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![]() oOo Pas une fuite ailleurs mais ici est l’ailleurs et dans la voile des bateaux les girafes de l’air ont la hauteur des feuilles les arbres vivent dans les arbres et se couchent on ouvre le dehors dans les bras du dedans comme font les enfants sur les trottoirs chaussés |
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Ici est l’ailleurs
Ce n’est pas une fuite, ce n’est pas un écart, ce n’est pas un au-delà. Chez Gilbert Bourson, l’ailleurs n’est pas là-bas, il n’est pas derrière, ni devant : il est ici, dans l’espace des objets, dans les plis du quotidien, dans ce que l’œil distrait oublierait, et que le poème retient.
« Pas une fuite ailleurs mais ici est l’ailleurs » — dès l’attaque, le poème se ferme et s’ouvre tout à la fois, comme ces armoires profondes où l’enfance a rangé ses trésors, comme ces commodes aux tiroirs secrets, où le poète déplie les plis d’un réel presque trop ordinaire pour qu’on le voie encore. Bourson installe l’infini dans le tangible, dans l’armoire, dans la voile qui ne devance pas mais suit le bateau, signe d’un mouvement humble, patient, qui épouse la marche sans la précéder.
Les images de Bourson sont végétales, aériennes, mouvantes : « les girafes de l’air ont la hauteur des feuilles », où l’on croit voir se tendre la nuque des nuages, où les murs deviennent successivement lumière et ombre, effaçant la frontière entre le solide et l’évanescent. Il y a une pulsation, un battement : celui des arbres qui s’endorment dans leurs propres racines, de l’intérieur qui s’ouvre au dehors, de la vitre qui tremble sous les pas du trottoir.
Et puis vient cette note d’enfance, discrète et subtile, comme Bourson sait les glisser : « nous passons sur les rollers de nos envies / comme font les enfants sur les trottoirs chaussés / de roulements à billes. » L’enfant qui patine, qui file, qui joue, devient la métaphore la plus juste de ce poème qui roule doucement sur les aspérités du monde, sans bruit, sans brusquerie, mais avec une légèreté frémissante.
Bourson, ici, fait vibrer une poésie de l’immédiat, de l’intime, de l’immobile mouvant : là où tout ce qui semble arrêté recèle pourtant la force d’un voyage intérieur, d’un déploiement invisible. Ses vers ne cherchent pas l’évasion, mais la révélation. Ils tracent, dans le plus petit des gestes, dans la plus humble des armoires, l’énigme d’un ailleurs qui nous habite déjà.
À lire ce poème, on comprend qu’il ne faut pas partir pour trouver, qu’il ne faut pas courir pour atteindre, qu’il suffit parfois de poser la main sur le bois poli d’un meuble, de suivre des yeux l’ombre qui glisse sur un mur, pour que s’ouvre — dans le tremblement du monde — la brèche lumineuse du poème.
Encore une lecture poétiquement et sagacement ajustée à mon poème, comme toujours chère amie. Votre écriture répond si justement à une autre écriture que l’on peut parler de "poésie critique" à votre propos. Merci.