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L'enfance d'un troubadour
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 Article publié le 7 mai 2017.

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L’enfance d’un troubadour
Robert Vitton

Derrière chez nous y a un étang,/Trois beaux canards s’y vont nageant… Derrière chez moi… Je n’avais pas dix ans. Trois beaux canards s’y vont nageant./ Y en a deux noirs, y en a un blanc… Non, je ne les avais pas, mes dix ans. Derrière chez moi… Une friche ronceuse et des pans de galandage, de muret, peut-être de rempart. Le Cirque. Les aînés avaient donné ce nom à ce lieu. Le Cirque ! Nous enfourchions des licornes, des coquecigrues, des chimères… Nous avalions des couteaux, des couleuvres, des charrettes ferrées… De nos manches et de nos chapeaux nous tirions des écureuils, des pigeons, des colombes… Chiens jaunes et chats tigrés traversaient des cercles de flammes. Entre chaque numéro, nous battions des tambours imaginaires. Mesdames et Messieurs… J’avais un pantalon en accordéon, une chemise flottante à carreaux multicolores, une longue cravate verte à pois noirs, les vieux Nebulonis1 de mon père, un haut-de-forme confectionné avec un tronçon de tuyau de poêle argenté et du carton, un nez rouge. Les guerres font giscler2 le raisiné, les après-guerre font giscler l’huile de reins. Le boudin des premières lignes et le foutre des pieux. Les pieux pieux des pioupious ! Même dans les tranchées, niston3, on s’en payait des tranches de bon temps. Maintenant que tu es né…. Tu es né avec la crépine, petit chanceux, coiffé, comme on dit. J’ai mon bonnet phrygien. Tu es le caganis4 ! M’en fouti, m’man5 ! Je suis né, et après ? Et après t’es sur terre. Les enfants ne voient que des jambes. Des chiots dans des jeux de quilles. Où t’es encore allé te mascarer6 ? C’est la chaîne qui saute. C’est écrit quoi sur la plancarte7, mé ? Sais pas, moi, couquin8 ! Demande à ta mère ! C’est écrit quoi, m’man ? Jardin interdit aux chiens et aux bicyclettes. Pour faire leur narre9, à la Mairie, ils sont forts… Ils croyent que les clébards et les vélos savent lire ? La fête foraine. Je passe la pièce sur les malons10 de la cuisine, et on y va. Tu m’aideras pour le raidur11 ? Pendant les vacances… Le vire-vire12… Tu me fais tourner en bourrique. Le camion des pompiers, la barque, l’autruche, le bolide, le cheval ? Attrape le pompon cette fois ! Petan, c’est jamais à mon tour ! Les petitons, je les profonderai13. Aux jeux de massacre, tu veux quoi ? Les balles de son, les fléchettes, la carabine… M’en fouti, m’man ! Je décanille les rabocheurs14, les huiles grasses, les grosses légumes, les fatches de poupre15, les tavans merdassiers16, les patrons… Tous les exploiteurs ! Tous ! Tous ceux qui montent la garde comme des estrons fumants ! Tous ! Tous ! Cabossés comme des boîtes de conserve ! Je pique les picadors, les faiseuses d’anges, les chevalières de l’aiguille, les seringuardes… Je troue le troufignon et la couenne des tourlourous, la sartan de la castagnaire17… Tu vas vadrouiller ? Va, descends les bordilles18. On ne rêve pas. Tu penses à la fée Estérelle, Calendal19  ? Je chaspe20 ses nichons, si tu veux tout savoir. On dessine pendant la leçon de morale ? Des cochonneries… Tout mestre qu’il est, j’y pisse à la raie à cui-là. D’ici peu, t’auras un oursin dans la poche de ta faquine21. J’additionne, je soustrais, je multiple, je divise… L’opération du Saint-Esprit, m’sieur ! Tu effaceras le tableau ! Et le tour de rôle ? Au coin, je repasse mes tables. M’an, on ira voir le moulin de Daudet ? Midi sonne aux cloches des fabriques ; les grandes cours silencieuses s’emplissent de bruit et de mouvement… Le père Achille. Les triangles quelconques de l’habit d’Arlequin, le triangle des Bermudes, le triangle isocèle des nines22… J’ai des fleurs d’encre sur le tablier. Des violettes ! Je ferai des vers… Des verts et des pas murs sur les murs de Namur ! Pégase, mon cavalas de bigorne23. Je n’ai qu’onze syllabes. Si tu crois me faire passer treize pieds pour douze, tabernacle24  ! La barbe à papa ou la pomme rouge ? Un chichi fragi25. La course en sac ? Quand j’étais petite… T’étais pas grande, m’man. Je prenais les pétoules26 de bique pour des olives. Le spectacle de fin d’année… Le préau et la cour à grande eau… Dans les cabèches27, on a badigeonné les cœurs et les virgules de merde. On a enfilé des perles, colorié feuilles sèches, on a entortillé des bonbons dans des papiers, on a peint des galets, des nouilles, des coquillages… L’estrade. Les vagues de toile, l’odeur de la lavande, le bruit des cigales… Si toutes les filles du monde voulaient s’donner la main/Tout autour de la mer, elles pourraient faire une ronde/Si tous les gars du monde voulaient bien êtr’ marins/Ils f’raient avec leurs barques un joli pont sur l’onde/Alors on pourrait faire une ronde autour du monde… On l’a appris par cœur pour le chanter en chœur. On en sait d’autres de Paul Fort. J’écrirai des vers… Sian poulit28 ! Des vers ! Couillosti29 de la lune, t’as un pois chiche dans le bon sens, une cervelle de gnotti30  ? Mais d’où il sort, fan de chichourle31 ? Bien campés, avec lui. Un pignon32 d’olive dans la pachole33, elle te pissote une toupine34 d’huile vierge du bout des babines, la dirlote ! Elle cocotte la farigoule35. On est aux abois dans la garrigue, les garris ! Garri ! Garri ! Souarti36 ! Risque pas qu’on l’esquiche37 dans le tram ! Cent fois… Je ne tripote plus mon gobi de brailles38. Les cornes ! Les cornes ! Mé, à quel âge on a des poils ? Sais pas, moi, demande à ta mère ! Laurel et Hardy, l’esquinchole39 et le plein de soupe. M’man, j’ai tordu mes binocles ! Un toc40 de pain mouillé, le filet d’huile, les larmes de vinaigre, la pincée de sel, la gousse d’ail. Si t’as la pépie, demande un boire à la dame de la baraque. Et dis merci ! On joue à deviner ? Un cabanon, c’est pas une cabane./Une cababane, c’est pas un cabanon./Non ! J’ai la chique41, mé. C’est le mal d’amour, bouffe figues. L’épouvantail de la Saint-Jean, les pétards du 14 juillet, les rameaux, le sapin… Bon bout d’an et à l’an que ven42  ! Pa, si je dégote un guidon et une paire de pédales, j’ai ma bécane pour Noël. Pas besoin de freins. La semelle et le peneu43. La biasse sur l’esquigne44… Au moins cinquante kilos, je te dis ! Rien que la Grammaire, mon con à la voile45, elle pèse une tonne. J’ai un oncle, il a un livre de calculs dans les reins… Et un poil dans la cuillère. Quand on va à la mer, il fourre tout dans sa bagnole, et nous, ni une ni deux, on grimpe dans le car. L’ombre de la pinède… Les cousins… La découverte de l’Amérique… Colomb, on te frit des œufs et des yeux ! Quatre-œil ! Quatre-œil ! M’man ! M’man ! Les guerres, les après-guerres… M’man, Paul Arène… Ecoute, m’man ! Il est mort sa plume à la main dans une chambre d’hôtel d’Antibes. T’entends. Il écrivait Le songe des îles d’or. Il est dans son trou, sous un amandier à Sisteron. Je m’en vais l’âme ravie, d’avoir rêvé ma vie. C’est gravé… Quand t’auras fini de barjaquer46… Sa mère, man, était repasseuse, son pa horloger. Apprends plutôt ta récitation, estordi47  ! M’man, mé, pa, on dirait que pé bade48  dans son fauteuil ! Bou diou49 ! A table, il s’est estrassé comme un gibous50. Je voyais qu’il avait plus de voye51. Usé… C’est forcé, depuis qu’il crache ses poumons. Une belle mort, tout de même. Ni fleurs ni couronne… Ni capelan52. Il l’a toujours dit. A l’enterr’ment de mon grand-père/J’étais devant, j’étais derrière/J’étais derrièr’, j’étais devant/J’étais tout seul à l’enterr’ment… Derrière, devant… Devant, derrière… Pé et mé de m’man… Mé de pa. Pé de pa, lui, il est parti avant que j’arrive. J’écris des vers, des proses… Je suis un fadoli53 plein d’aïoli, avec des ribambelles de gestes dans mes conversations. Une viole ambulante. Cacarinette54 vole… Ton père est… Ton père est à l’école… Ta mère est au marché… Je n’ai aucun mérite, je dis et j’écris tout ce qui me passe par le teston55. Les fers de mes godillots, de mes socques, de mes cothurnes béluguent56 dans les rues. Je marche, rue de l’Ancienne-Comédie à Paris. Qu’est devenue la raille ? La raille… La bande du quartier. Tu cherches garouille57 ? Attends-toi à des bricoles ! Les durs à cuire et à réveiller le matin. Les humiliantes bourrines des récréations… Des coups sur le crâne avec le plat de la main. Des bourrades sans les crosses, sans les poings. On y passait tous. La sentence du groupe. Pourquoi l’os du cul, mé, on l’appelle l’os Bertrand ? M’man, pourquoi l’os… Pourquoi… Les mots de mon enfance… Des moulons, des tas, des amas de mots ! Des mots d’ailleurs, d’ici, de nulle part. Des mots estropiés, requinqués, trafiqués… L’accent… T’as pas perdu l’accent ! Pa, m’man, on ira à Pourrières ? De sa tombe, on voit la Sainte-Victoire. Sans amis, sans parents, sans emploi, sans fortune,/Je n’ai que la prison pour y passer la nuit/Je n’ai rien à manger que du gâteau mal cuit,/Et rien pour me vêtir que déjeuners de lune… Germain, l’orphelin… Germain, le professeur de dessin… Germain, le mystique… Germain, le fou à enfermer… Germain, le pèlerin… Germain, le mendiant… Germain, le saint… Germain Nouveau, le poète ! Le Quartier Mireille, le Carré du Port, le Quai du Parti, le bas du Cours Lafayette et de la rue d’Alger, la Mairie… Vingt photographies des destructions de la ville. Editées par la libraire Monbarbon. Pauvre Toulon ! Clichés E. M.J - Autorisation Censure du 12 Mars 1945. Je rentre, il tombe des gouttes.

 

Robert VITTON, 2008

 

Notes :

1 - Nebulonis :, chaussures bicolores de marque italienne. 2 – Giscler : dernier né de la famille. 3 – Niston : bambin. 4 - Caganis : dernier né de la famille. 5 – M’en fouti, m’man : Je m’en moque, maman. 6 – Mascarer : salir. 7 – Plancarte : pancarte. 8 – Couquin : coquin. 9 – Narre : prétention. 10 – Je passe la pièce sur les malons : je donne un coup de serpillère sur les tomettes, carreaux de terre cuite le plus souvent hexagonaux et de couleur rouge. 11 – Raidur : produit liquide blanc à appliquer, à l’aide d’une burette, pour protéger esthétiquement le joint entourant une tomette. 12 – Vire-vire : manège. 13 petitons, je les profonde : les petitons je les massacre. 14 - Rabocheur : rapporteur, moucharrd… . 15 – Fatche de poupre : face de poulpe. 16 – Tavan merdassier : taon, mouche à merde, (au figuré) emmerdeur. 17 – Le sartan de la castagnaire : La poêle de la marchande de marrons. 18 – Bordille : saleté, ordure, détritus… 19 – Tu penses à la fée Estérelle, Calendal : allusion à la fée qui sortit de terre et donna son nom au massif de l’Estérel, à la fée qui guérissait les femmes stériles, la fée amoureuse du pêcheur Calendal. Une statue de Calendal tirée de la pierre par Cornu, héros de l’œuvre de Mistral, a été érigée en 1930 à Cassis. Détruite en 1944, elle est repensée par Bouvier en 1999. 20 – Chasper : paloer ; tâter. 21 – Faquine : veste. 22 –. Nine : jeune fille. 23 – Cavalas de bigorne : cheval de bataille. 24 – Tabernacle : lourdeau. 25 – Chichi fragi ou fregit : beignet long et en spirale. Sa forme équivoque fait rougir les demoiselles. Chich, diminutif du sexe masculin, et fregit frit ; 26 – Pétoules : petite crotte. 27 – Cabèches : lieux d’aisance. 28 – Sian poulit : nous sommes beaux, dans de beaux draps. 29 – Couillosti : imbécile. 30 – Gnotti : moineau. 31 – Fan de chichourle : fan, enfant et chichourle, jujube. Fan de, donne naissanse à diverses expressions. 32 – Pignon : noyau. 33 – Pachole : sexe de la femme. 34 – Toupine : seau hygiénique35 –Farigoule : thym. 36 – Garri ! Garri ! Souarti : Garri, rat, garçon… A cache-cache, pour faire sortir celui qu n’’a pas été déniché. 37 – Esquicher : écraser. 38 – Gobi de brailles : sexe masculin ? Gobi, gobie, le petit poisson et brailles, les braies. 39 – Esquinchole : d’une extrême maigreur. 40 – Toc : morceau. 41 – Chique : joue enflée. 42 - Bon bout d’an et à l’an que ven : expression qui souhaite une bonne fin d’année et une bonne année à venir. 43 - Peneu : déformation du mot pneu. 44 - La biasse sur l’esquigne : le cartable sur le dos. 45 - Con à la voile : Expression injurieuse pouvant être prise affectueusement. Allusion aux premiers immigrés italiens venus par la mer. 46 - Barjaquer : bavarder. 47 – Estordi : étourdi. 48 - Bader : regarder bouche bée. 49 - Bou diou : bon Dieu50 - Il s’est estrassé comme un gibous : il s’est esclaffé comme un bossu. 51 - Voye : entrain. 52 – Capelan : curé. 53 - Fadoli : fou. 54 – Cacarinette : coccinelle. 55 – Teston  : tête. 56 – Béluguer : faire des étincelles. 57 - Chercher garouille : chercher des noises, la bagarre…

 

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