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Autres essais de Patrick CINTAS
Un aléa d’îles
à propos de Robet VITTON

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 Article publié le 8 février 2006.

oOo

ROBERT VITTON, POÈTE
Évidemment, la jeunesse s’est éloignée à jamais. Et quand il en reste quelque chose, c’est de la littérature forcément. Mieux, c’est de la poésie quelquefois. Robert Vitton nous a fait don de cette rétrospective. Un comptoir, en Suisse. Un zinc, chez Vitton.
Un aléa d’îles
par Patrick CINTAS

Le vers-librisme a vécu. Place à l’exigence de la rime et de la strophe. Place aussi au terreau de la langue, je veux dire la parole laissée à ceux qui en parlent tous les jours comme si de rien n’était. Robert Vitton connaît tous ces métiers. Ses personnages en témoignent et la langue qu’il leur renvoie est parfaitement poétique.

Plus de serments sous les tonnelles
Mon prince froide est la vêprée
Où s’assoupissent les cyprès
Figés comme des sentinelles
O mes cyprès par les hivers
Soyez de mon coeur le couvert

Les cyprès
La Gueuse parfumée
.

 On ne peut pas en dire autant des chansonniers en goguette sur la valse du showbiz et de ses tentacules radiophoniques, télévisuels, livresques même et discographiques. Leur chanson ne vient pas d’un endroit précis de leur expérience de la vie. Ils font entrer la gigue dans le carcan des modes, quitte à adapter l’ancien à des rythmes soi-disant nouveaux et l’étranger à la soif et aux hâtes du moment. On ne rencontre pas leurs personnages dans la rue ou sur les chemins qui mènent à Rome, mais dans un compendium dont le ressassement est paraît-il une garantie de succès. Les lire revient à les réduire à la poussière qu’ils sont :

 Ce n’est pas quand on jette quelque chose. Non, on ne regarde pas vraiment, alors - on s’occupe juste de savoir si la poubelle est plus ou moins pleine. Mais quand elle commence à déborder, qu’il faut se résoudre à extraire le sac, juste avant de le fermer avec un petit ruban de plastique translucide, on jette un bref coup d’oeil à ce trésor composite. Etc.

Philippe Delerm
Ce soir je sors la poubelle
La sieste assassinée.

À la poubelle. Mais Robert Vitton ne s’y arrête pas. Entre l’exigence et le démotique quelquefois le plus cru, il crée un genre qui, n’appartenant qu’à lui, le définit comme poète, et poète important, c’est-à-dire lisible au-delà de l’imposture des religions littéraires qui, il le sait bien, comme toutes les religions, prêtent plutôt à rire qu’à se concentrer vraiment sur le sens à trouver de l’existence.

Ce qui est donné n’intervient pas ici. La rime pend comme les objets indéfinissables d’un mobile de Calder. Le support est reconnaissable, de Mathurin Régnier à Paul Verlaine, et de Jean Richepin à Léo Ferré. J’en oublie forcément. C’est qu’il y a là-dessous, je veux dire sous les mots que la parole gratte avec la langue, un grouillement littéraire qui ne veut pas se limiter, qui ne cherche pas à borner ses découvertes par de la théorie.

Ma galère... Dis, Démosthène, tu la vois ma galère ? Accoste Ulysse ! Lève-moi ce coton des oreilles et ois ton second. C’est pas du coton, c’est de l’étoupe. Lève-moi cette étoupe... C’est pas de l’étoupe, c’est de l’émeri.

La cloche
Le zinc.

Il me vient à l’esprit que naguère, une géographe parée de songes universitaires, qui sont quelquefois prémonitoires, m’a prévenu de l’importance de la théorie en matière de littérature. Il me semble lui avoir opposé, peut-être par pure méchanceté, le voyage d’Iben Batuta et j’ai toujours l’impression qu’elle n’a pas compris le message.

Les théories ne bâtissent pas. Elles fondent. Or, le poète Vitton voyage comme le vieux géographe arabe. Sans Dieu, me semble-t-il, ou cela va de soi. Le fond d’anarchisme qui traverse cette oeuvre doit autant aux carottages de Léo Ferré, pratiqués dans la présence des ténèbres, qu’au lyrisme nominal de Jules Vallès qui promeut le personnage social au point de l’imposer à toute croyance. Et j’en passe. La foi ici n’est pas un abandon pur et simple. Elle est la dynamique d’une géographie de l’être, ce qui rejoint assez bien l’auteure de Trois vies.

De théorie, il ne reste rien même après réflexion parce que, Sibylle, il n’en a jamais été question. On comprend avant, ou on ne comprend jamais rien. Ne confondons pas l’attrait pédagogique des substances mirifiques avec le secret hermaphrodite qui en explique clairement l’alchimie.

Et c’est toute la vigueur de cette résistance aux suspicions théoriques qui donne de la force aux poèmes de Robert Vitton. Je m’y suis vainement essayé, on le lira ici, dans l’interviou qu’il m’a accordée pour m’attendre au tournant.

Ton musicien sans yeux sans nez et sans oreilles
Souvent me traverse l’esprit
Que peut-il me vouloir à des heures pareilles
Le musicien de Saint-Merry

Élégie pour un élégiaque

 

J’ai enfin le droit de saluer des êtres que je ne connais pas
Ils passent devant moi et s’accumulent au loin
Tandis que tout ce que j’en vois m’est inconnu
Et leur espoir n’est pas moins fort que le mien

Guillaume Apollinaire
Le musicien de Saint-Merry
Calligrammes.

Et ainsi de suite. Cette lecture, dont on découvrira l’ampleur dans les pages de la RAL,M, est une incitation aux retrouvailles avec ce que la poésie savait clairement et sait encore mais moins facilement donner à penser, à comprendre, à apprécier. Déclin ? Dernier train avant le grand plongeon dans la Globalité ou dans l’Islam ? Pas du tout. Le ton est trouvé, c’est tout. Et cela n’arrive pas à tout le monde et moins encore aux discoureurs des nouvelles de l’au-delà dont on nous rebat les oreilles parce que Malraux a dit, ou que Bush n’a pas dit, ou que Ben Laden va dire. Une géographie sans voyage ? Mademoiselle, il n’y a que les voyageurs qui ramassent les pierres lointaines. Les reluquer à travers le prisme de la "recherche" n’explique pas comment c’est arrivé. Tout juste pourquoi. Encore que la racaille discursive peut toujours, ou souvent, dans notre pauvre monde de riches et sous le couvert de notre riche expérience de la pauvreté, inclure ses discours de vengeance adressés à la folie.

Vitton dit et écrit :

" ...qu’est-ce qu’un poème en prose, sinon un aveu d’impuissance. "

Voltaire.

Éloge de la rime.

L’abandon pur et simple de la taille de ces bijoux, même de fantaisie, battrait la Poésie à plates coutures, la priverait de grandes aventures, de visages inconnus, de paysages insolites, la condamnerait à une errance stérile et la recroquevillerait pieds et poings liés. Le poète, lui-même, perdrait son métier de trouveur -trouvère, troubadour- ; il passerait à côté des désirs et des plaisirs inouïs de s’empêtrer dans de fabuleuses musiques, de reculer sans cesse ses limites, de trafiquer dans l’irréel, de bricoler le tout-venant, de devancer sa pensée et son savoir... Je ne peux me résigner à renoncer à ces extases, à ces folies des grandeurs, à ces entêtements, à ces nuits blanches d’une rime à l’autre. Je ne rends pas des comptes, mais je rends compte de mes expériences, j’entre en résistance.

Ah ! qui dira les torts de la rime ?
Quel enfant sourd ou quel nègre fou
Nous a forgé ce joujou d’un sou
Qui sonne creux et faux sous la lime ?

Verlaine.

L’obsession d’aller chercher ce son, me permet d’imaginer et d’emprunter mille chemins de traverse jusqu’alors insoupçonnés et insoupçonnables, et dont certains m’entraîneront sous des climats incroyables à cent lieues de l’entendement ; cette obsession me redessine les sentiers tendres et cruels de l’enfance, m’offre de sublimes cueillettes dans les livres, dans les lits, dans les lyres, dans les délires et dans les champs ; m’ouvre des merveilles, des portes, des cœurs, des yeux ; invente des encres de miséricorde pour les becs de mon stylogriffe ; me laisse pour mort dans mes chants de bataille...

Je vais m’exercer seul à ma fantasque escrime,
Flairant dans tous les coins les hasards de la rime,
Trébuchant sur les mots comme sur les pavés,
Heurtant parfois des vers depuis longtemps rêvés.

Baudelaire.

Chaque syllabe est un son en souffrance qui ne demande qu’à s’enrôler, corps et âme, dans les histoires périlleuses de la Rime.

Quoique souvent insuffisante, elle est toujours là dans la Chanson, fantastique trouvaille, la RIME.

La RIME !

La musique de l’âme

Enivrons-nous de poésie,
Nos cœurs n’en aimeront que mieux.

Béranger.

La Poésie, comme les autres Arts, demande toute une vie d’apprentissage.

Il y a plus de soixante ans que j’étudie l’art des vers...

Voltaire.

Les traités de versification, qui disent les règles et les procédés de la prosodie en constatant leurs diverses évolutions, permettent de comprendre la construction des œuvres-les XIV et XV siècles. nous en procurent un bon nombre.

Le Vers français, de l’abandon des maîtres latins à nos jours, en passant par mille péripéties, s’est doté de l’aisance, de l’habileté, de l’élégance, de la densité, de toutes les qualités qui font que la versification est devenue un Art à part entière.

La rencontre des connaissances techniques et du " don " poétique a toutes les chances de déboucher sur des formes nouvelles d’expression.

Chaque époque apporte son lot de trouvailles, d’expériences, d’erreurs..." La modernité ne date pas d’aujourd’hui."

Le Poète, à l’instar des autres artistes et des scientifiques, est le témoin de sa saison, le garant d’un savoir-faire, le rêveur d’un monde provisoirement utopique.

Le Poète sème des mots et des sons dans ses sillons au rythme de ses pas, et ce, d’un geste tout ensemble archaïque et futuriste, tout ensemble machinal et réfléchi.

Les diverses poétiques éduquent et instruisent, mais le véritable enseignement nous est donné par les doutes et les certitudes des praticiens et des théoriciens qui, malgré eux, écrivent les histoires et l’Histoire de l’Art.

Le poète remet sans cesse en cause son propre traité. La création de son univers passe par le détournement du langage. Le Poète prend la parole.

On ne se consacre pas à la poésie, on s’y sacrifie.

Cocteau.

Robert VITTON

J’y retrouve une poésie que j’ai aimée et trop facilement oubliée. En vrac : Léon Dierx, Paul Fort, Catulle Mendés, Jean Richepin, Jean Moréas, Albert Samain, Joachim Gasquet, Paul-Jean Toulet, Laurent Thailhade... etc. Je m’y sale de nouveau aux frottements de Labiche, de Courteline, de Feydeau (le fils, parce que le père, ah ! la la, avec sa Fanny !), de Balzac, de Paul-Jean Toulet encore (ah ! Mon ami Nane), peut-être de Carco, Fallet qui sait ? Tout voyage est un aléa d’îles. Un aléadile ? Vitton, qu’est-ce que tu me fais dire ? Qu’est-ce que tu fais dire à celui qui te lit et qui ne bute pas sur les mots, toi qui rends la comédie facile en apparence parce qu’on sent bien que l’acteur te suit quand il te dit ? Preuve que tu existes pour le dire, trophée des poètes.

Patrick CINTAS

 

 

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