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 Article publié le 6 novembre 2012.

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à Ian Curtis, in memoriam

La densité du Dire est telle, de nos jours, que parler du passé, produire un Dit - toute parole proférée est d’après - se heurte au vide initial de l’ignorance.

Non seulement, on ignore, mais on veut ignorer ! 

Jamais époque ne fut plus riche, plus dense, jamais époque ne mit autant en évidence, par là même, l’abîme tragique qui sépare les créateurs adossés au grand murmure des sourds volontaires, sourds par excès de savoir ou ignorance pure et simple, et qui n’écoutent que ce qu’ils ont à dire, alors qu’il nous faudrait tous et toutes épouser passionnément la parole éparse de notre temps, et ainsi la redire pour mieux l’écouter encore et encore - c’est proprement la passer en en passant par elle - parole énigmatique qui dit le Dire, sans relâche, sans lâcheté aucune aussi, et qui, jamais, au grand jamais, ne consent à enfermer l’inépuisable ampleur du Dire dans un Dit ruminé, rabâché, enclin à tous les dictare, mais affirme le primat du Dire qui autorise toutes les paroles.

Le Dire est ce qui, emportant l’adhésion avant même toute mise en mots de l’énigme qui importe à qui s’y affronte, redouble, chemin faisant, dans l’après-coup de la parole qu’il a libérée, l’énigme de son impropre liberté. 

Cette liberté contraint qui parle et écrit à se retourner vers la toute proximité de l’origine vivante de sa parole inspirée, et ce par le détour de la parole singulière : ce qui, vécu comme un détour, est aussi bien un raccourci à travers le temps long de la parole historiquement datée : il faut parler sans attendre : énigme renouvelée de l’origine.

A beaucoup manque le sens de l’énigme. Parce qu’ils sont trop attachés à la lettre du Dit et négligent le sens du Dire.

Tout Dit, de tout temps, proféré en affrontant l’énigme de son origine, se sera construit dans l’après-coup d’une parole oublieuse du Dire.

Dans l’art vivant de notre temps, ce hiatus n’existe pas, et c’est proprement l’intolérable pour ceux et celles qui s’en tiennent à la parole proprement dite.

Une autre simplicité fleurit de nos jours : une parole entreprend, plurielle, dispersée, de dire le Dire : poésie de la poésie, musique mise en musique, urgence à dire, à chanter, à jouer, à improviser, à composer.

Dans cette aventure, la poésie a précédé la musique qui s’emploie, depuis au moins les Viennois, a rattrapé le temps perdu.

C’est chez Wagner que se fait jour la puissance énigmatique du Dire, mais encombrée encore par le fatras mythique que charrie ses œuvres dramatiques.

A cela s’ajoute, de nos jours, le ferment indistinct - d’une portée immense - que certains refusent de se taire, donnent la parole aux créateurs soucieux de dire le Dire en qui et par quoi ou en quoi et par qui une liberté s’exerce dans l’écoute respectueuse des autres libertés, qui, ayant quelque chose d’important, d’emportant voire d’importun à dire, ne se privent pas de le dire sans penser pour autant qu’elles épuisent ce chant des possibles qui étreint tous ceux et toutes celles qui, transis par la puissance énigmatique du Dire, en tendent la fleur d’énigme à qui veut bien la transplanter vivante dans le champ de son action sensible.

 

Les musiques actuelles ont un riche passé, actualisé par tout un ensemble mouvant de labels animés par quelques passionnés soucieux de rendre accessibles des œuvres passées inaperçues en leur temps.

Temps très proche, quelques décennies à peine.

Archéologues, érudits et techniciens, ils sont tout cela à la fois, pour notre plus grand bonheur dans ce monde voué à la grisaille, mais où la lumière qui emporte l’âme, devenue un luxe à la portée de tous ceux qui la désire, rayonne singulièrement.

Ces musiques sont actuelles parce que de notre temps, et parfaitement inactuelles en ce sens que, n’ayant pas été relayées au moment de leur sortie par les médias de masse, elles n’ont trouvé qu’un faible écho auprès du public qui, de fait, les ignore, et, pour ainsi dire, veut les ignorer.

Pour ignorer quelque chose tout à fait, il faut ignorer qu’on l’ignore, n’avoir, en d’autres termes, aucune idée qu’un existant s’est manifesté.

Les petits labels font en sorte que personne ne puisse tout à fait ignorer. Et c’est là leur grand mérite à l’heure d’Internet.

Le monde médiatique fait l’actualité, mais ce sont les œuvres, et elles seules, qui créent l’événement dans le domaine immense de l’art.

Tout se passe, dans les activités humaines, comme s’il fallait qu’un événement, une personnalité, une création adviennent deux fois : une fois en tant qu’organisme singulier rayonnant, une deuxième fois en tant qu’objet voué à la parole critique.

Pour la grande masse, ce qui n’est pas montré à la télévision, discuté en radio ou exhibé dans la presse people n’existe tout simplement pas.

Cette cécité n’est pas nouvelle : de tous temps, la masse des ignorants a été plus importante que les gens d’art, de lettres et de science, mais ce qui est inédit, dans l’histoire de l’humanité, c’est que des gens incultes, dénués de goût artistique et dépourvus de tout esprit de curiosité, se voient offrir une pléthore d’œuvres gentillettes, médiocres voire exécrables qui rapportent gros aux faiseurs complaisants.

Grâce à l’action opiniâtre et éclairée de petits labels, se constitue tout doucement un patrimoine d’un genre nouveau fait d’œuvres importantes, parfois géniales, que nous avons l’opportunité d’apprécier et d’aimer en toute liberté pour peu que nous allions vers elles.

Une injustice se trouve ainsi réparée : les acheteurs importent bien sûr en tant que clients qui font vivre un secteur économique - il faut faire connaître et vendre, c’est même chose - mais aussi en tant que personnes éclairées qui font honneur à des œuvres méconnues qui, grâce à l’action de petits labels, s’imposent durablement dans un paysage culturel en apparence mortel d’ennui, mais qui recèle en fait des trésors d’inventivité.

Poésie vivante et musiques actuelles - si éloignées toutes deux du tapage médiatique - ont ainsi en commun de s’adresser à ceux et celles qui désirent sortir des sentiers battus et des idées rebattues, joyeusement conscients qu’ils sont que des œuvres importantes ont vu le jour et rayonnent d’un éclat sans pareil.

A ce stade, distinguer le passé lointain du passé proche, le passé proche du présent dans lequel nous nous mouvons n’est plus de mise : toutes les œuvres de ces quarante dernières années sont disponibles pour ceux qui désirent les connaître.

Ces œuvres consacrent toutes le dépassement de la dualité art populaire/art savant. Ce qui n’est pas rien.

On vit une époque formidable sur le plan artistique, mais si peu le savent !

Honneur soit rendu à la communauté invisible des créateurs, des diffuseurs et des amateurs éclairés qui font vivre la beauté convulsive et protéiforme de notre temps !

 

Jean-Michel Guyot
16 octobre 2012

 

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