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De rêve en rêve…
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 Article publié le 6 janvier 2013.

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En pleine action, la part de rêve s’estompe : ne comptent que le but, le dessein qui soutient le but et l’enchaînement des actes qui portent l’action jusqu’à son terme. C’est sans fin, l’action, en cela, proche du rêve qu’elle ignore superbement.

Deux mondes s’ignorent en s’interpénétrant, mais c’est le monde du jour qui l’emporte en dignité : personne n’accepterait de penser sérieusement que les rêves nocturnes informent les actions du jour, et pourtant…

Une chose est sûre : les rêves, suaves ou cauchemardesques, banals ou exubérants, mettent en scène des pensées, des souvenirs, des impressions et des émotions à peine esquissées au cœur de l’action, oubliées, occultées aussitôt qu’entrevues pour les besoins de l’action qui ne tolère aucune surcharge : le monde de l’action n’aime pas la dispersion, l’association d’idées telle que la pratique le dormeur en plein rêve.

Des idées, des images, des mots forment une matière souterraine donc, mais souveraine, laissée en friche le jour, retravaillée durant la nuit qui porte conseil : les rêves, je le sens intimement, nous disent quelque chose de nous, de nous au milieu des autres en mélangeant tous les temps et tous les modes. Des mots appellent des images appelés par d’autres mots, des impressions fugaces, des objets entrevus, des bribes de conversation se fondent, se condensent pour former un rébus vivant, une bande son parcourue d’images, un film intérieur tout tourné vers le dehors que sont pour nous les autres qui nous obsèdent ou nous entravent, nous charment ou nous blessent…

La triade mots, idées, images dessine un espace nocturne qui porte le rêve à son comble : la mise en abyme du jour, de tout ce que charrie l’activité diurne, sa voix nocturne pour ainsi dire, celle que l’on néglige le jour, faute de temps, absorbés que nous sommes par les actions en cours, les soucis, les conflits de tous ordres, domestiques ou professionnels, intimes aussi…

Prendre le temps de penser à ses rêves n’est pas chose aisée, réclame une volonté et du temps : le plus souvent, nous avons au réveil un vif souvenir de ce qui vient de se dérouler sous nos yeux épouvantés ou enchantés, amusés ou dégoûtés et puis nous chassons bien vite les images, parce qu’il faut se lever, se laver, déjeuner et partir au travail pour vaquer.

La vacance du rêve exige le plein de l’action : l’action réussie, tout comme l’échec, recèlent en leur sein caché - pudeur de la vie face à elle-même, dans le dévoilement même, l’impudeur extrême du rêve qui désarticule le convenu pour exhiber les traces de désirs, les envies troublantes à faire battre le cœur à cent à l’heure - une réserve d’actes et de pensées qui cherchent à se frayer un chemin de lumière à travers l’obscur des jours et puis l’obscurité de la nuit.

Solidarité primordiale de l’humain, de tout l’humain dans cette réserve, cette pudeur qui informe l’action de qui sait écouter ses rêves, en se désolidarisant des images, belles ou laides, attirantes ou repoussantes, repoussantes parce qu’attirantes ou bien l’inverse…

La fascination du rêveur au moment où il rêve, son bonheur, son malheur, selon la tonalité du rêve et son contenu manifeste, la voilà qui fait place, pour qui consent à écouter ses rêves, à un espace sonore où les mots se lèvent en même temps que le rêveur dégrisé : il faut raconter son rêve, mettre des mots sur les trop belles images, et de mots en mots, d’association d’idées en association d’idées dérouler la trame du rêve, dépasser le drame qu’il est tout entier pour donner à entendre à qui veut l’entendre la plainte sourde, le conflit intérieur, la peur ancienne, le désir inassouvi.

On rêve pour trouver à qui parler, car enfin le rêve s’adresse à nous qui nous adressons aux autres par rêves interposés…

C’est toujours l’Autre qui porte la clé de la porte qui donne sur le pays des rêves, mais ce pays, il n’appartient à personne en propre, il est à tout le monde, sillonné qu’il est par quantité de figures réelles et imaginaires qui ont peuplé, qui peuplent encore l’espace sonore que crée tout dialogue, toute présence d’autrui dans nos parages.

Etrange expérience de la singularité qui se découvre toute tramée d’étrangers : ce sont les autres qui trament quelque chose dans nos rêves, et de cette trame qui tourne en drame dans le rêve, il faut se défaire en en parlant, en mettant en avant le non-dit de ce qui nous préoccupe en nous venant des autres dans le temps de l’action, du repos, de la vie domestique, l’espace par excellence où se rencontrent des figures amicales ou hostiles, tirées de la vie quotidienne en famille et au travail, des films et des émissions regardées ensemble, des conversations tristes ou gaies, allusives, pleines de sous-entendus ou profondes, jamais assez profondes, prenantes toujours, malgré la répugnance parfois qu’elles soulèvent en nous, en dépit aussi de l’attrait qu’elle suscite en nous, en nous rendant intéressant à nous-mêmes, aimables ou odieux.

Je connais des phrases assassines dites avec le sourire par des êtres charmants, vénéneux, à défaut d’être venimeux : ceux-là, dans les parages obscènes desquels il nous arrive de vivre en étouffant, savent y faire pour nous rendre le séjour agréable auprès d’eux.

Ceux-là, je le sais, instillent en nous des désirs troubles qui cheminent dans nos rêves, figures minuscules qui grouillent dans l’immense parole anonyme du murmure qu’est tout entier le rêve exposé à la parole du dehors, la parole étrangère asservissante.

La recherche du propre, dans la singularité du rêve, se poursuit là, dans des images extraordinairement dynamiques, terrifiantes parfois comme un essaim d’abeilles en furie qui se jettent sur nous ou un monceau de minuscules araignées cachées derrière un rideau que l’on ouvre d’un coup sec, pour découvrir ce qui se passe.

Faire taire le rêve que l’autre fait de nous dans nos propres rêves, tel est l’enjeu, en définitive, pour rejoindre la parole donnée, la parole libre de qui sait nous écouter.

Jean-Michel Guyot

 

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