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Article publié le 22 décembre 2024. oOo Confieso que he vivido. J’avoue que j’ai vécu. Le livre-roman de Lionel Fondeville et Christophe Esnault n’est pas tragiquement interrompu comme le livre-mémoire de Neruda par la mort annoncée de ses auteurs. Pourtant, j’ai entendu dire, entre évier et latrines, que « ça pourrait se terminer comme ça ». N’allez cependant pas croire, entre introibo et ite, que ce livre-roman est informe faute d’un happy end. Au contraire il est soigneusement composé et ne nous prive absolument pas d’une conclusion digne de son développement d’ailleurs à peine interrompu par deux des meilleurs poèmes du moment : un inventaire de cartons servant à mendier sur le trottoir et une pochette d’autocollants en répons. Une fois lu, en principe d’un trait, on y revient, signe que ce livre-roman n’en a pas fini avec nous. Nous ? Mais qui donc ? Facile : nous, les « éditeurs qui rêvent de devenir auteurs à succès » & les auteurs prêts à tout « pour être édités ». Le style frise celui du journal entretenu pour exister aux yeux des autres, ceux qui lisent en diagonale. Mais ne vous fiez pas aux apparences de ces pages solidement pensées et de leurs strophes parfaitement revues et corrigées. La vérité y bave comme « c’est pas permis » entre gens du monde, ce monde d’aujourd’hui auquel nous appartenons qu’on le veuille ou non. Et en limitant ce nous aux arpents du livre et de ses annexes amicales et conjugales, voire familiales, le livre-roman renvoie d’autres images tout aussi, comment dirai-je ? à la fois écœurantes et angoissantes. Le lecteur habitué à tenter sa chance en librairie ou sur la toile y reconnaîtra maints personnages rencontrés ici ou là à l’occasion d’une signature ou d’une foire. Certes l’étranger au livre se laissera plutôt arrêter par d’autres percées dans la culture nationale, voire internationale, comme cela arrive quand on n’a pas assez lu et qu’on n’est pas sorti où il faut entrer. Oui, c’est amusant, écrit à la volée au rythme d’un élagage dont il n’est pas possible de deviner les motifs, mais ce n’est plus un divertissement dès lors qu’on s’y reconnaît et qu’on y retrouve les siens. Ça pique ! Sans estoc par trop définitif. Et s’embringuer alors dans la critique, comme cela est d’ailleurs joué en plein texte, risque fort de tourner au vinaigre, substance que les plus hypocrites, mais aussi les plus adroits en esquive, ne confondent pas avec les douceurs anales auxquelles, il faut bien l’avouer, nous s’habitue sans efforts aussi prodigieux que ceux que ce livre-roman propose aux moins sujets à la douleur de n’être au fond que ce qu’on est (et non pas de « ce qu’ils sont. ») Ce livre-roman à la fois étrange et facile à lire et à comprendre n’est pas seulement un tour de force. Mieux qu’une thèse, il se documente dans ce qui reste de l’existence quand on a fait mieux qu’y goûter.
Ma vie® est une start-up pourrait servir de contexte à l’œuvre sans doute coriace à laquelle se livrent corps et esprit les auteurs des éditions Tinbad en leurs Cahiers. De numéro en numéro, au rythme semestriel, une intention farouchement littéraire s’en dégage nettement. Il faut lire ces textes choisis et agencés pour en rendre l’effet indéformable dès qu’on y oppose d’autres miroirs de la volonté d’écrire. Rien à voir avec le ronronnement qui s’occupe de rendre sympathiques maintes autres tentatives de paraître pour ne pas disparaître. Ici, tout est clair et clairement exprimé : le livre contemporain ne peut pas se limiter à reproduire les désirs les mieux partagés à force d’identification et de précautions oratoires stimulées par l’accroupissement moral. De la littérature, clairement, de l’art, entre les lignes et pour en finir avec la soumission : la politique. Maintenant va savoir dans quel sens va une revue tant têtue et aussi structurée. Sans violence certes, mais avec conviction et surtout grande connaissance du terrain tel qu’il s’est aventuré avec Tel quel avant de ressurgir dans ces esprits qui en savent sans doute un peu plus que le commun des vivants, les morts comme les oubliés. Du coup on en attend beaucoup. Voilà où se trouve ce texte appelé par l’essai de contexte que j’ai approché ci-dessus du mieux que j’ai pu. Cet éditeur est autrement motivé que la plupart des publieurs-publiés. Pas une mince affaire que de s’adonner à cette saine occupation des lieux, mais pas sans risque non plus la fréquentation de cette triade littérature-art-politique. À force d’une cohérence opiniâtre et bien documentée, on finira par s’y faire, je ne le redoute ni ne m’en dédis. Patrick Cintas
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