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Patricio Sánchez-Rojas - "L'exil est une histoire aux nombreuses pages - par Christelle Thébault
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 Article publié le 29 septembre 2024.

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NOTE DE LECTURE

par Christelle Thébault

Patricio SANCHEZ-ROJAS

L’exil est une histoire aux nombreuses pages

Editions de l’Aigrette

Dans son livre « L’exil est une histoire aux nombreuses pages », le poète Patricio Sanchez-Rojas nous invite à partager, avec une grande sensibilité, son parcours d’exilé et son regard sur son pays natal, le Chili.

Le livre nous emmène en terre chilienne, tant dans l’espace, au-delà de l’océan et de l’horizon, que dans le temps, celui de l’enfance et aux heures sombres de la dictature.

Au plus proche de l’émotion, l’écriture oscille entre description et flamboyance, quand les souvenirs balancent entre ombre et lumière. Le poète joue sur des variations de langage et nous fait ressentir toute la richesse et la complexité des sensations qui l’habitent.

Son écriture est guidée par « l’âme », ou « la mélancolie » (p67).

Dès les premières pages, nous voici au cœur des thématiques qui tissent le livre : éléments cosmiques et naturels forgent la réalité du monde.

« Ne crois pas à la machi de tes rêves,

les astronomes savent pourtant

que le soleil

est l’horloger de l’univers.

La racine que tu ne vois pas

frémit

dans son équilibre de pierre. » (p14)

L’exil est l’expérience intime et bouleversante de la perte non seulement de son pays mais aussi d’amis (p50).

Navires et transatlantiques font référence au voyage des exilés par-delà l’horizon. « Un seul soleil pour éclairer mon navire enraciné à la pierre de ton âme. » (p120).

Il a donc fallu partir, quitter le pays en 1977, ce qui a été un déchirement d’autant plus grand pour l’adolescent qu’il suivait sa famille : ce n’était pas son exil mais « l’exil de mes parents » (p75).

Avec une écriture plus descriptive, le poète nous livre ses souvenirs de jeunesse à Paris.

Il évoque aussi une vie simple et les plaisirs du quotidien.

« Tu bois un café / chaud et son arôme / te donne des ailes » (p53)

« J’apprécie ces moments / uniques quand l’on déguste / un morceau de pain chaud / sous la pluie. » (p78)

Il reconstruit sa vie : « je sortais…/… pour boire un café / et comprendre avec bonheur / que vivre / valait vraiment la peine. » (p75)

Si le chemin de notre existence est essentiel, ce sont nos racines qui nous permettent de grandir.

« Cette rivière de lave retrouve son chemin dans les racines de l’araucaria. » (p119)

« Les pierres te guident, / comme les étoiles que tu ramasses / au fond de la rivière. » (p101)

Chemin et racines mènent à l’arbre, composante majeure du livre. « Inventer un arbre, / un passage, / un chemin. » (p36)

L’arbre est refuge : « Un cèdre / pourrait parfaitement ressembler / à une maison » (p81)

Il est aussi symbole de l’exilé lorsqu’il est déraciné : « Ta promesse / est peut-être semblable / à l’arbre déraciné. » (p34)

L’arbre croît en puisant lumière et pluie ; l’humanité grandit quand le savoir est transmis et partagé : chaque acte compte, même le plus humble. Ainsi, le poète évoque sa mère, enseignante, qui apprenait à lire aux paysans.

« Elle était un arbre / invisible qui cherchait la lumière / ou la pluie de mars auprès / des chemins infinis. » (p 69)

Partagé entre deux terres et deux langues, l’exilé peut-il se sentir pleinement présent à un endroit ? « J’ouvre un œil juste pour savoir si j’existe dans ce monde. » (p119)

Le poète compte sur le temps qui passe et l’imaginaire pour se reconstruire.

« Il s’agit de reconstruire

l’endroit où nous vivons

près d’un nuage.

… / …

Notre imagination fera le reste,

ainsi que les saisons. » (p35)

Le questionnement du retour taraude l’exilé : « Retourner, repartir  ? » alors que « Le seul chemin est en toi » (p24). Dès le début du livre, le poète nous invite à fermer les yeux pour mieux faire surgir nos souvenirs car le voyage est d’abord intérieur.

Mais cela peut conduire aussi à ouvrir une fenêtre intérieure sur le désespoir : « Je l’avoue, / le désespoir nous foudroie / quand on ferme les yeux. » (p 47)

Le poète reste hanté par la dictature de Pinochet, cause de son exil.

Il utilise un registre de vocabulaire sombre pour décrire la vie des criminels : « épouvante, cendre, couteau en sang, goudron des impasses… » (p95/96).

La noirceur pèse dans plusieurs pages de cette histoire de l’exil. «  La haine / s’empare / de la nuit / comme / d’un / couteau » (p79).

Souvent, le poète évoque la tyrannie sur un ton neutre : il en souligne d’autant mieux la brutalité et donne le recul nécessaire pour faire face à ces événements qui bouleversent tant de vies.

« Il existe un pays / Où habite un tyran. / Il ment. / Il assassine. / Sa maison est un abattoir. » (p52)

Patricio Sanchez-Rojas nous exhorte à lutter : « Assez de lâcheté. » (p31) et à ne pas oublier : « Notre seul ennemi / est l’abandon. » (p25).

Lorsque le poète évoque les horloges, elles « grincent » (p27) et «  transpirent » (p49). Leur mécanique est implacable, comme le temps qui s’écoule alors que les traces du passé disparaissent.

L’expérience personnelle partagée devient universelle et le poète écrit pour ceux en souffrance, ceux en résistance. La compassion pour les déshérités et l’attention à l’autre sont primordiales. « Pour commencer ce poème / je voudrais penser à ceux / qui ont résisté / pendant l’hiver. » (p43)

En peu de mots, le poète évoque avec force l’enfer actuel des migrants de la Méditerranée :

« On expulse les migrants. / On les jette dans des prisons. / On les humilie. » (p59)

Patricio Sanchez-Rojas nous enjoint à étudier « l’Histoire du monde  » (p63) qui se répète. L’arrogance des puissants persiste. Hier, les Espagnols cherchaient à s’approprier le trésor de Moctezuma (p63). Aujourd’hui, un banquier anglais s’enrichit en bourse et les ressources pour vivre manquent dans un bidonville (p83).

L’amertume est grande face à l’incapacité des hommes à apprendre du passé pour mieux vivre ensemble et face à l’aveuglement et à l’amnésie qui empêchent de regarder en face les tragédies et de pouvoir enfin se tourner vers un avenir apaisé.

« Pendant que la nuit tombait sur terre / je pensais à ce pays où tous sont aveugles. » (p85)

Sans jamais oublier d’où il vient, tout en ayant su s’intégrer et s’accomplir dans une vie nouvelle, le poète peut alors contrebalancer la noirceur par de l’espoir.

« Quelque chose / nous dit / que le printemps / est à nos portes. » (p91)

La beauté est à portée de regard : « La lumière ouvre les yeux / quand le papillon passe. » (p15).

« Je cherche un araucaria

qui me raconte l’histoire

des oiseaux

de lave

de Patagonie. » (p48)

Lorsqu’il célèbre avec ferveur son pays natal et ses paysages, Patricio Sanchez-Rojas déploie une voix poétique fortement marquée par l’imaginaire. L’inventivité des métaphores nous transporte littéralement dans un ailleurs, au-delà du sens strictement géographique.

Tout au long du livre, nous ressentons vibrer le Chili en résonance avec l’immensité du cosmos. « tu aperçois la Voie lactée, / sur les ailes du colibri » (p51).

Le Chili : terre de volcans, terre d’arbres et de forêts, terre de rivières et d’eau ; le Chili : pays bordé par un océan omniprésent, qui est aussi la voie de l’exil.

« Deux corps :

l’un de lave,

l’autre de feu.

Ils sont face à face

Comme l’arbre et la racine.

Goutte à goutte

ils se déversent

jusqu’à retrouver l’océan. » (p32)

Lumière et sons deviennent palpables, nous les ressentons palpiter. Le pays décline sa beauté sur tous les accords d’une guitare.

« Lumineuse

est ta démarche, guitare

que seul le vent

sait faire fleurir

au premier scintillement

du volcan Osorno. » (p102)

Le feu, destructeur ou purificateur, est régulièrement présent, qu’il soit d’origine naturelle - volcans, lave - ou humaine - forge.

La salamandre, dompteuse de feu, participe au langage poétique du poète.

Dès l’exergue du livre, Patricio Sanchez-Rojas personnifie son pays natal en femme : « Mon pays natal sera toujours une femme ». Océan et forêt se fondent dans le corps de la femme aimée, symbole de liberté.

« Elle n’a pas non plus

de prison dans son âme,

…/…

Pour cette raison je l’aime.

car elle imite l’océan

et l’eau des cascades. » (p86)

En abordant la fin du livre, le temps est venu pour le poète de faire un point sur son parcours d’exilé. Qui mieux que son aîné Pablo Néruda pour nous questionner en une mise en abîme : « Qui interroger sur ce que je suis venu faire en ce monde ? ». En concentrant les thématiques qui imprègnent l’ensemble de ce livre de l’exil, la «  lettre-océan » de Patricio Sanchez-Rojas tend à apporter une réponse. La terre chilienne est décrite : volcan Chaiten / volcan Llaima / Terre de feu / Patagonie / eucalyptus / araucarias / colibri / indiens Selkman’s / moai de cendre... La concision de la parole poétique apporte une forte intensité à cette écriture libre et métaphorique qui résonne comme un appel à contempler la beauté et les mystères du pays natal mais aussi à voir tout ce qui disparaît et que seule l’écriture retient dans notre monde, en nommant les choses et les êtres pour ne pas les oublier.

Il souffle dans le livre de Patricio Sanchez-Rojas une liberté de ton stimulante et un élan poétique plein d’ardeur. Une présence forte et singulière donne corps à sa poésie.

Au-delà de l’émotion première, la profondeur des thèmes abordés invite à la réflexion.

Les références aux poètes et écrivains qui ont façonné son chemin d’écriture sont multiples et montrent l’indispensable apport de l’autre pour se construire.

Patricio Sanchez-Rojas poursuit son œuvre : chaque livre ajoute une pièce dans le puzzle de son histoire dans l’Histoire, entre passé et présent, sur le fil tendu entre le pays natal et la vie d’ici qui ne cesse d’être celle d’un exilé.

 

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