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Article publié le 25 août 2024. oOo À Charles Baudelaire. Croisset, mercredi soir 21 octobre 1857. Je vous remercie bien, mon cher ami. Votre article m’a fait le plus grand plaisir. Vous êtes entré dans les arcanes de l’œuvre, comme si ma cervelle était la vôtre. Flaubert, Correspondance,1857, p. 229. Vous dessinez une femme, mais vous ne la voyez pas ! Ce n’est pas ainsi que l’on parvient à forcer l’arcane de la nature. Balzac, Le Chef-d’œuvre inconnu, 1831 Oui, c’est bien présenté mais c’est cela exactement. Une amie Formule quelque peu étrange en ce qu’elle semble opposer une « bonne présentation » à la possibilité d’énoncer une vérité. Et si « la belle forme » était l’ennemi sournois de la vérité ? Problème à vrai dire posé il y a maintenant fort longtemps par Valéry à propos des écrits de Pascal. Comme si le bien écrire - la maîtrise de la forme, et même la maestria, voire une virtuosité verbale « un peu folle » - obérait toute expression authentique. Mais qu’est-ce donc que l’authenticité en matière d’art ? Distinguer de faux papiers de vrais papiers, c’est affaire de technique, mais en matière d’art qui est en mesure de distinguer l’authentique de l’inauthentique, pour peu qu’il ne s’agisse pas, encore une fois, de différencier « un faux » - la copie d’un original ou même un tableau « dans le style de… - sachant, soit dit en passant, que « les grands maîtres » de la Renaissance italienne avait des élèves-apprentis qui peignaient beaucoup de détails à leur place, ce qui déjà en soi complique la donne : ne serait à priori authentique que ce qui émane d’un artiste et d’un seul en vertu d’une conception humaniste-individualiste de l’Art étrangère à beaucoup de manifestations artistiques dans le monde… Quant à la vérité, on nous permettra de n’en pas aborder ici la question - question des questions - laquelle n’est en rien un thème parmi d’autres mais manifeste, tout en le voilant, l’ensemble mobile-immobile, toujours mouvant, « partout errant, nulle part séjournant » qu’est pour nous humains l’espace-temps dans l’aire duquel l’Être se manifeste-voile à nous dans le même temps duplice dont il faut se faire le complice amusé, si l’on veut non pas en tirer quelque chose comme le technicien ou le scientifique mais en manifester la présence par-delà bien et mal, laquelle, à travers nous qui savons rester neutres, veut ignorer toute vertu morale surimposée. Cet « ici », que pose toute présence et toute activité cognitive et verbale, est la manifestation de ce qui, étant, se dévoile tout en se dissimulant, se manifeste comme étant ce qui reste à jamais voilé, par là même interpelle notre cerveau pensant qui participe comme tous les autres existants de cette énigme qu’est l’Être, la pensée humaine étant cet étrange entre-deux qui, par de multiples voies contradictoires, au mieux complémentaires, le plus souvent concurrentes voire antagonistes, s’élève au contact de ce qui est à la hauteur d’ambitions qui la dépasseront toujours. L’intentionnalité de la conscience est si aisément assimilable à une volonté divine que l’on est, par ailleurs, parfaitement en droit de supposer, à la seule condition de ne pas la tenir pour acquise, sans pour autant la traiter comme une hypothèse parmi d’autres. L’athéisme tranche dans le vif de la question qui aussitôt se reforme à l’infini. Être agnostique, c’est refuser les rituels imposés, ressentis comme vides de sens parce que trop humains, trop historiquement déterminés, ce n’est pas faire fi des croyances respectables par ailleurs. Ce qui se joue en art, et singulièrement en peinture, c’est la mise à distance de toute croyance au profit d’une manifestation de ce qui se dissimule dans le manifeste même, et ce, même lorsque le peintre illustre des scènes mythologiques ou bibliques. A cette manifestation de ce qui se voile aussitôt - se manifeste voilé - il me semble que l’Art répond de manière ferme mais jamais définitive, en peinture tout particulièrement, laquelle, si l’on suit Merleau-Ponty, est pur regard : Le peintre est seul à avoir droit de regard sur toutes choses sans aucun devoir d’appréciation. On dirait que devant lui les mots d’ordre de la connaissance et de l’action perdent leur vertu. C’est le regard qui manifeste sa présence non-intrusive en peinture, laquelle ne reste pas à la surface des choses ni n’en pénètre non plus les arcanes secrets : les choses n’ont ni profondeur ni éclat en soi, tout n’est qu’une question de regard. Un regard parmi d’autres mais toujours plein d’égards. Regard de la main qui rêve éveillée. De la main qui caresse la lumière. La palette est l’interface entre le regard du peintre et son modèle réel ou imaginaire, fantasmé ou physiquement présent sous ses yeux. Cette interface est déjà le produit d’un choix : les pigments qui s’y trouvent annoncent non pas les figures qui vont peu à peu apparaître sous sa main experte mais une ambiance colorée, une irradiation singulière qui donnera à l’œuvre sa signature, son cachet. Le peintre n’écache pas ses couleurs comme le ferait le promeneur distrait d’un pauvre escargot. Car, en la matière, tout est corps et matière, pâte et pierre, air et feu, eau et terre. Et il ne cache ni ne gâche rien de ce qu’il perçoit au bout de ses doigts comme étant ce qu’il voit : pur transfert d’énergie psychique qui ne peut se manifester que matériellement parlant. Alors qu’on ne nous bassine pas avec l’authenticité ! Comme s’il fallait déposer un brevet d’authenticité pour être reconnu, brevet marqué du sceau de la souffrance, bien entendu, christianisme oblige. La souffrance rédemptrice a encore de beaux jours devant elle ! Les avatars sectaires du christianisme, lui-même originellement une ecclesiola parmi d’autres, ne cesseront peut-être jamais de proliférer à la manière de métastases cancéreuses sur un corps sain et qui entend le rester. Ce corps est celui de l’artiste qui refuse d’être sanctifié au nom des souffrances qu’il a endurées. Prenez le blues ! Il est indéniable que le racisme quotidien qu’ont subi les Afro-Américains, avant et bien après l’abolition de l’esclavage, a produit d’innombrables souffrances tant physiques que psychiques, mais cet art qu’est le blues transcende cette réalité dont il se veut le miroir et non le pur et simple reflet pauvrement réaliste.
Jean-Michel Guyot 8 août 2024
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