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Article publié le 27 octobre 2024. oOo On raconte qu’au fin fond du Japon, nichée entre les pins noirs et les collines de brume, existe une source ancienne, si discrète que même le vent hésite à la frôler. Ses eaux ont la réputation de rendre belles les jeunes filles qui osent s’y plonger. Elles ressortiraient avec la peau claire comme la lune, les cheveux plus sombres et lisses que la soie, et le regard lumineux, prêt à envoûter le monde. Mais cette légende est teintée d’ombre. On dit que les eaux, en réalité, sont marécageuses, lourdes et traîtresses, et qu’une créature des profondeurs y dort, silencieuse. Son visage, dit-on, est un cauchemar : des pommettes gonflées comme des ballons distendus, une bouche immense, béante, où brillent des dents acérées, pareilles à des clous rouillés. Ses yeux, étroits et fauves, fixent les intrus avec la fixité d’un prédateur.
Un jour, une jeune écolière, rongée par la jalousie, décide de défier les rumeurs. Elle aime en secret un garçon, mais ce dernier ne voit que sa camarade de classe, belle et pleine de grâce. Le désir et la rancœur murmurent à son oreille de tenter sa chance auprès de la source. Elle s’aventure au crépuscule, ses pas résonnant sur le sentier moussu. Les feuillages bruissent, comme pour lui souffler de rebrousser chemin, mais elle persiste, son cœur battant contre ses côtes frêles.
Arrivée au bord de l’eau, elle contemple son reflet dans l’onde sombre, et l’idée de la beauté promise scintille dans son esprit comme une étoile distante. Mais à l’instant où ses pieds touchent la surface glaciale, un frémissement remonte le long de ses jambes. Puis la créature émerge, déchirant la nuit d’un hurlement muet. Sa peau est translucide, presque visqueuse, ses yeux luisent comme ceux d’une panthère tapie dans les profondeurs. Elle s’avance, sa bouche béante découvrant ses crocs, et dans l’air flottent les relents d’un puits oublié, un souffle d’humus et de pourriture.
La jeune écolière, paralysée par la terreur, sent le froid de la mort lui mordre la nuque. La créature approche encore, ses longs doigts décharnés tendus comme des serres. Et l’eau redevient calme autour d’elles, avalant les murmures de la légende, emportant l’écho d’un rire sinistre. |
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