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L'Enfance retrouvée
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 Article publié le 31 mars 2024.

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À mon arrivée, mon compagnon de chambre me prévient : 

« Ici, mon pote, c’est Alcatraz ! »

Des chambres de chaque côté d’un couloir qu’il appelle le couloir de la mort.

Je ne dis rien. Je le regarde et j’acquiesce en souriant.

Quelques jours plus tard, je suis conduit dans une chambre où je suis seul.

Voici les premiers mots que je m’adresse : « Je m’appelle Jacques Cauda, matricule 24407 (c’est le numéro qui est inscrit sur l’écran de télévision qui domine mon lit), chambre 409.

Je vais bien. Je mange bien. Le matin, je fais de la gymnastique cardiaque. L’après-midi, je dors devant la télévision et quand je me réveille je souffle dans un appareil où il y a boules de couleur bleue. Je dois réussir, après avoir soufflé dans un petit tuyau à les faire remonter jusqu’en haut des tubes où elles sont logées en inspirant l’air que je viens de souffler. C’est trop difficile pour moi qui ai perdu beaucoup de mes capacités thoraciques. Si je jouais sur les mots, je dirais que je manque d’inspiration. Je sais seulement que je m’appelle Jacques Cauda, matricule 24407, cellule 409, et que je suis heureux. Oui, heureux !

C’est à ce séjour que je dois la cause de mon bonheur, j’ai compris pendant ces longues journées à ne penser qu’à moi que j’étais resté un enfant. Et un enfant inachevé prisonnier dans un corps qui pèse 100 kg et qui mesure 1m 86cm. Je ne m’entends avec aucun des adultes qui sont mes compagnons de gymnastique cardiaque. Dès la séance achevée, je me traîne jusqu’à ma chambre où je m’enferme me retrouver avec mon enfance.

Quand j’avais 9 ans, peut-être 10, je voulais grandir, être plus vieux que mes camarades de classe, laisser mon enfance de côté qui me joue des tours en me rattrapant aujourd’hui. Et curieusement et assez logiquement que j’y repense maintenant, les mêmes sensations m’animaient alors : personne ne trouvait grâce à mes yeux. Ils étaient tous trop bêtes, trop jeunes pour moi qui pris alors ce goût pour la solitude qui ne m’a plus quitté.

Plus de cinquante plus tard, c’est dans cette solitude que j’ai retrouvé mon enfance restée sur le bord de ma route. Je me regarde passer et je suis heureux. Heureux d’être cet enfant sans fin qui sourit devant ses compagnons de prison qui vivent très mal leur captivité. Ils sont au désespoir et mon bonheur les rend presque agressifs à mon égard. Ils me font penser à cette phrase qui aurait pu être écrite par Nietzsche : « Prisonniers plein de désirs et de désespoirs, ils sont devenus ces êtres privés de tout sauf de leur mauvaise conscience et ils se blessent aux barreaux de leur propre cage dont je suis devenu le reflet. » Alors qu’il suffit d’inspirer, de souffler et d’aimer l’air qui nous entoure. D’aimer la nourriture immangeable qui nous est servie, de regarder le monde par la fenêtre sans même imaginer qu’elle est hermétiquement fermée par crainte des suicides ou des évasions mais seulement parce nous que sommes si petits que tout est innocence pour nous. Joie. Paix. Et protection…

Je suis enfin ce que j’étais.

 

 

Jacques Cauda

 

 

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