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Un jour le monde
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 Article publié le 6 juillet 2025.

oOo

Qui sait ? Moi, à l’évidence. Quand ? Où ? Assez vieux. Je veux dire il y a longtemps… Jadis… Un jour. Beaucoup d’anges sont en vacances…

Un jour, il y avait un filet qui séchait dans la cour. Les vacances, j’avais quinze ans. Ce filet se posait à plat, sur une langue de sable quand la mer découverte en fin d’après-midi attendait la fin du jour, ce jour-là. Puis la nuit, la mer, la plaine liquide comme on l’appelle, attendait aussi la nuit pour remonter, la nuit féconde (pour les poètes et les anges) pendant laquelle j’imaginais le poisson se presser jusqu’au littoral étoilé pour reprendre la chaleur du jour aux vers encore tièdes et déjà gros des petits détritus laissés par les hommes. Ah, la mer unie à la plage morbide… L’aube, quand la mer, le long des golfes de poils, était en train de descendre (moule qui chamboule !), je me levais plein d’espoir au premier soleil comme tous les pêcheurs à pieds… On rencontrait aussi parfois quelques promeneurs, souvent des amoureux enlacés (baise beau jour sombre coït) tout juste sortis des dunes recouvertes de laîches et d’œillets maritimes très roses, très parfumés, dont je fis, ce jour-là, un bouquet. Pourquoi ? Parce que la mer qu’on voit danser nue était encore trop haute. Sans doute. Un petit tour dans les dunes en attendant. Des œillets roses. Et bientôt un gros bouquet parfumé dans la main droite. Et sur l’épaule, le filet ensaché plein d’algues, quelques poissons, et des crabes pris dans les mailles. Des crabes venus bouffer le poisson prisonnier. Je rentrai.

Des crabes qui mangeaient les poissons vivants, un amour dévorant de baisers. Pourquoi n’était-elle pas encore levée ? Vite l’enculer toute nue sur le sable au petit jour couché…

Le filet séchait maintenant seul devant moi dans la cour. Flottait sous le vent. Mailles au-delà desquelles j’attendais, quand elle apparut enfin sur le pas de sa porte. Jamais elle ne s’était levée aussi tard ! Vite ! Je marchais vite vers elle avec ma brassée d’œillets (anus) roses ! Vite.

- Dianthus gallicus, c’est le nom latin des œillets (ornement et gloire)… latin, répétais-je, secret que j’aurais déshabillé sous ses yeux qui semblaient surpris par ce jeune bandeur qui lui disait des secrets peut-être obscènes en rougissant de peur et de plaisir au sperme mêlés

- C’est gentil, me dit-elle, bouche à pipe. C’est vous qui les avez cueillis ?

- Il y en a plein les dunes, maman, dit sa fille salope, qui avait passé la tête et qui se marrait tout doucement.

Florence la chaude et sa fille, Diane, une petite pute de douze ans qui s’amusait à mes dépens. Et un chien. Un caniche. Ou ressemblant.

Chaque matin, elle partait promener ce chien dans les dunes. Sa fille l’accompagnait. Puis elles se baignaient. J’imaginais qu’elles se baignaient. J’imaginais aussi qu’elles commençaient leur balade par la grève, et qu’elles longeaient ensuite la côte jusqu’à la plage à proprement dit, une plage de sable où l’on pouvait se baigner (à poil comme un discours logique et nourri de bandaison) sans danger ni rochers. Elles rentraient vers midi, c’est-à-dire quand j’avais lu toute la matinée, n’allant jamais seul noyer ma solitude toujours accompagnée de livres. Beaucoup de livres. Des vacances littéraires.

Sa beauté, son cul, sa chatte, sa bouche apprivoisée. Chaque fois que j’entendais sa 4L entrer dans la cour, je sortais ma timidité ma bite à la fenêtre, mon courage à deux mains, et j’allais jouer au gendarme pour blanche captive, faisant des moulinets avec mon bras, le poignet masturbé cassé touillant l’air dans le sens où je voulais qu’elle tournât son volant.

- Et si vous veniez avec nous à la plage demain matin ? Vous pourrez lire pareillement, n’est-ce pas ?!

Dès que nos pieds touchèrent le sable encore frais, elle me dit « tu » !

C’est pour ça que lui je lui parlai des crabes, les mangeurs, les fous, les enragés. Et des élégies de Properce, pour tempérer. Et des lettres de Sénèque que j’avais sur moi, coincées entre mon ventre bandé et mon maillot. Un drap de bain sur l’épaule et un peigne dans la poche arrière de mon short. « Vous voyez les crabes… Vous savez comment distinguer les mâles des femelles ? Et que les femelles sont bien meilleures aussi ? »

Diane marchait derrière nous tenant le chien en laisse. Noir, bouclé, jaloux, il aboyait comme un damné parce que je marchais à sa place.

- Si on se mettait là, dit-elle, ça te va ?

Nous nous assîmes tous les quatre dans le sable. Je l’aidai à planter le petit parasol (dans tous ses trous !) qu’elle n’avait pas voulu me laisser porter. Poser ses affaires, puis en un éclair, s’éloigner vers la mer, la mer est ton miroir ; tu contemples ton âme dans le déroulement infini de sa lame. Elle rentra dans la vague. Je restai à l’admirer, cerises au bout des seins tout doucement car je sentais les regards de Diane plantés dans mon dos. Et l’affreux caniche assis sur son arrière-train, les oreilles dressées, qui faisait des mimumiumuimiu pleureurs car pleurant sa maîtresse.

Je choisis de faire semblant de lire, un œil sur Sénèque, l’autre sur Florence toujours dans l’eau.

- Je ne t’aime pas, me dit Diane.

- Non ? lui répondis-je.

- Mimumuimuimuiumui, c’était ce con de chien (je n’aime que les chats) en sautant sur lui-même, comme un chien de cirque de merde fait des bonds.

Florence chaloupait déjà sur le sable, ruisselante et essorant ses grands cheveux blonds d’une main tandis que l’autre faisait balancier le long de ses fesses avec lesquelles je peuplais mes nuits. Elle se jeta à plat ventre sur sa serviette comme bien roulée et déroulée par la vague, repue, s’étirant, heureuse et fourbue. Nous aurions pu rester des siècles ainsi.

- Vas-y. Elle est bonne, tu sais, me dit-elle, tout en dégrafant son haut de maillot. Et toi, Diane, tu n’y vas pas ?

Diane haussa les épaules et s’éloigna vers l’eau avec le chien de cirque con pleurnichard. Je les suivis des yeux un instant. Ils marchaient le long du rivage. Puis je les oubliai.

- Elle est jalouse, me dit Florence.

- Non ? lui répondis-je

Elle mit sa tête entre ses bras en arceaux et ferma les yeux. Le silence s’installa. Un silence d’air de verge et d’eau. Quelques oiseaux. Elle tourna vers moi, son visage. Son visage et ses seins ! Ses seins nus ! Le combat de la neige et du foutre ! Accompagnés d’un sourire. Un sourire si sourire qu’il me souleva tout le cœur (le slip !). J’avais quinze ans. Et comme j’avais quinze ans sous cette lumière hypocrite, soleil con… J’étais là, bien là, à la regarder comme le crabe envisage son futur dans la proie qu’il fera sienne.

 

Jacques Cauda

 

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  Un jour le monde par Catherine Andrieu

Le jour où le monde s’ouvrit

C’était un jour sans âge, un jour arraché à la pâte incertaine de la mémoire — un jour si ancien qu’il en devient absolu. Dans ce “jadis” suspendu, un filet séchait dans la cour comme une résille d’enfance encore humide, encore pleine des bruissements de l’eau et des silences d’adolescence. Le narrateur avait quinze ans, c’est-à-dire l’âge précis où la lumière se fait douloureuse, où le corps soudain cherche son propre nom dans les contours d’un autre.

Ce texte est une veille poétique, un guet fiévreux au bord du monde sensible. Jacques Cauda y fait sourdre, dans une langue nerveuse et ondoyante, le trouble originel d’un regard qui découvre, dans les plis du réel, les passages étroits entre le désir, l’attente, la littérature, et ce que la mer laisse derrière elle, au matin, quand elle s’est retirée : des traces, des restes, des formes prêtes à être pensées, ou aimées.

La mer est ici le grand miroir — celui de Baudelaire, bien sûr, mais aussi celui, plus secret, où se reflète la faille. À la fois matrice et seuil, elle absorbe les songes et rend les corps plus nus encore que le soleil. Les plages sont peuplées d’algues, de crabes, d’œillets roses au parfum entêtant : ce sont les fleurs de l’éveil, les symboles d’une sensualité vacillante entre l’innocence et l’effroi. Chaque chose devient signe, et le monde s’organise autour de cette trouée : un bouquet dans la main, un filet sur l’épaule, le corps féminin à peine couvert du tissu de l’eau.

Mais ce récit n’est pas seulement une évocation érotique : il est traversé par une force littéraire rare. Properce et Sénèque, portés comme talismans dans la doublure du short, attestent de cette étrange alliance entre la chair et l’esprit, entre la ferveur des classiques et l’animalité des regards. Cauda ne choisit pas : il tisse. Et dans son tissage, la pensée et le sang se confondent, comme le sable et l’écume.

Les personnages se dessinent à traits vifs : Florence, solaire, sensuelle, figure de l’initiation et de la plénitude ; Diane, l’adolescente distante, regard perçant et rieur, seuil d’une cruauté légère ; un chien jaloux, témoin muet du désordre des désirs. Autour d’eux, tout devient jeu de lumière, de tensions, d’avancées et de retraits. La parole circule, parfois brutale, mais jamais gratuite : elle fait sa place au trouble, à l’ambigu, à l’ironie tendre d’une mémoire qui n’a pas oublié ce qu’elle n’a peut-être jamais pleinement compris.

Et ce que l’image nous donne à voir — cette œuvre picturale tracée comme à l’instinct, d’un trait presque enfantin — prolonge l’élan du texte. On y reconnaît la main de Cauda : figures ouvertes, schématiques, une silhouette d’homme tenant une tête — masque ou trophée, vision ou hallucination — sous une pluie de chevelure jaune. Le trait est minimal, presque tremblant, mais chaque accent de couleur est posé avec la violence d’un cri. Le dessin ne commente pas le texte, il en est l’écho corporel, le prolongement nerveux. On dirait que le souvenir s’est incarné dans une matière frêle, mais indélébile.

Car ce que Jacques Cauda réussit ici, c’est à faire advenir un monde. Un monde minuscule, certes — quelques jours d’été, un filet, un bouquet, des lettres latines — mais un monde entier, en équilibre sur le bord de la mémoire et du désir. Et ce monde, s’il est traversé par la sensualité, ne s’y limite jamais : il est aussi l’espace d’un éveil, d’une forme de poésie incarnée, où l’enfance se désagrège lentement sous le soleil du réel.

Ce n’est pas l’histoire d’un adolescent. C’est celle d’un instant où l’on comprend que l’on est vivant, vulnérable, et infiniment traversé.


 

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