Retour à la RALM Revue d'Art et de Littérature, Musique - Espaces d'auteurs [Forum] [Contact e-mail]
Navigation
L’état critique
La sémiotique du poème (3)

[E-mail]
 Article publié le 4 janvier 2009.

oOo

Pour Philippe Paini, « le signe est effectivement le discontinu dans le langage ». La proposition n’a rien d’original mais elle est significative d’une démarche à tout le moins réductive. L’opération de réduction passe d’ailleurs par un emploi du verbe « être » qui instaure des séries de rapports mous, équivalences qui ne sont en réalité rien que de vagues analogies. Cette proposition, prise pour elle-même, pourrait avoir l’allure d’un énoncé scientidique. Après tout, nous pouvons fort bien admettre qu’il y ait « le continu » qui serait manifesté par « le rythme » et de l’autre « le signe » qui produirait du « discontinu ». ce faisant, nous devons nous rendre compte que nous anéantissons toute la formalisation de Benveniste qui aboutit à la définition des « sémantiques sans sémiotique » comme des « sémiotiques sans sémantique ». Nous devons garder à l’esprit que ces notions, à redéfinir de façon si grossière le signe, ne sont plus que des débris d’un discours oublié. Nous devons tourner le dos à la frange la plus productive de la linguistique, celle qui a montré que la langue était subordonnée au discours car ces auteurs (Calvet ou Derycke) n’en maintiennent pas moins une « fonction langue » dans le discours. Dès lors, le mode sémiotique n’apparaît pas moins nécessaire que le mode sémantique. On peut avoir de l’appétence pour le continu ou plus de sympathie pour le discontinu, de telles inclinations n’entrent pas en ligne de compte. Les deux modalités du signe sont également nécessaires à l’existence du discours.

Le mode sémiotique, nous en voyons l’effet au point le plus mécanique de la langue en usage (la reconnaissance phrastique, phonologique, lexicale) mais aussi au plan le plus général, en tant qu’un processus que nous distinguerons comme « acceptation ». La reconnaissance seule, en effet, nous la considérons comme un processus mécanique : la chose existe ou non. La reconnaissance n’implique pas l’acceptation sy:mbolique de la chose considérée, dans un univers sémantique donné. L’acceptation est, dans le discours, ce qui va situer une unité donnée du côté du locuteur, ou au contraire de « l’autre côté », dans le rejet. Et comme nous sommes dans le sémantique, nous devons admettre les mille gradations possibles du rejet et de l’acceptation : « nos poganis » chez les princes de Kiev montre un état d’acceptation de l’entité rejetée, même, au sein de leur univers discursif. Toute la difficulté d’une « linguistique du discours » est sans doute dans la pluralité indéfinie des systèmes oppositionnels mis en branle pour marquer le degré d’adhésion du locuteur aux réalités qu’il exprimer. En réalité, nous devrions peut-être moins envisager d’établir le catalogue de ces subtilités qu’examiner le processus qui va, au sein d’un discours, permettre l’existence d’une entité et l’interdire à une autre. Je dois m’excuser pour ce néologisme d’emploi mais il me semble essentiel de considérer cette redoutable fonction du dsicours qui est d’exister et d’inexister les êtres et les choses qu’il représente.

Ainsi Philippe Paini consent-il à « penser le discontinu ». Hélas ! C’est aussitôt pour le rejeter dans un rapport non de recherche mais de pouvoir, par un raccourci qui présuppose toute la littérature meschonnicienne acquise :

La poétique critique le primat du signe, le primat du discontinu du langage qu’est le signe, dans la représentation du langage. Il s’agit d’opposer à cette représentation au pouvoir, et qui s’impose à partir de celle du langage à tout l’anthropologique (le dualisme comme « structure anthropologique fondamentale »), une autre représentation du langage où le primat est donné au continu qu’il y a dans le langage et qu’Henri Meschonnic a appelé le rythme. Penser le discontinu, mais c’est justement ce à quoi travaille la poétique, quand d’autres le posent en axiome intouchable impensé (le triple pléonasme ici parce qu’il y a de l’idolâtrie dans le Signisme). Pensez le discontinu, avant qu’il ne vous pense tout entier…

Aussi bien il est nécessaire d’envisager la langue dans sa dimension politique, autant parler du signe comme d’une « représentation au pouvoir » a quelque chose de déplacé et de grotesque dans son rapport au politique. Qu’apprend-on dans ce paragraphe, quant au signe ? Qu’il est le discontinu, qu’il est au pouvoir et qu’on lui oppose le rythme, qu’il donne lieu à une doctrine que M. Paini appelle le « signisme », enfin : qu’il est dangereux- « Pensez le discontinu, avant qu’il ne vous pense tout entier ». Je crains de manuqer d’humour tant cette proposition me navre. Voilà ce qu’on est capable de penser, à l’orée de l’an 2009, du signe linguistique, de la problématique du continu et du discontinu ». Penser le discontinu, c’est penser l’ennemi, rien d’autre. Voilà encore ce qu’on fait de la question du dualisme (tandis que ne se dessine pas l’invisible frontière entre ses oppositions, pourtant peu nuancées, et le binarisme du signe). J’attends la démonstration.

Parler de « structure anthropologique fondamentale » soulève de sérieuses questions, je ne serai pas le dernier à en convenir. Je sais que certains anthropologues parlent de « quasi universaux » tant il est peu de faits dont on soit peu sûr de garantir le caractère universel. Mais je proposerais à M. Paini de penser de façon méticuleuse et détaillée les termes d’une anthropologie dénuée de structures binaires. Vous retirerez le mot, vous n’opposerez pas moins terme à terme, comme chez Benveniste je s’oppose à tu dans un rapport décrit comme universel, et je et tu ensemble s’opposent à il. Toute la théorie du rythme repose sur un universalisme qui est axiomatique lui-même (mais axiomatique n’est pas synonyme d’impensé, que je sache). C’est pourquoi je propose, pour ma part, de porter un regard plus appuyé à l’organisation phonologique dans ses deux modes d’existence : l’opposition et la série, l’une étant la condition de l’autre.

Ce n’est pas le mot « structure » qui dicte sa loi : ce sont des discours taxonomistes qui ont imposé leurs schémas au structuralisme des années soixante. Et ils ne l’ont pas fait, d’ailleurs, sans d’importantes découvertes. On peut saluer Genette et Barthes autant que Starobinsky ou Richard, pour rester au domaine français. Leurs lectures, certes, demandent à être pondérées, affinées, rectifiées sur certains points. Mais il faudrait d’abord prendre le temps de goûter les riches moments de connaissance de « la chose littéraire (Sainte-Beuve) avant de jeter au ban les volumes complets de ces auteurs. Le mot « structure » a sa place dans une théorie du langage ou de la littérature car il désigne l’élément stable et enveloppant d’un système donné. Certaines formulations peuvent atteindre au niveau de structures : « il y a... comme il y a... » dans la théorie du rythme, par exemple. Philippe Paini estime : « Il y a une littérature de cuisine, comme on dit qu’il y a une littérature de gare » (proposition que je ne saurais discuter en son fond). Le mannequin est réccurrent chez Meschonnic, par exemple : « Et comme il y a toujours du provisoire dans la pensée, il ya la solitude, ou le provisoire de la solitude » (Spinoza, poème de la pensée)ou encore : « Parce qu’il ya, depuis longtemps, un académisme de la transgression comme il y a un académisme de la tradition » (Célébration de la poésie). Encore un : « Comme il y a un rejet de Hegel dans l’hégélianisme de Lacan, il ya un prétendu rejet de Heidegger » (Le signe et le poème). Il est certain qu’une structure exerce toujours une certaine fonction rythmique.

Dans la série des « il y a », on a également « il y a à... » : « il y a à entendre que le débat ne « bride » pas le « sens des mots », m’enjoint M. Paini. J’entends en écho son « accompagnateur » : « Comme il ya à entendre le latin de Spinoza, on ne peut pas éluder la question de sa prononciation » (Spinoza...). La liste des emprunts directs – et structurels – serait fastidieuse. J’en ai déjà évoqué des aspects dans mes chroniques précédentes. Il nous faut bien admettre que nous sommes au seuil d’une sémiotique. C’est-à-dire d’une de ces instances de discours qui ne sont pas la langue mais qui consistuent en son sein des systèmes clos, spécialisés, décrivant un univers complet. Un ordre où ont été fixés, dans un rapport les uns aux autres, les mots, mais pas seulement eux : une phraséologie toute entière se rue dans les mots de Philippe Paini, alors qu’il y aurait à distinguer, chez le théoricien du rythme, ce qui relève de son énonciation personnelle et lui appartient définitivement en propre de ce qui doit se poursuivre, se prolonger, dans une réénonciation qui lui donne une existence vitale pour nous, aujourd’hui.

La phase rituelle du meurtre – liquidation de la thèse antérieure – est une tradtion dans la critique française. On en trouve de belles représentations chez Sainte-Beuve, par exemple. On en retrouve l’image chez Barthes, quand il écrit Sur Racine. Cette disposition est également manifeste dans des traditions voisines, en philosophie politique quand Marx règle ses comptes à Proudhon (Misère de la philosophie, qui répond à Philosophie de la misère). La connaissance a sans doute besoin de victimes sacrificielles. Par contre, les modalités d’énonciation que met en oeuvre Meschonnic sont toutes particulières à leur auteur : les réénoncer terme à terme est mortifère et caricatural : « il y a à », « il ne s’agit pas de... mais de... », « Parce que... », « Et comme... » Reprendre telles quelles ces formulations revient à les fixer. Quel besoin de les fixer ? Je postulerais, ici, la réduction à des signaux. Des éléments de pure reconnaissance, qui n’ont parfois aucune autre nécessité. Meschonnic s’en est fait une ponctuation. On étudiera avec profit les mille variations qu’il donne de ces patrons rythmiques. Mais que ses élèves soient inaptes à s’émanciper du dispositif mis en place par le maître pose un réel problème de transmission. Si le rythme est l’infini des discours, en effet, on conçoit mal qu’il tolère de telles fixations.

Le discours manifeste son adhésion et son rejet envers des sphères discursives dont il est traversé. Nous voyons, dans la réponse que m’a faite Philippe Paini, l’adhésion profonde et inébranlable au système de M. Meschonnic. Nous le voyons également rejeter une réalité à laquelle il m’assimile visiblement : « la série ». Cette situation du signifiant « série » nous permettra d’envisager la façon dont un discours inexiste pas seulement une chose ou un être, en l’occurrence, mais plutôt un thème – la série, le sérialisme - et, à travers ce thème, un discours (le mien, en l’occurrence). Je suis clairement identifié par M. Paini comme un sérialiste : « En bon sérialiste, il comprendra que la vie exige parfois de sérier ses priorités. » La chose est dite avec humour. Le jeu sur le mot « série » est constant, sans qu’on sache ce qui est en cause à aucun moment :

La recherche des sémantiques sérielles (vous proclamez dans « Rutmocritique », 17 octobre 2008 : http://www.lechasseurabstrait.com/infos/?paged=2 : « ce qu’il [Meschonnic] appelle « sémantique sérielle » n’est « ni fait ni à faire », mais pourquoi ne pas tenter de le démontrer par un peu de lecture, de critique ?) propres à chaque écriture n’a jamais proposé de produire de la littérature en série. A la chaîne.

Il faut supposer que cette production de « la littérature en série » m’est attribuée, quoique cet objectif ne corresponde en rien à ce que je dis de la série, qui n’est il est vrai pas l’objet de la réponse de M. Paini. Il est convaincu que je suis attaché à une notion industrielle de la série puisqu’il me donne cet excellent conseil en guise de conclusion :

Soyez poète à vos heures. Celles du rythme ne se comptent pas, mais elles font le quotidien du poème, sa « vie active », plutôt qu’un produit de série avec toutes les options du Signe pour un plus grand confort.

Il m’importe moins de corriger cette vue limitative que de considérer l’opération de réduction elle-même. D’une recherche à peu près identifiée par mon contradicteur, émerge l’image – inféodée au « Signe » - d’une série exclusivement mue par sa dimension industrielle. Cette description sommaire se moque bien de correspondre à une quelconque réalité : elle est de nature idéologique et relève de la plus basse rhétorique, celle qui prétend convaincre en « mettant les rieurs de son côté ». Car ce qui caractérise les trois-quatre occurrences de « série » et de ses dérivés dans la réponse de Philippe Paini, c’est l’humour ! D’emblée, le jeu de mots : « sérialiste... sérier ses priorités ». On pourrait supposer que sa réfutation pourrait précisément s’ancrer dans ce rapport à la série qui, apparemment, surdétermine ma lecture de Meschonnic, de la littérature et du monde. Mais non : on en reste au plan de la plaisanterie, jouant avec des représentations inspirées par le quotidien des objets de fabrication sérielles.

Il suffit à Philippe Paini d’établir cette assimilation pour définir un « triangle d’or » où la série conduit à la société industrielle par le biais... du « signisme ». Là encore, il y a sans doute un jeu de mots à entendre. Mais surtout, cette catégorie plus générale est ce qui vient expliquer mon so-called sérialisme. Série x signe = industrie. Voilà l’équation qui fonde la réfutation de M. Paini et qui lui permet, précisément, de ne jamais parler de la série, de rester muet sur le rapport à la série chez Henri Meschonnic, d’en rester à des remarques d’une généralité sans exemple quand les questions se posent précisément et demandent à être garanties par une démarche rigoureuse. Nulle part nous ne trouverons une démonstration éclatante de la « recherche des sémantiques sérielles » mais seulement leur affirmation. On n’a pas proposé d’aépproche plus sérieuse que celle de Lotman des questions de phonologie du poème et, au contraire, on habille l’asystématisme des lectures d’une idéologie qui ne parvient plus à poser que ses « pour » et ses « contre », sans construire.

La langue a été destituée. Le fait est historique. Depuis Benveniste, depuis Saussure même, on ne pense plus la langue comme préexistant au discours. Dans une version plus radicale, cela donne : « La langue n’existe pas ». Or, nous voyons bel et bien la langue exister – comme représentation. Et nous concevons le caractère nécessaire de cette représentation car elle fonde la communication. « Si je parle, c’est pour qu’on me comprenne », disait peu ou prou Jakobson. Et si cette fonction de communication n’épuise pas le fonctionnement du langage, elle n’est pas moins l’outil premier de la construction d’un « nous ». Et ce « nous » n’est pas utopique. Il n’a rien d’angélique. Il conditionne l’intersubjectivité comme il coordonne la guerre. Ce qu’on appelle « sujet » est une réalité mouvante qui non seulement décrit le discours d’un devenu discours de tous, mais aussi permet d’observer la constitution de « sociétés de discours » plus ou moins importantes, structurées ou diffuses, qui inscrivent leur « autre » dans le creux, le négatif. Au sein de ces sociétés, le mécanisme de la reconnaissance et le processus de l’acceptation et du rejet sont à l’oeuvre sur un modèle qui découle de la langue, opérateur de communication du discours.

 

Un commentaire, une critique...?
modération a priori

Ce forum est modéré a priori : votre contribution n’apparaîtra qu’après avoir été validée par un administrateur du site.

Qui êtes-vous ?
Votre message

Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides. Servez-vous de la barre d'outils ci-dessous pour la mise en forme.

Ajouter un document

 

www.patrickcintas.fr

Nouveau - La Trilogie de l'Oge - in progress >>

 

Retour à la RALM Revue d'Art et de Littérature, Musique - Espaces d'auteurs [Contact e-mail]
2004/2024 Revue d'art et de littérature, musique

publiée par Patrick Cintas - pcintas@ral-m.com - 06 62 37 88 76

Copyrights: - Le site: © Patrick CINTAS (webmaster). - Textes, images, musiques: © Les auteurs

 

- Dépôt légal: ISSN 2274-0457 -

- Hébergement: infomaniak.ch -