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Choix de poèmes (Patrick Cintas)
Les miracles (pour les petits enfants futurs)
[E-mail] Article publié le 23 mars 2014. oOo Pierre mangea ses mains ce qui était le meilleur moyen de se libérer du piquet auquel les petites filles l’avaient attaché avec un lien qui n’était pas bon à manger. il perdit donc une dent qu’il cracha et qu’il enfonça dans le derrière d’une petite fille qui s’enfuit en hurlant dans les rues du village où elle disparut corps cris et âme — Quarante six, fit Pierre d’un air satisfait je ne peux plus compter sur mes doigts mais je connais la solution au problème qui vient d’être posé quarante six c’est le nombre de petites filles qu’on va violer cette nuit à moins que le sort en soustrait encore quelques unes les moins propres à ce genre de délassement les plus sales surtout à l’endroit du pipi parce que j’aime ça sans raison qu’il n’y a pas de raison de ne pas l’aimer je n’ai pas demandé son avis au bon dieu je ne demande l’avis de personne d’ailleurs je fais ce que je veux par exemple je mange mes mains il me tombe une dent et je la mets dans un derrière c’est le derrière d’une petite fille je n’y peux rien c’est comme ça chaque fois que je fais ce que je veux — Moi aussi je fais ce que je veux ! dit le petit garçon qui avait été une petite fille il abandonna son ouvrage de peau et d’os au grand dam de Kateb qui empêcha sa bouche de sourire ce qui était une manière de l’empêcher de faire ce qu’elle voulait elle voulait beaucoup en ce moment il n’y avait pas de raison de la laisser faire non mais ! dit Kateb avec sa bouche qui ne voulait pas le dire mais qui le dit quand même non mais ! répéta-t-il avec la même bouche qui ne contenait pas sa colère et qui laisse passer le message suivant : mon nez ! ce qui désappointa Kateb à ce point qu’il se tut non mais ! fit la bouche en cul de bouche en voilà des manières de ne pas s’accorder avec sa pensée ! Le petit garçon n’avait pas écouté la leçon qui venait d’être donnée à son usage aussi il arracha le minuscule sexe qui pendouillait entre ses jambes il poussa un petit cri de douleur mais comme il avait du courage il fit semblant de ne pas avoir mal il serra les dents et ravala ses mots tandis que la douleur augmentait il pensa : non ! quarante sept et quand j’aurai fait de Kateb une fille le compte sera bon à quarante huit et cette histoire retrouvera le sens qu’elle avait avant qu’on se mette à supprimer des petites filles pour un oui ou pour un non non mais ! pensa-t-il mais personne n’entendit ce qu’il disait derrière ses dents ce qui n’avait pas vraiment d’importance parce que « un » les petites filles ne savent pas compter « deux » Kateb a autre chose à faire et « trois » Pierre est un menteur ce que tout le monde sait maintenant que je suis une petite fille je ne vais pas me laisser violer par un professeur de violon ! — C’est curieux, dit Pierre interrogeant une calculatrice avec ses pieds c’est curieux mais c’est vraiment curieux — Qu’est-ce qui est curieux ? dit le petit garçon qui pouvait poser ce genre de question parce qu’elle n’augmentait pas une douleur déjà à la limite du supportable. — C’est toi qui est curieux ! dit Pierre est-ce que je te pose des questions, moi ? non, n’est-ce pas ? aucune question n’a franchi le seuil de ma bouche pour frapper à la porte de ton oreille ! — Je ne suis pas curieux ! cria le petit garçon Je suis curieuse, ce n’est pas la même chose ! — C’est donc toi que je vais violer en premier ! — Me violer ? Pas question ! dit le petit garçon enfin... le petit garçon-fille la petite fille-garçon... c’est curieux qu’il n’y ait pas de masculin à fille ce serait vraiment pratique mais voilà ça n’existe pas et en plus il faut faire attention à la confusion fille fille ce n’est pas la même chose pas du tout ! il ne faut pas confondre fille et fille sinon on se fourre le doigt dans le nez non mais ! — Ce qui me plairait bien, dit la bouche de Kateb c’est une glace à la fraise avec des morceaux de chocolat noir une feuille de menthe sauvage et les pages 1143 à 1247 de mon dictionnaire je ne sais pas si quelqu’un peut m’aider quelqu’un peut-il me le dire ? il faut bien que j’éprouve du plaisir sinon où irait le monde dont je parle si bien quand je parle — Tais-toi, ma bouche ! dit Kateb en se mettant la main sur la bouche ce qui l’empêche de parler du coup il ne dit plus rien et la bouche non plus — Je sais faire des miracles quand je m’y mets dit Pierre au petit garçon incrédule enfin à la fausse petite fille incrédule. — Ce n’est pas faire un miracle que de me violer ! tout le monde sait faire cela les miracles c’est justement ce que tout le monde ne peut pas faire par exemple moi je peux me transformer en chapeau melon et tu n’y verras que du feu tellement tu es bête tellement tu es médiocre ! — En chapeau melon ! et puis quoi encore ! et puis ce n’est pas un miracle que de se transformer en chapeau melon c’est de la magie pure et simple et le bon dieu n’aime pas cela. — Je ne suis pas un magicien ! et puis on ne parle pas du même dieu — C’est donc qu’il y en a deux ! fit Pierre incrédule sur un ton railleur. Le petit garçon qui était en réalité une petite fille souffla dans le sexe minuscule mais gonflable qu’il s’était arraché avant de devenir une petite fille il exhiba le sexe tendu en prenant bien soin de pincer l’ouverture afin que l’air ne s’en échappe pas. — Ce n’est pas un miracle, déclara Pierre et les petites filles semblèrent l’approuver je vais te montrer, moi, ce que c’est qu’un miracle. il ferma les yeux et gonfla les joues les petites filles l’imitèrent à la perfection et le petit garçon haussa les épaules — Ce n’est pas un miracle, dit-il à Pierre tout le monde sait faire des imitations je ne suis pas du tout impressionné. mais le petit garçon n’était pas au bout de sa surprise car il faut le dire sans rien cacher il était quand même un peu étonné que les petites filles aient été capables de perfection et soudain il vit l’énorme chose qui apparaissait entre les jambes de Pierre — Ça alors, fit-il sans cacher son étonnement je ne sais pas si c’est un miracle mais je te souhaite de ne pas l’avoir gonflé à l’hélium ! — Trop tard pour le conseil ! dit Pierre et il s’éleva lentement suspendu — Ce que c’est chouette ! s’exclama l’enfant je n’ai jamais rien vu d’aussi chouette tu l’as vraiment gonflé à l’hélium on peut dire que tu n’as pas peur quand tu oses — Je te l’avais dit, disait Pierre d’en haut en matière de miracles, mon petit tu ne m’arrives pas à la cheville reluque un peu la dimension ce qui est déjà une donnée miraculeuse mais vois un peu les avantages de l’affaire je vole comme un oiseau ! je suis un oiseau ! essaie d’en faire autant, minable magicien ! c’était une insulte étonnante aussi le petit garçon ne s’en offusqua pas d’ailleurs il n’était ni magicien ni minable ce qui était encore plus étonnant. il dégonfla son sexe maintenant ridicule ce qui fit beaucoup rire les petites filles et il demanda à Kateb si ça lui plairait d’avoir deux sexes une fois reconstruit. — Je préférerais avoir deux bouches dit Kateb qui n’avait pas envie de rire une pour parler comme tout le monde et une autre pour parler aux oiseaux je n’ai pas l’ambition de voler dans le ciel j’irai au ciel quand le moment sera venu je ne sais pas si je choisirai ce moment mais moi aussi je jouerai au ballon au ballon gonflé à l’hélium et si les oiseaux font grève ce jour-là le jour de ma descente dans le ciel je ne souhaite à personne de se dé-composer comme cela m’arrive un peu bêtement deux bouches ce serait vraiment une bonne affaire mais je vois bien que ce n’est pas possible je me contenterai donc d’un deuxième sexe il est petit on ne peut pas dire le contraire mais il plaira aux petites filles n’est-ce pas les petites filles qu’il vous plaira ? — Ouiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiii ! — Bien, puisque je ne me trompe pas ce qui m’arrive rarement ces temps-ci je te remercie d’avoir pensé à moi je te remercie aussi pour tous les efforts qui n’ont pas abouti à ma reconstruction. — Ce n’est rien, dit l’enfant, ce n’est rien rien qu’un peu d’amitié, simplement de l’amitié je suis heureux de savoir que désormais tu pourras me violer enfin dès que ce sera possible bien sûr quand je serai une femme ce qui m’arrivera un de ces jours tu pourras m’épouser ce qui est mieux je crois je ne sais pas exactement pourquoi mais quelque chose me dit que ce sera mieux pas mon petit doigt rapporteur parce que je te l’ai donné et que tu l’as accepté je t’en remercie du fond du cœur quelque chose quelque part dans ma tête me dit que ce sera mieux que d’être violé par son propre sexe. — Je n’ai pas tout compris, dit la bouche de Kateb sauf qu’en matière de miracle tu n’es pas aussi fort que tu disais les chapeaux melons ne se mangent pas les glaces à la fraise c’est autre chose si tu avais un peu le sens de l’amitié tu ferais un miracle pour moi. l’enfant regarda le regard géométrique de Kateb pour y chercher une réponse qui ne s’y trouvait pas Kateb n’avait pas forcément envie d’une glace à la fraise et de pages de dictionnaire il avait d’autres soucis plus inquiétants par exemple comment maîtriser cette bouche qui réclamait des miracles faciles. Pendant ce temps Pierre s’était approché du ciel son ballon avait la forme d’une saucisse à vrai dire sa saucisse était un ballon un ballon gonflé à l’hélium il navigua entre les morts frémit un peu au contact de la petite fille qui était morte pour rien et il s’arrêta un peu à l’écart observant les oiseaux qui le regardaient c’est inquiétant un oiseau qui regarde il a deux yeux c’est deux fois plus inquiétant d’autant qu’il ne regarde qu’avec un seul œil à la fois multiplié par des milliers d’oiseaux ceux qui sortent la tête du ciel et ceux qui foulent le sable blanc au bord du ciel cela fait vraiment beaucoup d’inquiétude mais enfin c’est comme cela la mort c’est inquiétant un point c’est tout on est là suspendu à son ballon gonflé à l’hélium et le ciel s’arrête quelque part contrairement aux idées reçues parce que le monde est plein d’idées reçues de préférence c’est plus commode des idées sur la mort il n’en manque pas de l’idée numéro un à la nième des idées sur tout et surtout sur la mort la mort qu’on reçoit en plein dans la tête comme ça hop un jour que dieu fait et même les jours que dieu ne fait pas la mort est possible tous les jours il paraît qu’elle arrive même la nuit la nuit est un moment mal choisi on ne devrait pas choisir ce moment-là d’abord on n’y voit pas grand chose ce qui est une mauvaise affaire en soi ensuite on a un petit peu froid même tout près de la cheminée on pourrait se jeter dans le feu mais ce n’est pas une façon de mourir ça pue tellement ça pue pour tout le monde et tellement ! enfin le monde est plus petit la nuit que le jour ça peu de gens le savent mais c’est vrai je l’ai vérifié avec mes instruments ce sont des instruments de bonne qualité et je sais m’en servir pour mesurer exactement et ce que j’ai mesuré confirme le fait le monde est plus petit la nuit que le jour c’est une idée terrifiante c’est pour ça que je l’ai vérifiée on ne s’amuse pas avec la peur il vaut mieux mesurer et avoir peur comme il faut plutôt que de ne rien comprendre et avoir peur quand même ce que le monde est petit la nuit ! surtout si c’est le moment de mourir ou si c’est la dernière nuit alors là le monde ressemble à une saucisse et on est enfermé à l’intérieur de la saucisse on est la chair de la saucisse et c’est un immonde boyau de cochon qui nous sépare du néant moi ce genre d’image terrifiante ça me donne envie de vomir je vomirais même avec un boyau de vache ce n’est pas une question de cochon ni même une question de vache c’est une question d’homme ou de femme pas d’enfant parce que les enfants n’ont pas le droit de mourir il arrive qu’ils meurent bien sûr la justice n’est pas parfaite - voilà ce que Pierre pensait pendant qu’il était suspendu au-dessus du ciel attendant qu’un oiseau se décide à crever le ballon gonflé à l’hélium et que la mort s’éteigne doucement sur son visage halluciné tandis que l’hélium siffle à ses oreilles et l’air du ciel éclaté de nuages blancs et noirs jusqu’à ce que la mort ne soit plus qu’une ombre au fond du ciel là où la matière est une autre matière et où la vie doit être une autre vie voilà ce que Pierre pensait et il regardait le regard des oiseaux c’était irrésistible cet homme suspendu et ce ballon en forme de saucisse qui hésitait entre le ciel et la mer dans cette zone d’incertitude où l’horizon est un point d’interrogation. — Je peux en faire autant, dit le petit garçon aux petites filles qui n’en croyaient rien parce qu’elles pensaient à autre chose — On n’en croit rien, disaient-elles en riant d’ailleurs tu n’es plus un petit garçon tu n’es pas non plus une petite fille qu’est-ce que tu vas gonfler, dis-le nous ? — Je ne gonflerai rien, dit le petit garçon il ne me poussera pas des ailes non plus je m’élèverai très haut au-dessus de vos têtes et la mer m’engloutira à jamais un pareil miracle n’a jamais eu lieu il faudra que vous me croyiez la mer est infinie et mon âme est sincère. — Fais-le ! fais-le donc ! disaient les petites filles fais ce que tu dois prouver à tout prix nous serons les témoins de ta science et quand nous serons grandes et amoureuses on l’enseignera à nos petites filles fais-le ! Le petit garçon avait la fièvre la terrible fièvre qui fait mal aux yeux à ce point que tout devient trouble et qu’on ne se demande pas pourquoi c’est une fièvre rare qu’il vaut mieux éviter si on n’a pas vraiment le sens du miracle ou si l’on n’est qu’un simple magicien le petit garçon ferma les yeux gonfla la bouche et le sable s’effilocha autour de lui il serra les poings et tira la langue et le sable se creusait sous ses pieds les petites filles ne croyaient pas aux miracles à la magie non plus d’ailleurs et c’était très difficile de les convaincre il fallait aussi étirer le cou comme font les oiseaux rentrer les épaules creuser le ventre ce n’était pas facile comme posture et c’était pas mal du tout d’y arriver mais était-ce vraiment très efficace ? c’est la bouche de Kateb qui posait la question c’est comme ça quand on a envie d’une glace à la fraise ou d’une pastèque juteuse on pose des questions sur les sujets graves et comme on n’a pas la réponse on embête tout le monde on ferait mieux de la fermer cette bouche de trop et pourtant solitaire mais il ne faut pas trop l’espinguer elle est capable de trafiquer les mots de vous faire dire « mon nez « au lieu de « non mais » je sais ce que je dis quand je parle de bouche vous pouvez écouter le conseil d’un ami — Tu n’es pas mon ami, cria la bouche à Kateb qui venait de dire ce que je viens d’écrire et puis quoi encore ! cria-t-elle encore et si j’étais étrangère, hein ? avec un horrible accent étranger, hein ? et du rouge à lèvres indélébile qui te ferait ressembler à une femme, hein ? Tu parles d’un ami que j’ai là ! un perroquet, oui ! une chimère d’ailleurs il lui pousse une tête de chèvre dans le dos ça ne va pas du tout avec la couleur de sa crinière ! — Ne te moque pas boum de moi plouf tentait de dire Kateb rachpapon et plon toi derrière meuh ! ça suffit bouche théorique non c’est rhétorique que je veux dire ! est-ce que je sais ce que je veux dire seulement ? plaf plif plouf ruru banban zim ! arrête de te moquer de moi devant tout le monde ! je t’arracherais si je n’avais pas perdu la tête seulement voilà je l’ai perdue je ne sais pas ce qui m’arrive et comme c’est humiliant et terrible tu me laisses parler maudite bouche ! tu me laisses parler quand je suis médiocre ! Kateb avait crié si fort mais si fort que tous les oiseaux d’un coup s’envolèrent c’était une bouche très embêtante mais elle avait beaucoup de voix ! — Quinze parties de quinze chapitres de quinze pages soit trois mille trois cent soixante quinze pages c’est la dimension que tu devras donner à ton œuvre si tu es un auteur sérieux ce dont je doute bien sûr. nous avons donc déjà parcouru à peine un peu plus de six pour cent de cette exigeante et irréversible dimension littéraire ce n’est rien Kateb à côté de ce qui se prépare Kateb avait frémi en entendant la bouche il n’écrirait plus jamais c’était sûr à moins que quelqu’un le reconstruisit mais qui trouverait la solution ? pas les petites filles les petites filles ne sont pas assez grandes pour reconstruire les hommes détruits Pierre non plus ne le ferait pas maintenant qu’il faisait des miracles le petit garçon avait tout essayé tout ce qui était possible dans sa tête et Kateb était toujours détruit et les oiseaux s’en fichaient complément d’ailleurs ce n’était pas une affaire d’oiseaux les oiseaux ne sont pas faits pour construire ils volent ils piaillent ils aiment les hommes ou ils ne les aiment pas mais sitôt qu’un homme est détruit de la plus sinistre façon et Kateb est un bon exemple alors les oiseaux faisaient semblant de chanter de voler de piailler et de se reproduire ce n’était pas par méchanceté ni par impuissance devant l’impossible rien n’est plus moral que la nature seulement les oiseaux sont des oiseaux ils ne savent pas ce que c’est qu’une destruction ils vivent ils meurent ils s’aiment ou ils se font la guerre ils fabriquent des raisons irréfutables pour tous les actes de la vie civile (y a-t-il une autre vie je me le demande) et ne sachant pas détruire ni être détruit ils ne peuvent pas reconstruire ce qui leur paraît exister normalement et qui est pourtant détruit foi d’homme ! non ce n’était pas une affaire d’oiseaux ce pouvait être une affaire de miracle mais qui croit aux miracles encore de nos jours ? il faut croire pour que ça arrive ça arrive toujours de cette façon et ni Pierre ni le petit garçon ne sont des gens sérieux ils s’amusent aux miracles c’est un jeu dangereux mais c’est leur affaire jeu plus danger n’égalent pas miracle c’est tout ce qu’on peut dire de cette affaire-là et ne me parlez pas de ma bouche disait Kateb à des auditeurs imaginaires ne me parlez pas de cette infidèle j’en ai besoin pour parler mais peut-être n’ai-je plus besoin de parler maintenant que je suis détruit à jamais c’est une question qu’il faut que je me pose il n’y a peut-être pas de réponse ça me fera passer le temps jusqu’à ce qu’on me reconstruise ce qui saura tarder le temps qu’il faut quel temps faut-il aujourd’hui ? c’est la question à poser à une passante elle ne passait pas elle tapinait et la question ne fut pas comprise comme elle aurait dû l’être tant pis ce sera pour une autre fois les questions de sexe sont en attente le siècle prochain sera très sexy et on pourra poser toutes les questions qu’on veut bien sûr on voudra beaucoup de questions « il faut plus beau qu’hier et moins beau que demain » « il faut le temps qu’il faut » « il faut bien assez beau on n’aime pas les touristes » « il faut un sale temps pour aller chercher les champignons » « il faut si beau quand on s’aime » C’est amusant de se poser les questions que les hommes futurs se poseront on est en avance sur son temps on est un précurseur des temps futurs la pensée passe par cet amusement pour devenir sérieuse au bon moment au moment où quelqu’un écoute et s’imagine préparer le futur le futur dont tout le monde sait qu’il n’existe pas « et quelle heure vous faut-il, madame » « une heure me suffira n’importe laquelle » « il faut que je vous fasse un enfant c’est important » « s’il le faut n’importe lequel me suffira » plus tard beaucoup plus tard les poules auront toujours des dents et la question sera toujours la même « est-ce que je peux vous faire un enfant ? » « est-ce qu’il faut que je vous fasse un enfant ? » « est-ce bien prudent de faire un enfant ? » « est-ce nécessaire cet embryon ? » c’est l’embryon de Pierre ou du petit Thomas ? c’est un miracle ou c’est de la magie ? Qu’est-ce qui existe après la question ? qu’est-ce qui meurt après la réponse ? c’est la bouche qui parle qui parle qui parle elle n’arrête pas de parler et je ne dis pas ce que je veux dire je n’arrête pas d’être détruit et je ne détruis rien de ce qui ne s’arrête pas ! Kateb avait encore crié très haut mais cette fois les oiseaux ne s’envolèrent pas ils marchaient entre les petites filles ils les regardaient des pieds à la tête des pieds surtout pourquoi ? on ne sait pas c’est une question un peu annexe et il n’est pas nécessaire d’y répondre par le moyen de l’écriture chaque œuvre nouvelle doit écraser la précédente jusqu’au jour où tout s’arrête en forme d’échec c’est une chose que les oiseaux ne savent pas ce qui ne les empêche pas de reluquer les petites filles des pieds à la tête des pieds surtout il y a pourtant des têtes très jolies des têtes avec des cheveux des yeux une bouche des têtes bien construites comme il faut mais c’est une chose que les oiseaux méprisent peut-être parce que les pieds ont cinq doigts les mains aussi mais on ne marche pas sur les mains est-ce qu’on vole en claquant du bec ? — C’est quoi cette saucisse ? dit un oiseau en montrant la saucisse de Pierre. — Je ne sais pas, dit un autre oiseau mais si tu penses que c’est une saucisse je te crois sur parole foi d’oiseau ! — C’est quoi cette saucisse ? dirent d’autres oiseaux l’autre oiseau ne répondit pas — C’est quoi cette saucisse ? dirent mille oiseaux c’est une sacrée question la question de mille oiseaux on ne sait pas s’il faut répondre ou leur tourner le dos et s’envoler vers l’horizon si l’on est un oiseau bien sûr ce qui n’est pas toujours le cas en tout cas dix mille puis cent mille oiseaux se mirent à poser la question en chœur en canon à contre-chant en syncope si bien que la question n’était plus posée de la même façon y répondre était inutile de plus c’était dangereux parce que tout le monde n’avait pas forcément la même idée sur la question l’autre oiseau se mura dans son silence et comme il était le seul oiseau parmi des millions d’autres oiseaux à ne poser aucune question à qui ? à quoi ? il s’attira des regards pleins de reproches des reproches pas très clairs mais sévères et il s’envola vers l’horizon pour échapper aux questions que chacun se posait à son sujet. Le petit garçon connaissait la réponse les petites filles aussi et ça les faisait rire ce qui n’enlevait rien à leur innocence on peut être innocent et tout savoir d’une question aussi particulièrement particulière n’est-ce pas les petits enfants n’est-ce pas ? n’est-ce pas qu’on peut tout savoir et cependant ne pas vraiment savoir ? — Je l’ai gonflé à l’hélium, voilà tout ! dit Pierre sur un ton docte machin il n’y a pas de secret c’est de l’hélium du plus léger que l’air ce qui n’a rien à voir avec le secret des oiseaux voilà je pense que j’ai tout dit j’espère n’avoir déçu personne ça m’ennuierait beaucoup mais si c’est le cas tant pis que les ennuyés se rassurent on ne s’ennuie pas tous les jours c’est la règle des vivants et des morts de ceux qui vivent sur la terre et de ceux qui meurent dessous heureusement qu’il y a des règles et des gens pour les respecter sinon où irait le monde et avec le monde où irait l’humanité et avec l’humanité où irait dieu enfin l’idée de dieu soyons honnête d’un point de vue strictement scientifique le seul qui nous préoccupe ici puisque nous considérons après l’avoir vérifié que la littérature est une science exacte soyons honnête disais-je l’idée de dieu est inexacte ce qui prouve que ce n’est pas une idée scientifique Justement ! rétorquent les amateurs ce n’est pas une idée scientifique c’est notre idée et ce n’est pas la science qui nous l’a donnée - c’est la science qui nous a donné l’hélium et l’idée de s’en servir pour imiter les oiseaux ce n’est qu’une imitation elle n’est pas parfaite mais ça marche c’est l’essentiel que demande le peuple ? et Pierre ouvrit un robinet qui laissa échapper un mince jet de gaz — c’est un problème de robinet, dit-il il n’avait pas de craie pour écrire sa pensée mais devant un auditoire aussi peu savant il pouvait se contenter d’un vague commentaire que tout le monde apprécierait à sa juste et mesurée valeur mathématique. — Étant donné que ma saucisse renferme une quantité A de gaz hélium et que le robinet à un débit B calculer la vitesse de la descente dans le ciel et le moment exact où cette vitesse ne dépendra plus de ce problème mais d’un autre qui est beaucoup plus simple et qui tient compte de la gravité terrestre dans un ciel si serein le problème de l’impact est d’un niveau tel qu’il faudra un miracle pour le résoudre. à moins que monsieur le magicien (il s’adressait au petit garçon) n’ait une solution magique à nous proposer ce qui ne semble pas être le cas à moins que je ne me trompe tout à fait. Le petit garçon se fichait complètement de la question des miracles en mathématiques il y en avait eu de nombreux au cours des siècles et ça n’empêchait pas les hommes de mourir de faim quand il n’y avait plus rien à manger on pouvait calculer ce genre de mort avec une exactitude stupéfiante mais tout le monde sait qu’on meurt exactement au moment où on meurt et si l’on multiplie ce moment par des millions d’hommes qui ne mangent pas on mesure exactement la folie qui habite ceux qui mangent à leur faim évidemment c’est un autre problème on ne peut pas comparer d’autant que l’hélium ne se mange pas on vole dans les airs ou on crève de faim par terre c’est un problème mathématique dont tout le monde connaît la solution et tandis que Pierre amorçait la descente la bouche de Kateb lâcha un cri énorme un cri en forme de girouette sur la pointe de l’église les petites filles eurent très peur mais les oiseaux les couvraient de leurs ailes maintenant il faisait chaud sous l’aile des oiseaux et l’écho ne rendit pas le cri de Kateb ç’avait été un cri terriblement déprimant et maintenant qu’il n’existait plus que dans la mémoire on attendait que ça recommence que sa bouche s’ouvre entre les yeux qu’elle écarte la peau de chaque côté et que soudain le cri surgisse ne sachant d’où vient le vent et si l’écho a encore de la voix c’était terrible cette attente sous l’aile on ne voyait pas les yeux des oiseaux on entendait la voix de Pierre il parlait de miracles de dieu de la vie de la mort du néant il descendait lentement dans le ciel où les âmes des morts se croisaient sans cesse comme Ulysse il avait le cœur serré mais rien ni personne ne l’empêcherait de continuer sa folle et fantastique entreprise les oiseaux l’admiraient un peu il mourrait d’une façon ou d’une autre noyé pendu guillotiné écartelé il lui arriverait quelque chose de mort avant de toucher le fond du ciel dont seuls les oiseaux connaissaient le terrible secret maintenant il avait les pieds dans le ciel l’hélium giclait avec une régularité d’horloge il sentit une fraîcheur le long de ses jambes peut-être un nuage porteur d’humidité ou une brise en quête d’orage cela montait comme des veines irriguait tout l’intérieur de son corps comme un poison s’insinue jusqu’à la vie de chair en chair jusqu’à toucher la vie il pouvait sentir la vie en lui c’était un poids et il le mesurait avec une exactitude qui le réjouissait ses pieds étaient déjà morts ou bien il faisait tellement froid le froid était une possibilité la mort une certitude qu’est-ce qui est noir quand on meurt ? il n’y avait pas de drap et ses mains cherchaient le vide le vide était insondable mais ses mains aimaient le vide il y avait beaucoup d’amour dans son cœur maintenant qu’il finissait de vivre il s’arrêtait avant la mort ce n’était pas du tout comme il avait imaginé il croyait au voyage et il ne voyageait pas il était arrêté et le ciel l’absorbait lentement le froid montait encore son ventre s’était arrêté de vivre il pouvait fermer le robinet pour savourer ce passage inouï mais le chuintement du gaz l’aidait à mourir c’était une dernière voix le souffle sans les mots qui ne veulent plus rien dire au moment où il n’y a plus rien à dire où tout est à espérer où tout se compose une bonne fois pour toutes où personne ne sait ce que ça veut dire des personnes qui voudraient tout savoir de cette mort énigmatique de cette mort qui est peut-être une maladie une maladie quelque part dans la tête au moment du plus grand besoin de vivre le souffle les mots le jet de gaz les molécules la mort la vie puis les poumons un froid terrible la gorge la bouche disparaît il reste les yeux pour regarder des milliers d’oiseaux se pressent sur le bord de la plage pourquoi ne volent-ils pas ? on dirait qu’ils font la grève il y en a des milliers pourquoi ne feraient-ils pas la grève ? robinet Extrait de la Chanson de Kateb |
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