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L'aïoli
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 Article publié le 14 avril 2009.

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À l’intérieur, une table, c’est tout./Oui, mais sur cette table, il y faudra surtout/Un aïoli odorant et cordial/Dont se régalera le gourmand provençal./C’est pourquoi sans façon,/Je me dis là dans ma caboche,/Le bonheur, tè, mon bon !/C’est un tout petit cabanon. Tu connais la chanson, Estephanette ? C’est pas ton époque, pardine ! Vincent Scotto ? L’opérette, ça chante, ça parle, ça danse… Notre Cane... Cane... Canebière… Gaby Sims, Rellys, Alibert… Trois de la Marine ! C’était comique et ça finissait toujours bien. Tous ces airs… A force de les entendre, on les savait. Sans les apprendre, on les savait. Comme quoi, ma fille… Un petit cabanon/Au bord de la mer sur des roches… Je prends un petit cabanon pas plus grand qu’un mouchoir de poche. La pétrolette n’y grimpe pas. Le plus gros a été préparé à la maison. On achemine les banastes1, les couffins et tout le bataclan à dos et à bras. Doucement avec la dame-jeanne, les cabrettes2 ! Pé, n’a plus toutes ses jambes. On le trimballe ficelé sur sa chaise. Chante avec nous, Pé ! Un cabanon, c’est pas une cabane. Une cabane, c’est pas un cabanon… Encore… Un cabanon, c’est pas une cabane. Une cabane… Au cabanon, on se pourlèche les brègues3, on se régale les papilles, on se démonte les mandibules4… A la cabane… A la cabane, on mastègue5 de l’air, on se mordille les badigouinces6, on boulotte7 des regardelles8.

T’en as pour deux plombes ? Au moins. Je pile les gousses dans le mortier. Si t’as de l’ail dans ton jardin, t’as pas besoin du médecin. Toine de Mireille… Le fils de Mireille… Mireille, sa mère l’a chiée dans un champ d’ail à Piolenc9. Les truies font pas des truites. Pour te dire que ce Toine en a toujours une tresse au fond de sa cacugne10. Une tresse de quoi ? D’ail, teste d’aï11 ! Avec ça, il éloigne les tourbillons et les mostres12 de la rade et des criques. La haute mer ! Les ancêtres jurent que l’ail crève le mauvais œil, affronte les lièvres cornus13 et bastonne les serpents. On en fait des cures. L’ail autour du cou, l’ail dans les berceaux, l’ail au-dessus des portes… Les vers, la gangrène, les piqûres… Autant il calme le mal aux dents et la toux, autant il enrage le bas-ventre. C’est peut-être une blague de pistachier14. Plus je frottais d’ail mes bouts pour le sevrer, plus il tétait goulument, ce galavard15 ! Jusqu’à sa majorité, il aurait pompé. Pour l’haleine, figure d’anchoye16, mâche du persil, sinon les petites te refuseront. Va, l’ail te protège. L’ail, nous rabâchait ce savantasse17 de Jaume, terrasse les vampires suceurs de plaies, de furoncles, de torchons à ragnagnas18… A dache19 les dévoreurs de cadavres, les saigneurs de nouveau-nés, les chauves-souris… A dache la peste, la lèpre, la grippe… T’y croyais ? A moitié. Bien obligée ! Jaume avait réponse à tout. Un bastard, je suis un bastard. Je viens de bas. Je sais où le bât m’entame. J’ai la gibe20 des connaissances. Je l’ai roulée dans tous les livres. Touchez ! Mestre Jaume émerveillait jusqu’aux plus cancres. Touchez, je vous dis ! Les grecs, les latins, les patois, les argots… Des langues, t’en veux ? L’arabe, le chinois, le belge, le javanais… Cours chez Mestre Jaume, avec ton cahier. Pas de problème, m’man. L’or en fer, les diamants en cailloux… Le vin en eau ? C’est pour rire, bêta ! Je passerai disons vendredi, voir ton grand-père. J’apporterai une fine et bonne bouteille. Du vin de messe basse, sacristi ! Il disait que Pé était comme un pape, avec nous. Un pape aux petits oignons. Le frais… Les batailles de figues… Les corridors. On était jeunes. Jeunes, tout simplement, on était. Au tableau ! Le mortier sent toujours les os. Les aulx ! Aulx, â, u, èl, iks’. Prends la craie bleue. Allium sativum22 ! Une feuille… La cloche sonne, m’sieur ! Que signifie pour vous le proverbe Le mortier sent toujours les aulx, Un exercice à faire avec vos parents. Les roux21… Les œufs. Mon carnet. Gallus a des gélines23 qui meurent de vieillesse, un Canteclar pour réveiller les feignasses de la paroisse, un coquâtre24 baroque, un ergoteur gaulois qui grince au moindre souffle sur sa bicoque. Il les couve ses pondeuses. M’man, Gallus, il a quel âge ? Quatre-vingt ? Quatre-vingt et le chèchou25. Les îles flottantes, les flans, les omelettes, les brouillades… Elle en a battu des blancs et des jaunes, sa mie Miette. Elle a emporté ses recettes dans la tombe. La sau26… La main légère, je me dis.

Un peu d’huile d’arachide… Un filet. C’est le secret. Après… L’huile d’olive… Goutte à goutte ! Tourne, tourne, tourne… Tourne le pilon dans le sens que tu veux. mais toujours dans le même et à la même allure. C’est Mé qui m’a appris… Elle avait la patience, elle. Comme on devient. Encore, encore… L’huile… L’huile… C’est épais. Tu vois ! Une gisclée27 de citron… Esquiche28 ! Si t’as tes affaires29, la pommade retombe. On pourrait s’en faire un cataplasme. Tè vé30, Lali, le pilon tient droit comme un chichi31 dans le gâchis. Les légumes… C’est pas la peine de les éplucher, les tartifles32. Les carottes, si ! Les courgettes, les haricots verts, les pois chiches... T’en as un dans la comprenence33, c’est pas de jord’hui34. Toute la famille en a un, pas vrai, Mé ? Les garçons en ont deux. Tant que ça dure. La merlusse35, tu la poches. Elle est dessalée. Qui ? La voisine ! Les biòus36, les tapets37… Le poupre38 est blanchi. Les oeufs durs… On goûtera le croustignous39. Plus de sept ans… Il pique ? Il arrache le mourre40. On en vendait dans les rues. Pas vrai, Pé ! Coussinous ! Coussinous ! J’en mangerais sur une tronche d’api41 ! T’en perds pas une, Pé ! On le croit à l’agonie et… La mamet42 mélangeait les rataillons43 de fromage dans un toupin44. Le verre d’eau-de-vie… Un casse-poitrine ! Dans la cave, sa pâte reposait au moins… Au moins… C’était le bon temps. C’était pas la même misère. Zou45 ! Zou ! Zou ! Un peu d’aïoli ! Zou ! Zou ! Le dessert, c’est une surprise. Après ça, un de ces penequets46 ? C’est mérité, non ?

La cannisse47 est à refaire. Les hommes décideront. Si tu les brusques, t’as peau d’alibòfi48. Les provençaux parlent aux provençaux… Le moulin de Daudet ne bat plus que d’une aile. La chèvre de monsieur Seguin est au pieu. Je répète : La chèvre de monsieur Seguin est au pieu. Je répète… La Bonne Mère a rendu son tablier. Je répète… La Bonne Mère… Maintenant, Pé, brouille un peu tes ondes. Passorès ! Passorès ! Il dit quoi, m’man ? Quelqu’un passe ? Il entend du bruit. Personne passe, Pé ! Les cans, les chins49… Couquin ! Couquin de Diéu50 ! Personne, Pé ! Non, Pé ! Personne ! Pé, dégun ! En attendant le pastaga51, dans les brandillons de ta sedia gestatoria52, ronfle-nous-en une comme les bordufles53 d’Allemagne. Je suis prisonnier ! Cette année, c’est moi le père Noël des Galeries. Tenez-vous à carreau, les marmailles ! Des images… La porte d’Aix ! Un tafanàri comac54 ! Deux Cavaillon55 ! Deux gousses d’ail et deux mandarines ! Tu viens aque56 moi, maigrichonne, je vais t’engraisser ! Que novi57, Pé ? On a espoti les Boches comme des cacarinettes58 ! T’aurais vu ça… Même dans sa caisse de mort, Pé, rouscaillera59 encore. La sedia gestatoria ! C’est Mestre Jaume qui nous avait mis cette expression dans le crâne. Un pape… Heureux comme un pape, le grand-papa ! Aïe ! Aie de ma caboche ! Aie de mon esquine60 ! Aie de mes amandons61 ! Aie ! Aie ! Aie ! Un véritable marchand d’aie ! Ma canne ! Mon capéou62 ! Où tu vas, Pé ? Au baletti, couillon de la lune63 ! Au baletti !

M’man, ça gargouille ! Çui-là, quand c’est pas la mèque aux trous de nase, c’est la mouscaille au trou de balle64. Va, derrière la tousque65, nous faire une brave sentinelle66. Demande une feuille de jornal67 à Pé. Pas celle qui parle du quartier. Un chalet de commodité dans les fleurs68 ? C’est pas la veille ! Et se trimballer la toupine69… Autant rester chez soi. M’man, je pisse rouge ! C’est les betteraves. Bè70 ! M’man, ma pisse pue ! C’est les asperges. Bè ! M’man, j’ai la chique71 ! Bè ! M’man…. Avec toi, on tourne en bourriques72, Mé et moi. A la fin, tu nous crispes ! Bè ! Bè ! Bè ! Que fas, Mé ? La cabre73 ? De toi, que va penser la Bonne Mère ? Que va penser la Bonne Mère, de toi ? La Bonne Mère, de toi… De qui, Mé ? De toi, gàrri74 ! Mé, la Bonne Mère, elle a une pachole75 ?

M’ma, on mange ? On attend plus que le fiancé de Lali, ton père et le pain. Ils sont capables de pas y penser. Ils sont où ? Ils ont fait de la mécanique. Le carbu, ils ont dit. Une selle plus neuve… La béquille… Le con de Manon, la tire-pute de Milou est encore en panne ? L’autre fois, un peneu76, les câbles, le phare… Un tas de merde ! La prochaine fois, c’est la ferraille, putain d’Adèle ! T’apprends ces mots à l’école ? Non, au catéchisme ! Tu savais, m’man, que La Fontaine a copié sur Esope. Qui ça ? La Fontaine, Esope… Tu le diras à ton père. M’man, les cigales bouffent la sève des arbres. Elles jouent des cymbales. Elles ont rien d’autre à faire, se gaver et chanter ! Ou c’est la moto, ou c’est le ballon77, ou c’est les boules, ou c’est… Ces deux, ils fabriquent quoi ? C’est vrai, ils se lèvent le maffre78 à l’Arzenale79 ils se niasquent80 qu’à l’occasion, ils ont pas les mains percées… Ils vont m’entendre ! Lou gran aiòli ! Le grand aioli ? Lou gran ! En quel honneur ? Le printemps, Pé ! Le printemps !

Tâche moyen81 d’être à la gare à l’heure. T’entends ? A l’heure… A la gare ! Qu’on se fasse pas du mauvais sang. T’entends ? On se languit de te voir dans ton installation. Tout le monde te donne le bonjour. Moune, Fine, Zè… Danis du terminus des trolleys, Nine de l’épicerie, tous ceux du bar… Les frères Tave et Gégène de la maison cassée… Des vieux garçons ! Rite, la fille de Toine, Toine de Mireille, Mireille de Piolenc. C’est loin tout ça. Elle te voulait Rite ! La pauvre, son mari est encore en prison. Aussi, de se mettre avec un feignant pareil. Le bec salé et les mains crochues ! Tante Isa te prépare un petit paquet. Tu lui diras merci, mais quand on reviendra. Tu es pressé ? Tu vois pourquoi, nous autres, on préfère être morts ici que vivants à Paris. Pressé ! Pressé ! Et puis à notre âge, on va plus bouger. Pressé pour quoi faire ? Pour aller au cimetière ? On a enterré le marchand de graines, la semaine dernière. Tu t’en rappelles de Roumié, Rémy, près de la droguiste ? La tour Eiffel, risque pas que j’y monte. Ton père se poile82. Pour se poiler, çui-là, il se poile ! T’entends ? On t’apporte des bonnes choses. Tu trouves de l’ail, là-haut ? Ta vie parisienne, tu nous raconteras ça en long… T’entends ? En long, en large et en travers. Trois jours… C’est déjà beau. On a le poulailler, les chats, le jardin… On te laisse, que tu manques pas ton théâtre. On t’embrasse ! Et à l’heure, à la gare… Qu’on se fasse pas du mauvais sang !

 

Extrait de TAIS-TOI ET SAUCE !

Robert VITTON, 2009

Notes

1 - Banaste Panier, corbeille en osier. 2- Cabrette Petite chèvre. 3 – Brègue Lèvre. 4 – Mandibule Mâchoire. 5 – Mastéguer Mâcher. 6 – Badigouince Lèvre. 7 - Bouloter Manger avidement.8 – Regardelle Mets imaginaire que l’on dévore du regard. 9 – Piolenc Commune française, sise dans le Vaucluse, dite capitale de l’ail provençal. 10 - Cacugne (fém) Tout petit bateau. 11 – Teste d’aî Tête d’âne. 12 – Mostre (prov) Monstre. 13 - Lièvres cornus Idées extravagantes, 14 – Pistachier Coureur de femmes. 15 - Galavard – Goinfre. 16 - Figure d’anchoye Visage d’anchois. 17 - Savantasse Individu qui s’évertue pour paraître savant. 18 – Ragnagnas Menstrues. 19 – Dache Le bout dumonde le diable. 20 – Gibe Bosse. 21 – Roux (n m) Jaune de l’œuf. 22 - Allium sativum Nom scientifique de l’ail. 23 – Géline Poule. 24 Coquâtre Coq châtré à moitié. 25 - Chèchou (Et le) Et encore un peu plus. 26 – Sau (fém) Sel marin. 27 – Gisclée Giclée. 28 – Esquicher Presser. 29 – Affaires Menstrues. 30 – Tè vé ! Tiens regarde ! 31 – Chichi Membre viril. 32 – Tartifle Pomme de terre. 33 – Comprenence Compréhension. 34 – Jord’hui Aujourd’hui. 35 – Merlusse Morue. 36 - Biòu Bigorneau. 37 - Tapet Escargot. 38 - Poupre Poulpe. 39 – Croustignous, couissignous ou coussinous Restes de fromages fermentés, d’odeur très prononcée, piquant les parties gustatives. 40 – Mourre Museau. 41 – Tronche d’àpi ! Tête de cèleri ! Injure familière. 42 – Mamet Grand-mère. 43 – Rataillons Petits morceaux, restes… 44 – Toupin Pot. 45 – Zou ! En avant Allons ! Encourage à agir. 46 – Penequet Somme léger. 47 - Canisse Claie de cannes liées. 48 – Alibòfi (nmpl) Testicules. 49 – Can, chin Chien. 50 - Couquin de Diéu Coquin de Dieu, un enfant espiègle. 51 – Pastaga Pastis. 52 – Sedia gestatoria Chaise à porteurs où, jusqu’en 1978, trônèrent les papes pour être vus par les fidèles lors des cérémonies. 53 – Bordufle Toupie. 54 – Tafanàri comac (Un) Un cul comme ça. On imagine le geste. 55 – Cavaillon Melon de cette commune. Deux Cavaillon, deux gros seins. 56 - Aque Avec. 57 – Que novi ? Quelle nouvelle ? 58 On a espoti les Boches comme des cacarinettes ! On a écrasé les Alboches (Al : Allemand et boche : caboche) comme des coccinelles ! 59 – Rouscailler Se plaindre, maugréer, râler… 60 – Esquine Echine. 61 - Amandons Testiciles. 62 – Capéou Chapeau. 63 - Au baletti, couillon de la lune ! Au bal, imbécile ! 64 Çui-là, quand c’est pas la mèque aux trous de nase, c’est la mouscaille au trou de balle. Celui-là, quand c’est pas la morve aux narines, aux trous de nez, c’est la merde à l’anus. 65 – Tousque Touffe d’arbustes, de buissons… 66 - Sentinelle Etron isolé. 67 – Jornal Journal. 68 -Un chalet de commodité dans les fleurs ? Un lieu d’aisance dans le jardin ? 69 – Toupine Seau hygiénique. 70 – Bè ! Bien ! Exprime l’étonnement, la lassitude… 71 – Chique Gonflement de la joue souvent dû à un problème dentaire. 72 – Faire tourner en bourrique Faire perdre la tête, agacer au plus haut point… 73 – Que fas, Mé ? La cabre ? Que fais-tu, Mé ? La chèvre ? 74 – Gàrri Rat (terme affectueux). 75 – Pachole Sexe de la femme. 76 – Peneu Pneu. 77 – Ballon Football. 78 –Maffre (se lever le) Se lever le cul, faire de grands efforts. 79 - Arzenale Arsenal. 80 – Niasquer (Se) Se saouler. 81 - Tâcher moyen de Essayer de, faire en sorte que, faire son possible pour… 82 - Poiler (Se) Rire de bon cœur.

 

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