes couleur de sable de ses palmiers dattiers »[26]. L’imagination enfiévrée par cette lecture, l’héroïne décide donc de marcher sur les traces de « cette douce pécheresse »[27] qui « comme un léopard du désert criait le nom du crucifié dans ses jeux amoureux »[28]. Elle entreprend de laisser derrière elle sa vie étriquée de petite lycéenne provinciale dont le père s’amuse en catimini à faire le salut nazi et elle se met en route un beau matin vers cette Terre promise.

Toute la hardiesse de Lea Aini consiste à faire de cette quête d’Israël également une quête érotique. La jeune fille qui décide de travailler au kibboutz ne va pas seulement y cueillir des fruits. Elle s’offre. Elle se donne aux kibboutzniks, à la fois « pour se repentir et pécher »[29]. Qu’y a-t-il de plus excitant pour la fille d’une nation coupable que de faire jouir les descendants des victimes de ses ancêtres ? Ce n’est peut-être pas cela, l’amour d’un peuple, mais cela peut aussi passer par là comme le montre Léa Aini avec une audace que d’aucuns qualifieraient de pornographique. Elle met ainsi en scène la rencontre de son héroïne avec un jeune juif qui philosophe au lit sur le caractère imbattable « de ces chattes de volontaires qui toutes autant qu’elles sont ne sont faites que de pardon et de rachat tant et si bien qu’on pourrait les ramasser comme à la moissonneuse-batteuse tandis qu’elles n’arrêtent pas de vous adresser l’un de ces adorables sourires d’agneau »[30]. Sous la plume de Lea Aini, Allemands et juifs que la haine a séparés se réconcilient au lit. A la question du kibboutznik : « elle est bonne, cette bite de juif ?[31] », la narratrice répond par l’affirmative. Ce serait toutefois mal interpréter la nouvelle que d’y voir un roman d’éducation sexuelle en terre étrangère. Certes, ils sont nombreux, les kibboutzniks qui passent dans le lit de l’héroïne mais ce n’est pas cela qui la retient. Elle a enfin trouvé son pays. L’Allemagne, c’était hier. Cette terre d’Israël, la narratrice s’est mise à l’aimer de manière fusionnelle. Et lorsque l’on aime sur un mode fusionnel, le désir est grand de ne faire plus qu’un avec l’autre. C’est pourquoi la narratrice est devenue Israélienne. Elle s’est enracinée, le soleil a brûlé sa peau, « ses yeux bleus comme les lacs silésiens s’assombrirent […], ses cheveux devinrent très clairs jusqu’à être parfaitement blanchis comme cette sorte de blé que l’on trouve ici »[32].

L’héroïne réalise là le souhait le plus cher de quiconque tombe amoureux fou d’un pays et dont le plus grand regret est de n’être pas l’un de ses fils. Le plus souvent, ces amoureux restent des étrangers qui cultivent leur passion avec ferveur. L’héroïne de Lea Aini, elle, comme un serpent a changé de peau. C’est dans sa chair qu’elle est devenue fille d’Israël et personne ne devinerait qu’elle fut un jour une autre, pas même son père qui, désespéré, à moitié fou et devenu loqueteux, erre sur les rives du lac de Tibériade en montrant aux touristes dont il sollicite l’aide la photo d’une jeune fille qui n’existe plus. Il arrive bien parfois que la marchande de glaces, prise de pitié, offre au vieil homme un cornet mais sa compassion ne va pas au-delà. Lorsqu’il lui tend la photo de sa fille – sans savoir qu’il l’a devant lui – elle ne peut que dire qu’elle ne connaît pas cette jeune femme. Cet homme n’est plus son père et elle n’est plus sa fille.

Dans cette nouvelle exempte de tout pathos, L. Aini met en scène la réconciliation entre juifs et Allemands sur un mode inattendu. Même si le sujet est tabou, il y a, à n’en pas douter, un érotisme sous-jacent dans la rencontre entre (petits)-enfants de bourreaux et de victimes. Combien de fantasmes inavouables ou inavoués de part et d’autre ? Certes, rares sont ceux qui, parmi les Allemands, poussent l’amour des juifs et d’Israël aussi loin que la protagoniste du récit. Beaucoup s’arrêtent à mi-chemin, se contentent d’apprendre l’hébreu ou d’aller cueillir des oranges en été. Toutefois, comme l’invite à le penser le récit de Lea Aini, il n’est pas impossible que vivent, quelque part entre Haïfa et le Neguev, des Israéliens qui dans une « autre vie » étaient catholiques, protestants et Allemands. Par un de ces mouvements de balancier de l’Histoire, l’amour des juifs peut être aujourd’hui chez les Allemands aussi fort que le fut naguère la haine[33].

 

IV - Le chemin du dialogue

 

 Hilde Hofer, protagoniste d’une nouvelle d’Aharaon Megged[34] illustre bien cet amour des juifs et d’Israël et cette volonté de réconciliation dans son versant institutionnel. Elle incarne à elle seule ces multiples associations d’amitié judéo-chrétienne ou germano-israélienne qui se sont efforcées de reconstruire sur un champ de ruines. Il serait naïf de croire que cette réconciliation se soit faite sans anicroches. Le contentieux avait été trop profond entre les deux peuples pour être effacé d’un revers de la main. C’est à ces susceptibilités inconfortables qu’Aharon Megged s’attache dans sa nouvelle La visite de Madame Hilde Hofer[35] (1989). Certes un récit ne parvient pas à rendre compte de l’infinie variété des rencontres entre Allemands et Israéliens mais la nouvelle d’Aharon Megged démontre avec subtilité qu’une bonne volonté partagée ne suffit pas toujours à éviter les écueils.

La protagoniste, Hilde Hofer, protestante, appartient en Allemagne à un Institut de la Responsabilité Humaine qui l’a amenée – par hasard à la lecture d’un journal – à entrer en contact avec l’Israélien Kurt Levi. Ce dernier a quitté l’Allemagne en 1932 et, après avoir œuvré dans un kibboutz, a fondé de son côté un Cercle de la Responsabilité Morale car il lui semble que la morale est avant tout une affaire individuelle et qu’aucune structure, même aussi noble qu’un kibboutz, ne saurait prétendre incarner la morale et dispenser ses membres d’une réflexion personnelle sur leurs actes. En 1946, il a quitté la ferme collective puis, après avoir fait le tour du monde en quête de vérité, il a fini par développer sa propre sagesse et depuis, sa modeste habitation – un baraquement dans une plantation – est devenue un lieu de pèlerinage pour ses adeptes. Son message est une invitation à rompre avec la morale de la société et à se livrer à une réflexion morale personnelle avant de retourner vers la société.

Hilde Hofer se souvient de la visite de Kurt Levi en Allemagne et du sentiment qu’elle avait eu alors que les protestants rassemblés autour d’elle partageait la quête de ce dernier. Elle avait lu à cette occasion un passage d’un livre de Hermann Cohen, Esprit allemand et judaïsme, qui avait été la bible de Kurt Levi avant son émigration. A en croire l’ouvrage, il existait entre esprit allemand et judaïsme tant d’affinités que le nazisme avait été un grand gâchis. Hilde Hofer s’employait donc en compagnie de Kurt Levi à restaurer l’harmonie perdue. L’Israélien n’avait pas nié la difficulté qu’il avait eue à revenir dans le pays qu’il avait quitté avant que ne s’abattît le règne des ténèbres mais il s’était félicité de la naissance d’une communauté jeune et sympathique dans l’Allemagne d’après-guerre et avait souligné la volonté de ne pas imputer aux fils les péchés de leurs pères.

Lorsque la nouvelle commence, Hilde Hofer est en Israël où elle rend visite à Kurt Levi. Le lecteur note que nulle part ses origines allemandes ne lui valent la moindre hostilité. Tous les Israéliens qu’elle rencontre rivalisent de gentillesse. Toutefois, le projet de Mme Hofer de financer en Israël une fondation comparable à sa fondation allemande, un lieu où l’on pourrait venir se ressourcer en quête de spiritualité, se heurte à l’opposition de Kurt Levi. Pour lui, on ne rachète pas les crimes du passé en édifiant une fondation. La responsabilité morale individuelle qui l’obsède se dissout à ses yeux sitôt que l’on entre dans une institution. Alors qu’en Allemagne une grande communion régnait entre les deux personnages, la rencontre en Israël s’avère décevante pour Mme Hofer. Elle pensait retrouver dans les rayons de la bibliothèque de son hôte le livre qu’elle lui avait dédicacé, un ouvrage rédigé par son oncle, pasteur, intitulé Il a vraiment pris sur lui nos péchés, « un réquisitoire contre le christianisme dans sa relation au judaïsme »[36]. Contre toute attente, elle retrouve l’ouvrage dans les rayons d’une bibliothèque de Jérusalem. Kurt Levi s’en est défait, peut-être insensible une fois encore à cette volonté de généralisations morales là où il n’y a pour lui que responsabilités individuelles. On comprend mieux que, déçue, troublée, Mme Hofer ait fini par trébucher en descendant les marches de l’Eglise de la Dormition à Jérusalem et se retrouve clouée sur un lit d’hôpital où elle avoue qu’il y a sans doute un péché sur lequel on veut l’obliger à méditer. Toutefois, Aharon Megged n’est pas tendre non plus pour Kurt Levi car pas une seule fois le parangon de morale ne vient rendre visite à Mme Hofer à l’hôpital. Et était-il bien « moral » en outre de se défaire d’un cadeau ? La conclusion est donc un peu amère car si des convergences apparaissent bien entre l’idéalisme allemand et l’idéalisme juif comme en témoignent les noms des deux cercles, il n’en demeure pas moins que, malgré une volonté de rapprochement de part et d’autre, susceptibilités et incompréhension demeurent. Le chemin de la réconciliation est parfois plus ardu qu’il n’y paraît.

Toutefois, il convient de garder à l’esprit que ce n’est pas à ces personnages d’Aharon Megged nés avant la guerre que l’avenir appartient désormais mais à la génération du jeune héros d’Etgar Keret chaussé de ses baskets Adidas. C’est à cette génération qu’est dévolue la chance de pouvoir regarder en avant sans porter sur les épaules à chaque instant l’écrasant fardeau du passé. L’Allemand en tant que personnage littéraire particulier est donc sans doute condamné à disparaître à mesure que le visage de cet Autre si longtemps inquiétant gagnera en banalité jusqu’à recouvrer l’humanité qu’il avait perdue.


[1] „Nach dem Ausbruch von Schmerz und Trauer erhob sich eine Woge von Hass in Israel gegen die Urheber dieser Verbrechen und gegen diejenigen, die sie hatten geschehen lassen. [...] Die Juden machten keinen Unterschied zwischen Deutschen und Nationalsozialisten. [...] Einzig und allein die Tatsache zählte, dass Millionen Juden in der schrecklichsten, niederträchtigsten und grausamsten Weise von Deutschen ermordet worden waren, die es ohne Widerspruch geschehen liessen. Die „Kollektivschuld“ des ganzen deutschen Volkes lag in ihren Augen offen und unabweislich zutage. Die Konsequenz dieser Einstellung hiess damals für jeden Israeli : niemals wieder Beziehungen zu Deutschen, niemals Versöhnung.“ Inge Deutschkron, Israel und die Deutschen, Cologne, Verlag Wissenschaft und Politik, 1970, p. 31 sq.

[2] Anat Feinberg, Wüstenwind auf der Allee, Berlin, Aufbau-Verlag, 1998, p. 9-10.

[3] Fania Oz-Sulzberger, Israelis in Berlin, Suhrkamp (Jüdischer Verlag), Francfort/Main, 2001.

[4] Fania Oz-Sulzberger, Israelis in Berlin, Suhrkamp (Jüdischer Verlag), Francfort/Main, 2001. „ Von Berlin geht eine Faszination aus, die bis nach Israel ausstrahlt. Immer mehr jüngere Israelis zieht es heute in die alt-neue deutsche Hauptstadt. […]Die israelische Historikerin Fania Oz-Salzberger hat ein Jahr in Berlin gelebt und sich mit den eigenen gemischten Gefühlen wie mit denen anderer Israelis zu diesem gleichermaßen realen und imaginären Ort auseinandergesetzt.“, quatrième de couverture.

[5] „ Auch wenn man in Israel heutzutage gelegentlich Werke von Strauss oder Wagner zu hören bekommt, so ist es immer noch keine Selbstverständlichkeit“, A. Feinberg, op. cit., p. 14.

[6] Gaza Blues, Tel-Aviv, Zmora Bitan Publishers, 1994. Trad. allemande : Die Schuhe de Barbara Linner in Wüstenwind auf der Allee, p. 42 sq.

[7] Etgar Keret, Crise d’asthme, traduction : Roselyne Pinhas-Delpuech, Actes Sud, octobre 2002.

[8] « [Denn] die Deutschen seien noch am Leben, und sie hätten immer noch einen Staat.“, ibid. p. 43

[9] „ […] jedesmal, wenn ihr ein deutsches Erzeugnis seht, egal, ob das ein Fernseher ist, denn die meisten Fernsehmarken sind aus Deutschland, oder etwas anderes, denkt immer daran, dass sich unter der eleganten Verpackung der Ware Teilchen und Röhrchen befinden, die aus den Knochen, der Haut und dem Fleisch toter Juden sind.“, ibid.

[10] « schrecklich bequem und auch irgendwie viel federnder », ibid. p45

[11] Tel-Aviv, Zmora Bitan Publishers, 1992. Traduction française : Dolly City, Paris, Actes Sud, 1993. Traduction allemande de Mirjam Pressler, Reinbek, Rowohlt Verlag, 1995. L’extrait du roman a été intitulé Die deutsche Niere (Le rein allemand) dans Wüstenwind auf der Allee, p. 194 sq.

[12] „Welche Menschen von allen, die je gelebt haben, waren die allergrössten Schweine gewesen ?“, ibid.

[13] „ Was nützt schon das Wissen, dass die Deutschen einen Kopf voll Scheisse haben ?“, ibid. p. 196

[14] Freud cité par A. Breton in Anthologie de l’humour noir, p. 15.

[15] Hanoch Bartov , le texte est extrait du roman The Brigade, Tel-Aviv, Am Oved Publishers, 1965.Traduction de Ruth Achlama, Land der schwarzen Wälder in Wüstenwind auf der Allee, p. 165 sq.

[16] La Brigade juive de l’armée de terre britannique qui combattait sous drapeau sioniste fut fondée en septembre 1944.

[17] Type de communauté agricole coopérative israélienne associant plusieurs fermes individuelles (source : Wikipedia)

[18] Livre de Savyon Liebrecht à paraître en français : Un toit pour la nuit, Paris, Buchet-Chastel, mars 2008.

[19] Jerusalem, Keter Publishers, 1992. Traduction allemande : Das Erdbeermädchen de Helene Seidler in Wüstenwind auf der Allee, p. 118 sq.

[20] „Die Juden machten keinen Unterschied zwischen Deutschen und Nationalsozialisten. Sie erkannten nicht (und konnten wohl auch nicht erkennen), dass auch Deutsche –allerdings verschwindend wenige – ihr Leben riskiert hatten, um Juden zu retten.“ Inge Deutschkron, op. cit., p. 32.

[21] „Jeder einzelne Israeli schien in seiner Einstellung zu den Deutschen fixiert zu sein, ohne dass eine Möglichkeit der Revision seiner Ansichten bestand.“, ibid.

[22] Tel-Aviv, Sifryat Hapoalim, 1985. Traduction allemande Reise in die geteilte Stadt de Mirjam Pressler in Wüstenwind auf der Allee, p. 89 sq.

[23] „Wenn Heinz Klein mich doch nur nicht gerettet hätte !“, p. 93

[24] „ Heinz Klein und mir ist die Rolle des Nichtgeliebten zugefallen“, p. 116

[25] Tel-Aviv, Zmora Bitan Publishers, 1997. Trad. allemande : Markus Lemke, Höhe des Meeresspiegels in Wüstenwind auf der Allee, p. 176 sq.

[26] „ Die Stadt liegt wie ein Türkis da, funkelnd mit den sandfarbenen Häuptern ihrer Dattelpalmen“, ibid. p. 186

[27] « süsse Sünderin », ibid.

[28] [...] beim Liebesspiel [...] wie eine Wüstenleopardin den Namen des Herrn herausschrie“, ibid. p. 186

[29] « Um zu büssen und zu sündigen“, ibid. p. 191

[30] „[...]die Volontärpussis, die allesamt bloss aus Verzeihen und Sühne gemacht seien, so dass man sie wie mit dem Mähdrescher ernten könne, wobei sie einen nur mit diesem zuckersüssen Schafslächeln anlächelten...“ ibid. p. 188-189

[31] „[...] dieser jüdische Schwanz tut dir gut, ah ?“, ibid.

[32] „Ihre Augen, blau wie die schlesischen Seen verdunkelten sich [...], ihr Haar wurde sehr hell, bis es vollkommen ausgeblichen war und der landesüblichen Weizenart glich“, ibid.

[33] La nouvelliste allemande Gabriele Wohmann en offre un exemple un peu caricatural dans un récit intitulé Das Biotop (« Das Salz, bitte ! », Munich/Zurich, Piper Verlag, 1994). Irmgard et Helmut Kehr ont baptisé leur fils Isaak « dans leur phase philosémite où ils allaient sans cesse en Israël et avaient même une fois travaillé huit semaines dans un kibboutz », op. cit. p. 145

[34] Livres d’Aharon Megged disponibles en français : Le poids de l’innocence, Bibliophane, 2002, Le chameau volant à la bosse d’or, Metropolis, 1997, Derrière la tête, Phébus, 1996, Foiglman, Metropolis, 1997, Shabbat, Metropolis, 1999.

[35] Tel-Aviv, Am Oved Publishers, 1989. Traduction allemande : Der Besuch von Frau Hilde Hofer de Monika Zemke in Wüstenwind auf der Allee, p. 51 sq.

[36] „ eine Anklageschrift gegen das Christentum hinsichtlich seiner Beziehung zum Judentum“, ibid. p. 82

 

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