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L’état critique
Auteur, auteur, que me chantes-tu là ?

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 Article publié le 2 novembre 2008.

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Il n’est pas de question plus âprement discutée, à l’heure actuelle, pas de question qui soulève plus de désaccord et de mésentente, que la question cruciale de l’auteur et de sa réalité institutionnelle d’abord, plus largement sociale dans un second temps : l’autorat, en somme.

Les interlocuteurs présumés sont si éloignés les uns des autres qu’ils ne peuvent concrètement pas s’entendre : le législateur légifère ; l’auteur n’autorise rien du tout, il écrit ; le lecteur ne se pose même pas la question de l’auteur mais cherche "ce qu’il a voulu dire" ; l’éditeur râle. L’imprimeur ne se sent pas concerné et le libraire se moque bien de l’autorat : il s’inquiète pour son avenir. Personne ne pourra aider nos aimables protagonistes en quête d’une fixation de réalité !

L’approche sérielle pourrait aider celui qui, revenu d’investigations plus poussées, s’est aventuré dans "l’espace littéraire". A qui Barthes a appris que l’auteur est mort. Mais qui a été rassuré en 1982 d’apprendre que, si l’auteur n’était plus qu’un fantome (plus personne ne se souciera plus des repas pris par Chateaubriand quand il écrivait ses mémoires), le "sujet" devait noblement prendre sa place. Voilà qui a justifié toute une phase de poésie lyrique, dont on est amené à s’éloigner aujourd’hui.

Des "théories du sujet", on en a un paquet aujourd’hui. Vraiment, cette chose a semblé devenir la seule valable, pour pas mal de littérateurs. Mais le sujet, c’est quoi ? Une "activité", explique Meschonnic. Fort bien : ce n’est pas moi ce qui écrit, c’est mon activité. Le législateur s’impatiente : il doit pondre une loi sur le droit d’auteur et sur la responsabilité autorale, on le houspille de toutes parts (auteurs, lecteurs, éditeurs et tout ce qui touche au livre, même pour caler l’armoire) et un lecteur de Meschonnic lui explique que ces velléités ne tiennent pas debout. C’est dans et par le langage que la poétique fait du rythme l’organisation du discours en tant qu’opérateur de la subjectivité qui s’institue (comme sujet) à travers une sémantique sans sémiotique qu’engendre l’organisation sérielle des consonnes plus particulièrement.

- Uh, uh. Le législateur blème tente de voir ce qui fait loi dans cette proposition, au demeurant crédible puisqu’on la rencontre même dans des manuels scolaires !

Pendant ce temps, à la SGDL, on ne parle pas tellement du "sujet du discours", même s’inventant au quotidien, comme cela se fait. Le problème se formule à travers la loi. L’auteur y est décrit comme un individu, non comme une activité. Il possède des droits sur ces oeuvres, une série de droits reconnus dans leur immatérialité mais pensés dans une métaphore matérielle constante ! La loi est matérielle. Mais à travers la question autorale, elle se donne la possibilité de matérialiser une réalité intangible : la pensée.

D’emblée, la loi se heurte à sa propre fiction : il est plus aisé d’approprier la terre, en effet, que la parole. L’absurdité est égale mais la pratique a confirmé la possession terrestre. La possession intellectuelle a posé, quant à elle, des problèmes toujours plus insolubles.

Jusqu’ici le droit autoral se déclinait en deux grandes séries : l’une reposant sur l’élément physique ("La loi récompense le contrefacteur", indiquait un faussaire dans Lucky Luke) ; l’autre sur la dimension intellectuelle : c’est le plagiat. Or, le plagiat était déjà un trou noir juridique. Hormis la répétition littérale de passages complets (le genre d’emprunts qu’aime à évoquer le Canard enchaîné), le plagiat se noie dans la réalité de l’intertexte, qui nourrit de façon constante tous les genres d’écriture, du journalisme aux poétiques d’avant-garde.

Le législateur est accablé. On lui a soumis le dossier qui oppose deux romancières en vogue, autour d’une accusation de "plagiat psychique". L’une aurait "emprunté" la situation morale de l’autre. Certes, on ne lui a pas encore demandé de produire une loi sur le plagiat psychique mais il ne doute pas que cette première perche n’était pas hasardeuse. Ce droit moral si volatile paraît plus sûr, aujourd’hui que la barrière physique du support se désagrège.

La réalité du réseau, pensée par Barthes peut-être avec la plus haute intuition, le plus haut degré de conscience, impose une redistribution des cartes, certes. Mais pour que l’on avance sur un terrain si épineux il faudrait que les protagonistes se prennent par la main et sortent de chez eux, ce qu’ils ne font pas. Ce n’est pas tellement la "défense" des intérêts catégoriels des auteurs (et de tous ceux qui sont impliqués dans le fait littéraire) qui est en jeu. La question est plus vaste, plus complexe, plus générale et moins immédiatement sensible. Mais elle devrait obliger chacun des acteurs à revoir leurs discours.

Il est à peine pensable qu’on poursuive d’affirmer, comme le fait la littérature juridique, que l’oeuvre est le reflet de la personnalité de son auteur. Ce propos est inutile et il est erroné. Il faudrait simplement exprimer que l’auteur est moralement responsable de son oeuvre. C’est ce que font les bibliothécaires qui distinguent "responsabilité individuelle" et "responsabilité collective". Ce simple fait devrait interdire le recours à la psychologie.

Tout ce qui concerne le droit moral, précisément et l’entrée dans le domaine public, plus particulièrement, doit faire l’objet d’une approche scientifique et s’appuyer sur le témoignage d’anthropologues, de linguistes, pourquoi pas de littérateurs ? Tout cela doit être examiné d’un point de vue technique. Le texte à l’heure de l’internet n’est plus ce qu’il fut. La parole reste ce qu’elle a toujours été. Les modalités de sa transmission en sont à leur quantième bouleversement.

La "théorie du sujet" pourrait proposer un point d’ancrage sérieux, si elle se donnait les moyens de penser le monde hors de sa propre sphère discursive, ce qui est peu évident à l’heure qu’il est. Mais l’enjeu de penser l’auteur dans sa réalité anthropologique constante et mutative est sans doute plus crucial qu’il n’y paraît, non pas tant pour que chacun se sente bien dans sa niche mais pour permettre à la création artistique, littéraire, musicale et culturelle d’éclore enfin, dans un espace renouvelé.

 

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