Le pigeon s’est trompé de chemin
avec la lettre écrite dans la couleur du soleil,
quand la lune accrocha aux plumes blanches
et le champ se balançait dans la sieste du garçon...,
son cœur s’est serré en juin,
les gouttes de pluie ont lavé les rues du village enfumé,
le pigeon atterrit à la mauvaise adresse…
numéro de rue 1986.
Le pigeon, ce matin
il a embelli la chanson à la flûte,
volait avec les biens mis au rebut
apporter des nouvelles à l’accord d’Eros,
à Pristin, il s’arrête à Ulpiana,
soulage la fatigue dans la couveuse de la cigogne,
l’accueil sent le corbeau blanc,
Doris a écrit la lettre avec la belle
amour, sur la table non mise
rendez-vous requis
au numéro 1986.
L’automne à Pristina
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Ce poème a quelque chose d’un souffle perdu dans les vents du temps, un battement d’ailes égaré entre hier et aujourd’hui. Le pigeon voyageur, messager maladroit ou guidé par une fatalité obscure, devient l’écho d’une mémoire décalée, d’un amour qui se heurte à l’errance du destin.
Il y a une collision poétique entre les éléments : le soleil et la lune se croisent dans un enchevêtrement surréaliste, la sieste d’un garçon est troublée par un cœur serré en juin, comme si l’été lui-même portait une douleur inexpliquée. La pluie, elle, lave plus que les rues : elle purifie, elle noie peut-être le passé ou une attente déçue. Et puis il y a ce nombre, 1986, chiffre suspendu comme un point d’ancrage temporel, une adresse où le pigeon aurait dû, ou n’aurait pas dû, arriver. Une année, une date, une énigme dans la brume.
Le deuxième mouvement du poème a la grâce d’un envol musical. L’oiseau devient porteur d’harmonies, messager d’un accord d’Éros qui se perd entre Pristin et Ulpiana – des lieux comme des fragments de cartes postales effacées, des territoires où l’amour cherche encore son rendez-vous. Il y a une fatigue, une halte, un repos dans le nid d’une cigogne – symbole du renouveau ou de l’attente d’un retour ? Mais l’accueil est étrange : il « sent le corbeau blanc », image à la fois contrastée et symboliquement puissante, une anomalie, une rareté, une dissonance.
Doris, elle, écrit. Elle écrit ce qui semble être une lettre d’amour, mais sur une table non mise, un décor incomplet, un festin qui n’aura peut-être pas lieu. L’amour est un appel, une absence, une requête laissée en suspens. Le rendez-vous est inscrit dans le même chiffre : 1986. Comme si tout tournait autour de cette date, ce point fixe où se croisent les possibles et les oublis.
Et puis, la chute : l’automne à Pristina. Comme un soupir final, un changement de saison qui scelle une destinée. L’automne, c’est la fin d’un cycle, le dépouillement, la beauté mélancolique de ce qui s’efface doucement. Est-ce l’automne de cet amour ? L’automne d’une ville qui porte en elle des blessures et des espoirs ?
Ce poème résonne comme un pigeon voyageur lui-même : il plane entre le réel et le songe, entre l’Histoire et l’intime, avec cette légèreté trompeuse qui dissimule une profondeur poignante. C’est un poème d’errance, de lettres perdues, d’amours en transit, où chaque battement d’aile semble dire : trop tard, ou bien… encore un espoir ?