« Je vais inciser maintenant, dit-il. Vous ne sentirez qu’une légère pression. Aucune douleur. Voilà ! Une autre petite pression ici et nous en avons terminé vous et moi. Je vous confie à ces charmantes hôtesses ! » Le plafond circulait. « Tenez fort ! je vous dis ! » Je tenais, retenais, détenais, soutenais. Je n’en finissais pas avec cette promesse de survie. Un cahot, sorte de cachot, m’arracha un petit cri de détresse. « Calmez-vous, voyons ! Vous n’êtes pas mort ! » Une main prit la mienne. « Oh ! Oh ! dit-elle. Vilaine blessure ! » Je n’en ferai jamais d’autres. Une porte glissa sous moi. « Vous allez dormir dans des draps propres. Ça vous changera. » Un ciel s’immisça dans cette seconde d’inattention. D’un jour à l’autre, j’observe des quantités négligeables. Non, non ! Je ne les additionne pas. Je ne compte pas. Je suis issu des Humanités. Mon cerveau ne calcule pas, il cherche. « N’oubliez pas vos [mot censuré] sinon je vous les fais avaler de force ! » Elle plaisantait à peine. Le drap sentait la pisse, une pisse qui m’était parfaitement étrangère. « La prochaine fois qu’on annonce du froid, revenez avant d’avoir froid ! » Un morceau de viande enrobé de sauce chasseur. Il se scinda, laissant aller ses particularités. Quel hasard ! Je n’en ferai jamais d’autres ! « Voyons comment ça évolue… » On ne m’avait pas parlé d’une évolution. J’avais compris : représentation. Mimétisme du phénomène. « Vous en faites un de phénomène, vous ! » Rires qui ne franchissent pas les limites du sens. « Recommencez ! » dit une voix. Elle recommençait, mais cette fois avec une application de femme pressée. « Vous n’êtes pas raisonnable, » dit-elle. Un peu de votre oxygène ne me fera pas de mal. « Vous ne touchez pas à ça, compris ? » Réduit à cette immobilité, surpris en pleine cuisson intellectuelle. Je me redressai pour voir l’autre qui parlait sans arrêt. Il me parlait, prévoyant une cohabitation forcée. Il ne m’avait pas choisi. La même incision. Le même souvenir d’avoir pensé au pire. « Vous n’avez rien mangé ! » Et je ne mangerais rien avant d’avoir connu autre chose que ces doublures qui ne connaissent pas leur texte comme je connais le mien. Il trempait ses doigts moisis dans ma sauce et la nuit tombait. « Quand vous aurez une hémorragie, me dit-il, vous comprendrez ! » En attendant, je ne comprenais pas. Et ça me rendait dangereux. « Ne touchez pas aux gardiens, m’avait-on conseillé. Parlez d’autre chose et on vous entendra si c’est la mode. » La même blessure, mais certainement pas la même douleur ! « Vous avez de la chance : ils ne tirent jamais deux fois ! »