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À la vie À la mort
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 Article publié le 6 avril 2005.

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Le legs

Nous faisons notre vie de la mort d‘autrui.
Léonard de Vinci

A Tristan, mon miston

Garçons, filles de boutique, dames de la halle, servez-moi, ma compagne est en couches !
Holà quelqu’un !

Je te donne des petits couteaux pour les perdre

Je suis le passager et le wattman d’un tramway fantastique
Sur les marchepieds du Poëme les rêveurs de musiques fourbissent mes cromornes et mes bombardes

Je te laisserai les sarbacanes à souffler la Chandeleur et les pionnes du jeu de demoiselles
Je te laisserai les tristesses du préau et les rêvasseries du piquet
Je te laisserai les icebergs et le sirop grenat de mes haltes
Je te laisserai les camelots d’outremonts les camelotes façonnières les chevaux de bois à la musette mangeoire des maquignons forains les édredons et les fées noctambules aux mains plumeuses
Je te laisserai mon ENFANCE

J’ai dans mon bissac tes mignons mordorés ta gourde ton quignon et je te porte sur mon dos comme Vincent portait les ailes de toile de Dordrecht

Meunier, tu dors ?

Je te donne le croque-mitaine et le guignon guignonant

Je traverse des villes de brique tiré par trente cavales blêmes
Les corbillards essoufflés se prennent dans les noces grotesques et les pauvres gens de l’Evangile s’agenouillent sous les orgues orgueilleuses et les juke-boxes patraques

Je te laisserai mes paysages olivâtres piqués d’ail tachés de vignobles ensoleillés et mes gravures saumâtres ombrées d’algues et d’algarades
Je te laisserai les crapauds et les cigales de mes silences inouïs
Je te laisserai mes estagnons mes seaux cabossés et mes incendies de pinèdes
Je te laisserai les cornes le bagou les fanfares fanfaronnes et écornifleuses du Mistral les Atlantes pétrifiés de Pierre Puget les ahans des forçats et des nervis traînant leurs boulets de pétanque
Je te laisserai mon PAYS

Sur la route aux cyprès je te porte sur mon dos comme Vincent portait les ailes de toile de Fontvieille

Meunier, tu dors ?
Je te donne les cerfs-volants écervelés et les fières montgolfières

Dans mon moulin à paroles à mes heures dérobées je noue et dénoue mes voix mes voix désespérées que je tire de la poudre des siècles des liesses de la cité des forêts vives des chants débarqués par le coche d’eau des orantes penchées sur les sommeils de granit et j’attends la nuit

Je te laisserai la rumeur gothique les peines capitales et les mouettes délirantes de la chanson-fleuve
Je te laisserai les épaves de la grisaille et mes taximètres en marande sur la mer pavée
Je te laisserai mon collier à grelots mes jetons de présence et ma goulée de benace
Je te laisserai des nuits rouges percées de mascarades de torches hilares d’aboyeurs de complaintes de toboggans enneigés de funambules livides de charrettes ferrées des nuits blanches semées de coquelicots de chauves-souris de chourineurs des nuits noires d’aveugles et de scaramouches
Je te laisserai PARIS

Sur les mauvais chemins je te porte sur mon dos comme Vincent portait les ailes de toile de Montmartre

Meunier, tu dors ?

Je te donne la patenôtre du loup et le chandail de ma brebis galante

Dans les brouillards miauleurs entre les cadavres exquis je hale main sur main les barques psychopompes
Les haut-parleurs déversent mes monologues intérieurs sur les décharges publiques et dans les gares de marchandises

Je te laisserai sous ma lampe polaire la page blanche où mes vieux rennes ruminent des romances lapones
Je te laisserai mes mots de marinier de rame et de dépaveur
Je te laisserai ma machine à décrire mes pieds de mouches mon encre débile et mes plumes rompues aux pleins et aux déliés des grammatistes de semaine
Je te laisserai mes kaléidoscopes caliborgnes ouverts sur des mondes foutraques et clairvoyants
La Dame a des amants par quartier qui couchent certaines nuits dans les torchons rances et tumultueux de la Misère dans les cabanons capitonnés de la Déraison dans les caveaux de la Mort cafetière sur les civières douloureuses dans les chapelles blanches de l’Amour fou
Je te laisserai la POESIE

Dans les houles blondes et croassantes d’Auvers-sur-Oise je te porte sur mon dos comme Vincent portait les ailes de toile de la Folie

Meunier, tu dors ?

Je te donne la lanterne rouge les serviettes en nids d’abeilles et les paillasses d’un lupanar foutral

Nous grimperons aux échelles du Vertige à des piques et des piques des ventes à la criée des carillons de Dunkerque et des portées télégraphiques
Nous dormirons sur les grands oiseaux du Voyage

Je te laisserai le quart la gamelle et le pécule du Prisonnier inconnu
Je te laisserai les frontières pointilleuses et l’écriture automatique des armes
Je te laisserai la geste du Noyau le rock and roll des bombardiers et le massacre de l’Opéra cosmique
Je te laisserai le siècle sali de capelans et de capellades de cadènes et de cadences de charniers de sentines et de moulins à bras
Je te laisserai l’AMOUR

Les faucheuses de tendresses prendront quelques poignées de feu à ton bois de boulange

Meunier, tu dors ?

Un jour fiston revenue de ses blancs moutons une bergère s’ouvrira comme une image moyenâgeuse
Tu lècheras sa fleur de sel
Tu lambineras jusqu’à sa salive jusqu’à la joie des larmes
Vous aurez soif
La mer roulera les fraîches calebasses de ses aiguades
Vous marcherez sur le lavis des mappes

À tes abords dans l’île où loin des miens je reposerai sous les pains qu’à leur fantaisie de vieilles vagues pétrissent tandis que les harpistes du large caressent la vergue et la voile tendue des mousses naufrageux accrochés aux tempêtes tu repasseras nos colloques nos lubies et nos esclaffades

Je te donne des ailes des ailes comme l’écrivait Vincent le rouquin Vincent le peintre hollandais

"Des ailes pour planer au-dessus de la vie !"
"Des ailes pour planer au-dessus de la tombe et de la mort !"

Je te laisse des AILES et la porte ouverte sur l’IMAGINATIVE

1983

 

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