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Goruriennes (Patrick Cintas)
C’est dans les vaisseaux du Voyage Infini qu’on se massacre le mieux

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 Article publié le 15 avril 2013.

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Comment peut-on être aussi con à cet âge où le cerveau est encore un cerveau et non pas cette bouillie de croyances et d’a priori qui reconnaît pas le bien quand c’est le moment de spéculer.

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Dans ce Monde, si tu gueules pas, c’est les problèmes qui deviennent des solutions. Mais on n’était plus dans le Monde. On le quittait. On avait fait le Pas Intermédiaire. Et il nous restait des heures et leur compte fatal. Momies, pédophilie constante et impunie, retour aux emmerdements de la vie ordinaire, le choix limitait les perspectives de bonheur. On sait qu’on va mourir : on sait pas quand : ni comment. Le parallèle était aussi une source d’angoisse. Mais j’aimais bien le Musée de l’Homme en un temps où on craignait pas de risquer l’intégrité de la Momie contre l’éducation de la curiosité. J’avais jamais fait d’mal à un gosse, sauf pour l’obliger à traverser dans les clous comme son papa, ce qui est considéré comme un acte de malfaisance uniquement en cas de guerre. Quant aux traces du bonheur dans l’assiette à peu près vide, j’en avais un peu sous les ongles, mais rien ne garantissait que c’était le chemin à suivre.

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Elle voulait tout savoir. Elles commencent toutes comme ça. Après, elles en savent trop. J’prévenais les garçons au cas où ils seraient destinés à se reproduire comme le prétendait le règlement intérieur.

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Je voyais la moitié de son visage parce qu’elle pouvait pas résister à l’envie de se laisser deviner. La moitié sauf l’œil correspondant à cette moitié. Pas trop n’en faut.

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Moi aussi j’étais né vieux, mais après quelques années d’un bonheur cisaillé par la peur de l’ennemi. On n’y peut rien. C’est le premier non-choix. L’embarras vécu avec des tripes d’enfant. La Nation avait des ennemis. J’ai longtemps couché dans un drapeau. J’avais le sperme patriotique avant même d’avoir la faculté de le répandre autour de moi.

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J’écoutais pas moi non plus quand il m’arrivait de partager mon sperme avec quelqu’un. J’m’écoutais même pas. Mais j’entendais. C’était comme des voix à l’intérieur de mon corps en transe. Elles me conseillaient la prudence. Alors j’écoutais pas.

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On m’avait donné ce matériel à l’époque de ma gloire médiatique, mais je me la fourrais dans le cul pour pas être emmerdé par la technologie chinoise. La hiérarchie avait droit au dernier cri étasunien. Mais j’étais pas hiérarchisé.

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Quand je pense que j’aurais pu être fonctionnaire si j’avais écouté à l’école ! La sécurité de l’emploi, ça fixe le destin. Paraît qu’ils payent les funérailles et qu’ils récompensent la famille.

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La danse des masques ! J’avais l’air d’un pitre dans cette assemblée de connaisseurs. Ils vissèrent le masque sur mon visage. Je pouvais me voir. Je dansais et ils jetaient des pièces. Je me souvenais du plus mauvais moment de ma vie. C’était un moment d’humiliation. Je dansais avec les masques. Ils savaient ça aussi !

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C’était un lieu conçu pour que les choses fussent à leur place. Je voyais bien l’architecture maintenant : le salon avec les parents : les vitrines avec les momies et le seau de natron : le poste de pilotage et Larra aux commandes. La fenêtre était un détail, comme la cabine et son habitant démesuré qu’on renvoyait chez lui parce qu’il ne servait plus à rien ou parce que c’était un émissaire porteur d’un message de paix.

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On traversait des zones limites. Tous les combats me précédaient. Je n’avais pas l’intention de lutter. J’étais envahi par la peur et je n’arrivais pas à les haïr.

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« Ils » étaient chaleureux. J’peux pas dire le contraire. Ils s’appliquaient. Ils étaient les derniers hommes que je côtoyais. J’admirais leur lenteur. À un moment précis de ce momon final, je serais expédié ad patres ou ad infinito, je savais pas. L’un ou l’autre, sans doute possible.

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On avait tellement l’habitude de cette désorientation qu’on ne pouvait plus se repérer qu’à la Terre quand les émanations ne nous empêchaient pas de la distinguer des autres lieux sidéraux en instance de collision.

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Le type qui couchait dans ma cabine se branchait tous les jours aux nouvelles du Monde. Il avait fini par me demander ce que je pensais de la guerre. Lui, il était contre. Moi, j’étais rien.

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Il portait les traces de sa souffrance et de sa colère, comme un chien battu qu’a jamais connu que la chaîne et les ennemis du chien. Mais en regardant de plus près, je me disais que c’était pas un Blanc. Il était pas en couleur non plus. L’encouleur, c’était moi.

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Elle choisissait un jour de pluie. J’ai toujours aimé ces visages mouillés. Ça rend le regard indécis, un peu comme si la chance allait sourire au pauvre type qui est venu en armes dans un pays qui a choisi le combat.

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On m’injecta ce délicieux produit de l’imagination. Je pouvais même partir sans douleur. Mais l’angoisse se lisait sur mon visage. Je compris que c’était le spectacle que tout le monde s’appliquait à donner à la femme dont la langue se cicatrisait.

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Comment le savait-elle ? Quel mort lui avait parlé ? Dans l’ombre que la vigne projetait sur nous, elle avait l’air plus jeune, l’âge de ses yeux sans doute.

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Ils fondaient notre métal détruit et usinaient les armes qui nous tuaient, non pas dans des combats où l’individu défend ses chances de survie, mais dans des embuscades où nous mourions sans bous battre.

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Je voulais voir comment ça finissait. Il n’y aurait pas de combat. Mes hommes tomberaient des chaises ou des bras des vieilles qui jouaient à être jeunes. Elles avaient conservé une telle vigueur que la jeunesse était facile pour elles. Mes hommes avaient fini par y croire. Que se passait-il en réalité ?

*

Vous êtes des hommes quand ça va mal. Quand ça va bien aussi.

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La douleur allait m’inspirer un délire à la hauteur de mes ambitions. Ça serait à la fois comique et désespérant.

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Mais l’homme qui meurt ne voit plus le Monde tel qu’il est. Il n’est plus attiré par la manière dont le Monde se bouge pour ne pas rester tranquille. Il n’attend plus. Il est résigné et rien n’arrivera dont il pourra témoigner.

*

Ya rien d’plus angoissant que cette odeur qui vous appartient uniquement parce qu’elle vous détruit.

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C’est dans les vaisseaux du Voyage Infini qu’on se massacre le mieux.

 

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