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 Article publié le 21 octobre 2013.

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Le méta-discours sur la poésie, ainsi, relèverait d’une poésie épuisée, partie à la recherche de ses formes et de ses rythmes, de ses élans et de son pouvoir évocatoire - la fameuse sorcellerie évocatoire tellement plus séduisante que la fade magie, fût-elle noire - à une époque qui feint d’ignorer l’existence de la poésie au profit exclusif de cet art majoré qu’est ce prolétaire de roman.

L’équivalence roman = réel entretient toutes les équivoques quant au statut esthétique - je ne dis pas la valeur - du réalisme qui n’est qu’une option devenue dominante, hégémonique, tyrannique même.

Comme si nous avions épuisé les possibles que recèle le merveilleux relégué dans le monde de l’enfance.

Les arcanes d’une pensée qui fait corps avec le corps du texte conçu comme la projection dynamique du corps propre, voilà qui est devenu obsolète. L’on comprend pourquoi alors une littérature psychologique de bas étage prospère, envahissant les étals des libraires et vendue comme des livres de cuisine.

Pragmatisme et réalisme donc : on veut savoir et on veut des résultats. Le roman se lit comme un grand reportage, les photos en moins, celles qu’André Breton insérait dans ses récits pour faire l’économie de fastidieuses descriptions.

Jeune, je faisais cette expérience : plus j’avançais dans une description minutieuse d’un objet ou d’un lieu, moins je les voyais. Le roman dans son ensemble me fait le même effet : je n’y vois goutte, alors qu’une simple phrase d’André du Bouchet soulève l’interrogation multiple qui mêle odeurs et vision, mouvements et passion, sons et lumière, la dite phrase ne traduisant rien à propos de rien, la dite phrase n’étant aucunement l’équivalent verbal d’un existant aussi massif qu’une montagne, aussi ténu qu’un fétu de paille, aussi têtue qu’une compagne.

La poésie se pratique à l’écart des grands courants contemporains que sont la publicité, le roman, le reportage et le récit d’expérience à teneur psychologique. Elle ignore ces partages, n’en partages aucun. Elle réserve ses insultes à l’ensemble du réel contemporain réduit à ça : des vies morcelées à qui ont propose des solutions.

La poésie, elle, sait qu’on ne révolutionne pas l’existence, qu’en revanche on change de vie comme on change de chemise pourvu que l’on continue à se fournir au même bazar.

L’heure est à la méfiance à l’égard des élites.

Mais que cache ce pluriel indécent ? Veut-on parler des intellectuels, universitaires en tête, des romanciers à succès ou bien encore des sommités de la science pillée-éparpillée ? L’on parle plus sûrement de la classe politique et de ses courtisans, au nombre desquels l’on compte quelques francs poètes stipendiés.

Le mécénat a de beau jour devant lui. C’est un blason à lui tout seul, et à l’heure des restrictions budgétaires qui touche « la culture », c’est la porte ouverte au mécénat d’industrie fort prisé au pays de l’oncle Sam.

Pour ma part, j’entretiens une méfiance viscérale à l’endroit du soi-disant bon peuple. Je ne fais confiance qu’aux avant-gardes. Je concilie ainsi un certain conservatisme, si par là il faut entendre de manière restrictive une méfiance qui ne se dément pas à l’égard de la vox populi, avec l’aventure de l’esprit au sens le plus large de ce terme sans terme qui exclut tout aventurisme révolutionnaire laissé à la discrétion d’une avant-garde partisane soucieuse avant tout de ses intérêts.

A la totalité, j’oppose l’infini qui peut toucher les plus humbles d’entre nous, perspective qui à son tour exclut tout élitisme béat, auto-entretenu et stérile qui ne sert qu’à maintenir des privilèges et des marques de distinction.

Entre nous soit dit : voilà ce que la poésie dit à sa manière non exclusive. Elle ne dessine aucun cercle, ne s’enferme dans aucun club, lorsqu’elle décide d’errer de personne à personne dans sa quête d’impersonnalité.

Le consentement au réel est à ce prix. C’est l’absolu - l’absolu sans relâche - qui est dénié : refus sans appel de ce qui, clos sur soi-même, prétend ne pas avoir maille à partir avec l’autre.

Tutoyer les étoiles a quelque chose de pathétique.

Ce serait comme taper sur l’épaule du grand homme qui apporte la bonne parole. Laissons à la providence - aux maladresses de la providence - le soin de vider de tout contenu la parole vive.

Une franche poignée de mains vaut mieux qu’un long discours, à condition de ne jamais serrer la main d’un homme politique, serment élargi en quelque sorte, hérité de celui que se firent les membres d’Acéphale qui se promirent, à la suite de Nietzsche, de ne jamais serrer l’a main d’un antisémite.

Nous ne sommes pas de ce bord-là. Nous ne sommes à vrai dire d’aucun bord. Il est pourtant aisé de nous accoster.

D’un abord facile, simples et plaisants, nous ne cachons pas notre jeu. C’en est fini de l’hermétisme.

Place à l’herméneutique !

A ses arcanes, ses impasses et ses panoramas saisissants.

La simplicité joueuse d’une cruche bleue, la complexité galopante d’un machine, la fausse lumière d’une plage, les gifles du vent, tout nous va, tout nous oppose au vide contemporain.

Le méta-discours, de bout en bout aporétique, nous l’ignorons aussi sûrement que son pendant réaliste.

Nous ne confierons jamais notre linge à sécher à ces deux fils parallèles qui pendent fièrement dans le jardin aux illusions que fréquentent assidûment nos contemporains les plus aisés.

Nous confions notre garde-robe au vent de l’éventuel, à l’éventail sans bornes des possibles pourvu qu’ils soient bien assortis, aux armoires sans fond qui font chambres d’écho à ce qui vous chante, aux tiroirs-miroirs qui nous sourient.

Il n’est pas jusqu’à la nudité d’un cœur réjoui uni à la verdeur insolente de corps multiples qui ne nous parle une langue inconnue.

Jean-Michel Guyot

14 août 2013

 

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