Le plan était simple. Elle apparaissait
(apparition), il s’arrêtait (hallucination), il connaissait la douleur (amour ?
sexe ?). Il brodait là-dessus. Deux cents pages, pas plus, à cause de
l’impatience du lecteur qu’il s’agit de ménager. Quel lecteur ? La pipe
s’éteignit. I1 secoua une bûche. Dehors, la nuit, ce froid. Sur les carreaux
de la fenêtre, l’étoile bleue et blanche de la tente, immobile malgré le vent
qui se lève, la fente de lumière est toujours à la même place. Ce sont des
carreaux à chanfrein. Il aime bien ces jeux optiques. La plate-bande de
myosotis qui traverse le champ. La verticale du réverbère, son halo, l’oblique
de l’allée parallèle et dans l’abîme de ce blason, la tente dont les travaux
vont rendre fou (encore cette folie à l’approche du nouveau, des changements,
des morts, etc.), ce pauvre Fabrice qui ne ménage pas son cœur. Le plan était
toujours si simple qu’il lui arrivait de s’ennuyer dès la première page. Mais
l’écrirait-il cette fois ? Il pensait à une autre dramaturgie, plus proche de
la réalité, avec lenteur et surface. Il descendit.
L’intérieur de la tente n’était plus éclairé maintenant. Une seule ampoule
au-dessus de la tête étonnée d’Agnès à moitié nue qui s’enfuit aussitôt
dans la nuit. laissant une écharpe par terre et l’herbe piétinée revisitée
par ses soins d’amoureuse impénitente. L’ampoule n’éclaire plus rien. Il fait
le tour de la tente, avançant dans cette transparence noire. De l’autre côté,
la pelouse s’étend jusqu’au canal qui à cette distance n’est que le reflet
rectiligne et dansant des lueurs de la route, deux réverbères accrochés dans
les arbres qui sont peut-être des frênes. Les visiteurs sont toujours là,
moins mobiles, toujours silencieux, étranges. Il voit le corps d’Agnès
enjamber le canal et remonter la pente entre les hêtres. Apparition. C’est
toujours comme ça que ça commence. Mais il s’arrête. À ses pieds, la bordure
du canal (dans la nuit on ne voit pas les ferrailles noires dont le sinistre
écoulement atteint le fond désormais clair et noir) s’effrite, petits
cailloux, clapotements. Il sue et il a froid. La deuxième partie du livre qu’il
écrit chaque hiver dans l’attente de l’été, ce n’est pas la disparition du
corps dans l’ombre de la forêt qu’il n’a pas le courage de traverser avec elle.
Elle disparaît comme elle est apparue. Il n’y a pas de transition lyrique. Il
ne peut pas écrire cela. Il n’écrit rien à la place. Il se met à souffrir,
c’est facile. Le livre s’achève sur cette douleur dont la description s’affine
d’année en année. Il écrirait cet achèvement les yeux fermés. Il l’écrit
près de la fenêtre, une nuit de gel intense. Sa mémoire s’y retrouve. Gel des
vitres. Blancs chanfreins.
Il voit mieux les gens. Il est remonté de l’autre côté de cette pente, pour
atteindre la route derrière un bouquet de châtaigniers. La lumière arrive au
ras de cette herbe jonchée. Les gens se retournent parce qu’il a écrasé une
gogue, elle a éclaté entre l’asphalte et le cuir de sa chaussure. Les gens
voient arriver ce corps informe. Personne ne pense difforme. Tout le monde
reçoit cette forme anormale avec le même sentiment d’impuissance. Ils le
saluent, un seul mot, et il ne répond pas. Il traverse ce silence, ne le
troublant qu’au bruit du cuir de ses chaussures sur les graviers qu’ils ont
répandu à force de trépigner les bas-côtés qui font deux lignes claires et
parallèles et qui s’enfoncent dans le bas de la pente, dans rien. Il sourit à
cette pensée. Il entend les premiers mots qui recommencent derrière lui, les
pas reprenant leur attente circulaire. Facile d’écrire ce que je sais de cette
douleur, se dit-il. I1 longe la muraille sonore, reconnaît les pommiers, les
dix rangs de muscat en marge du mur de schiste et de glaise sur quoi se dresse
un chêne séculaire (dit-on), il voit l’horizon traversé des toitures et des
cimes d’arbres, la route continue la pente jusqu’au pont, croisement-trace de la
vie de tous les jours, il vient s’y asseoir tous les jours, toujours dans la
même pierre, à la place de la pierre déchaussée par un camion (il y a
longtemps), elle gît dans les ronces sur la rive où le chemin n’existe plus
parce qu’il ne mène plus nulle part. Il traverse le pont dans le sens du
château. C’est ce que j’ai de mieux à faire ce soir, se dit-il. Il ne tarda
pas à apercevoir la pointe pavanée de la tente qui paraissait toute blanche à
cette distance. Facile et nécessaire, se dit-il. Les aubépines formaient
d’atroces géométries dans le ciel lunaire. Mais c’est l’odeur de la terre
qu’il retient, mémoire impénétrable. Cette promenade nocturne ne l’inspire
pas. Il se retourne pour regarder les gens. Ils ont l’air immobile maintenant.
La lumière les mélange à cette ombre (l’immobilité relative). Passage de la
lumière, se dit-il, il me manque. Il arrivait à une des portes du château,
porte des jardiniers, dit-on, et il traverse ce verger odorant pour rejoindre
l’allée principale qui longe le territoire morose de la tente blanche et bleue.
Il ramène une humidité chargée d’odeurs dont la moindre est celle de la
terre. Au passage, un ouvrier lui lance un regard furieux puis il pénètre à
moitié dans l’ombre et s’immobilise dans une attente qui est aussi un signe
d’impatience. Jean n’ose pas fouiller cette ombre. L’homme semble accroché sur
ce plan, virgule de lumière étonnée, improbable du point de vue de la
douleur, se dit le nain entrant dans un couloir secondaire du château,
éclairé seulement par un néon qui court d’un bout à l’autre du plafond blanc
et voûté. Il revoit l’ombre, y devine une femme (hallucination) et il se met
à chercher les mots de cette nouvelle douleur (différente ?). Dans le salon, de
chaque côté de la Lionne, Fabrice et Gisèle attendent son retour de promenade
nocturne, une sale habitude qui les rend infidèles (le sens de cette fidélité
s’est perdu dans la nuit des temps). Il entre, noir et moite. Dans le miroir
hexagonal que le nègre de terre porte en pendentif sur sa poitrine de colosse
vaincu (personne n’a encore saisi le sens de cette allégorie qui n’est
peut-être qu’une farce de plus de l’ancêtre fondateur), son visage est un
masque (théâtre ?) qu’il tente de transformer dans le sens de l’allégresse que
tout le monde partage parce que c’est le moment d’être heureux, fidèle et
sociable. Le nègre lui-même porte la trace de cette douleur sur son visage
auquel d’ordinaire on fait dire :
- J’ai cru que tu ne rentrerais plus ce soir ! Nous attendons ton opinion au
sujet de Sweeney. Crois-tu que Sweeney...
- Je ne crois rien si je pense à Sweeney. C’est du temps perdu.
- Quelle joie ce serait pour lui ! dit Gisèle.
Elle est sincère. Elle aime bien Sweeney. Je veux dire qu’elle l’aime sans en
compliquer l’existence. L’idée de Fabrice est claire : Sweeney n’en fera qu’à
sa tête. Qu’en penses-tu ?
- Pourquoi penser ? Et qu’en pensera-t-il lui-même ?
- Jean a l’art de formuler ma propre pensée, dit Fabrice. Je ne crois pas que
le bonheur de Sweeney s’en trouvera mieux,
- Il m’a tellement parlé de ce bonheur ! dit Gisèle. Je n’ai pas pensé à tout
ce mal en lui promettant qu’il serait là, avec nous, en ce jour tellement
important pour nous. N’est-ce pas, Jean ?
- Je suis d’avis d’inventer une excuse, dit Fabrice. Je compte toujours un peu
sur Jean dans ces cas extrêmes.
- Dire que j’ai menti à Sweeney ! dit Gisèle. Que va-t-il penser de moi
maintenant ? Je n’aime pas cette situation.
- C’est Sweeney que vous n’aimez pas.
- Nous nous marierons de toute façon, n’est-ce pas ? Jean, je t’en prie,
charge-toi de ce problème, C’est ma faute, je le reconnais. Mais il était
tellement heureux à l’idée de revenir au château. C’est sa grande idée, vous
comprenez ? Il ne pense pas à notre bonheur. Revenir, me disait-il en pleurant,
revenir une seule fois.
- Il ne reviendra pas, voilà tout, dit Fabrice désespéré. Mais la seule
idée de lui mentir me paraît tellement odieuse !
- Que personne ne mente ! dit Jean,
- Veux-tu dire que tu penses... que l’Idée même de Sweeney... que cette
présence parmi nous... veux-tu dire que tu t’en moques éperdument comme tu te
divertis tous les jours à négliger ta santé ! Je ne peux vraiment plus te
faire confiance. Sweeney...
Mais il était déjà dans l’escalier. La promenade continuait. Il n’y avait
plus qu’un problème : Sweeney. Le ramener, le temps des noces, était une idée
de Gisèle. Fabrice aimait l’idée. C’est tout ce qu’il pouvait en dire. J’aime
l’idée. L’idée de Sweeney de retour au château pour les quelques Jours que
nous feront durer nos noces Rien qu’une idée de Gisèle qui n’avait pensé
qu’à Sweeney. Jean ouvrit la porte de sa chambre pour laisser passer le chat.
Il n’alluma pas. La lune s’était levée. Cette lumière le fascinait. Ce n’est
pas vraiment une lumière, une lumière à proprement parler (qui parle ?), en
dehors de tout sentiment morbide. Il s’assit sur un tabouret près de la
fenêtre. La tente recevait cette lumière avec une avidité d’ombre peinte.
Sweeney ne supporterait pas cette vision. Il ne résisterait pas à cette
attente. Sweeney connaissait la douleur. Il la connaissait dans le rapport de
l’attente au désir, comme tout le monde. Simplement, il en exagérait
l’importance. Et il avait cette nécessité d’agir, exagérément bien sûr,
relativement à sa maladie qui était loin de tout expliquer comme le
prétendait Fabrice. Gisèle ne pouvait pas approcher cette réalité avec les
moyens des théories qui étaient tout le préalable de sa peinture. Elle ne
comprenait pas le risque. Fabrice pouvait l’évaluer. Jean, s’il était
sincère, avait les moyens d’en limiter les effets. Fabrice comptait sur lui.
Gisèle est tellement proche du bonheur en ce moment. II n’y avait pas de feu
dans la chambre. Il entreprit d’en allumer un pour s’occuper physiquement de sa
fragilité thermique qu’il avait hérité de sa mère. Elle se pelotonnait dans
les coussins près du feu incroyable qu’il continuait d’attiser parce qu’elle se
plaignait encore. Ces lueurs le tourmentaient. Il voyait ses épaules nues, il
l’entendait se plaindre parce qu’il continuait de descendre le long du corps,
silencieux et attentif, ayant tout oublié de la clé des songes (je voulais
dire problème, pensa Jean en revenant à sa chambre (le chat dormait près du
lit en feu où il était mort) dont la porte entrouverte était agitée par un
flot incohérent de lumières où la géométrie du lieu devenait incertaine et
même menaçante).
Sur la route, au-dessus du verger, il y avait moins de monde. Ceux qui
descendaient au village conseillaient la tranquillité, ils descendaient
lentement jusqu’au pont et ensuite ils prenaient la direction du village, ayant
décidé ensemble qu’ils en avaient assez vu pour ce jour. Les autres, agités
encore par la curiosité héritée de ceux-là même qui maintenant s’en
défendaient (descendant en un seul groupe noir et géométrique), regardaient
en silence la fenêtre secouée par le feu dansant. On distinguait bien le lit,
blanc et carré, son ciel noir sans rideau (autrement le feu aurait commencé
par là) et le drap défait dans le sens d’une diagonale. Une chaise brûlait
dans un angle. Ceux qui descendaient n’y croyaient pas encore. De loin, ils
exprimèrent leur incrédulité, la ponctuant par la raillerie que les autres,
en haut de la route au-dessus du verger, ne pouvaient accepter sans augmenter le
niveau sonore de leur conversation. Arrivés presque en bas de la pente, ceux
qui pouvaient croire à un événement de nature à alimenter la rumeur du
lendemain s’arrêtèrent pour regarder à travers les branches des pommiers. On
voyait très bien le triangle (la pyramide) de la tente blanche maintenant sur
l’écran (dans l’infini) du ciel noir, mais l’enchevêtrement des branches
ajouté au mur de clôture infranchissable rendait la lecture du château
difficile sinon impossible. Cependant, en haut, comme suspendue dans l’air de la
nuit, la conversation s’était transformée en étonnement, ils avaient (d’ici)
l’air halluciné par ce qu’ils commentaient sans se répondre les uns les autres
et l’un d’eux se mit à courir dans la pente, disparaissant dans l’alignement
des aubépines, puis arrivant sur le pont en criant distinctement. Le feu était
une réalité. Le groupe de ceux qui n’avaient pas voulu descendre pour prêter
main forte à cause de ce que le feu leur inspirait de terrible et d’absurde,
s’immobilisa en un seul bloc qui pouvait appartenir à cette obscurité
végétale. Les autres (un groupe marchant du même pas vers le feu, l’autre
groupe s’éparpillant devant à cause des différences de rendement à la
course) avançaient dans la demi-lumière de la tente qui avait l’air
gigantesque maintenant qu’ils la voyaient de près. Le premier qui repéra la
fenêtre en feu était un enfant en âge d’aimer comme un homme (témoignage du
maire lui-même au lendemain de ce qui aurait pu être une tragédie (humaine,
pléonasme du magistrat voisin) et (pire encore, disait un notable sans
existence précise) une perte irréparable compte tenu de l’historicité du lieu
(l’expression est d’un enseignant en mal d’amour) et de pierres. Un autre cria
(enfin) au feu. Le chat, qui croyait à un cauchemar, griffait les draps en
attendant qu’on le réveille. Jean revenait dans le couloir, l’esprit confus, le
cœur blessé, tentant de concentrer toute sa mémoire sur une explication
cohérente du personnage de Sweeney. Au passage, il ferma une fenêtre. Il les
vit dans un chanfrein mais ne crut pas à cette vision. Le feu approchait,
soulevant le vernis du plancher en cloques noires et éphémères. La tapisserie
du couloir s’illuminera tout le long de la plinthe, jusqu’à la porte de
l’Empereur, suivant cette courbe parabolique imposée par un refend inattendu.
L’embrasure de la pente fumait. Le chat était mort ou il continuait de rêver
à cette impossibilité de vivre dans ces conditions. Jean pensa à n’ouvrir
aucune fenêtre. Qu’est-ce qui avait bien pu causer ce feu ? I1 vit le chat
immobile dans les draps souillés d’autres cendres. Le plafond se cloquait
autour des ornements dorés. Les rideaux, deux torches. Jean perçut
l’éternité du feu. Il pouvait avancer d’un pas dans la chambre et même tendre
le bras pour toucher le chat mort ou rêveur. Cette cendre de corps l’épouvanta
mais il avança encore en direction du secrétaire où le manuscrit, immobilisé
par un cristal de gypse qui imitait la flamme à merveille, s’entourait de
cendres menaçantes qui voltigeaient vers la fenêtre et se mélangeaient aux
rideaux en feu. Le voir n’était pas difficile. Imaginer ce qui lui passait par
la tête en ce moment tragique n’était pas l’affaire de tout le monde. De
là-haut, on voyait toute la scène. La mort existait. Les flammes léchaient le
linteau de la fenêtre, illuminant les gargouilles sous la toiture. Spectacle
infernal. On ne se parfait pas. Ceux qui étaient descendus au château étaient
maintenant rassemblés devant le porche de l’entrée principale. La tente
gênait cette vision, coupant l’escalier où le comte (père) organisait une
réponse définitive au feu, pensant au créateur de ce feu, mais n’exprimant
rien d’autre que sa capacité de réaction devant l’adversité et son ascendant
encore vivace sur une population qui prétendait à haute voix ne rien attendre
ni de lui ni de son passé. La citerne arriva sur ces entrefaites. Il y avait le
feu dans la chambre de Jean.
- Jean, c’est le nain, n’est-ce pas ? Ce n’est pas la première fois.
- À quoi sert ce château s’il n’a plus aucun sens ?
- Vous voulez dire qu’il a déjà mis le feu au château ?
- Le feu, l’eau, les cris, les menaces, tout. Tout est arrivé maintenant.
- On ne s’étonne plus (ajoute quelqu’un pour donner un sens à cette
conversation, au-dessus de la vigne et du verger).
- Il est dans la chambre. Cette fois il ne survivra pas.
- La veille du mariage ! La veille du mariage ! Quel feu ! (cette réplique est
tout ce qui reste de l’étonnement jadis partagé par plus de trois mille âmes
toutes rassemblées sur cette terre pour en comprendre la douleur et se
préparer à en continuer le sens au-delà de cette vie qui n’est que
l’imitation de ce qu’on peut s’imaginer si on a deux sous de curiosité
respectivement à cette mémoire dont il est devenu si difficile de parler que
maintenant les conversations tournent plutôt autour de l’idée qu’on a chacun
de la notion qui profite aux uns parce que les autres le font exister par le
vote qui est une espèce de demi-voix qu’on n’écoute que d’une oreille mais une
fois passé l’âge de la raison on se rend compte qu’on a oublié de philosopher
et que c’est tout le drame de la servilité). Oui. Oui. Oui. Le cristal est
brûlant. Il s’y brûle les doigts. Mais c’est une fausse flamme. Le vrai feu
est ailleurs. Ce ne sont que quelques pages arrachées à la réalité. Mais il
y tient. Il y tient parce qu’il ne se souvient que du sens à donner à ce feu.
Mais les mots, il les a oubliés. Il oublie toujours les mots. Il oublie même
le mouvement, le pendule au-dessus du texte qui s’y retrouve. Tic, tac, tic,
tac, pendule de l’or du temps, il n’y a plus de feu. Le chat est mort. La
fenêtre fermée. L’air stagne. Voix. Couvrez-moi, dit-il calmement. Mais lta
question reste de savoir qui a mis le feu.
Sous le chêne séculaire, minuit passé, il ne manquait que les trois ou quatre
gars et les deux filles qui avaient de l’ouvrage pour toute la nuit au château
où personne ne dormirait cette nuit, le feu éteint, peut-être, oui, éteint,
même sous la cendre. Il y avait eu plus de peur que de mal, pensait-on. Et on
avait raison. Il ne s’était presque rien passé. Sauf dans la tête de Jean qui
en avait exagéré le récit. Le chat était mort, preuve de la virulence du
feu. I1 montra la cendre des rideaux, les craquelures noires du plâtre, le drap
centrifuge et le chat entortillé dans cette triste immobilité. Feu de paille.
L’ampoule électrique du plafond avait explosé à cause d’un court-circuit
derrière la plinthe que le feu avait parcouru d’un bout à l’autre mais
heureusement en surface. Il pouvait éteindre maintenant que le feu n’existait
plus que par ce qu’on en disait. Ce n’était rien. Juste un brasier comme il en
arrive de temps en temps comme conséquence d’une négligence qui dans d’autres
circonstances est le point de départ d’une tragédie mémorable. Regardez comme
ils veulent se souvenir. Il avala le sirop contre la toux. C’est tout ce qu’ils
veulent, se dit-il. Rien n’est important à leurs yeux que cette mémoire
soumise aux lois de l’héritage. Ils veulent. Ça aurait pu être plus grave. On
se mariera demain. Tout le monde est mort. Il parlait à Gisèle. Elle
l’écoutait bien sûr. Elle ne disait rien non plus. Elle avait changé les
draps, à cause du chat. Il aurait pu dormir dans une autre chambre, mais non :
il ne s’était rien passé. Tout restait à dire maintenant. Il entra tout nu
dans le lit. Cette impudeur le surprit lui-même. Il accepta le livre qu’elle
lui donnait. Elle sortit. C’était tout pour aujourd’hui.
Conte extrait de mon roman Carabin Carabas dont le
texte intégral sera proposé en téléchargement gratuit sur le site RALM.