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Goruriennes (Patrick Cintas)
Entretien avec Spielberg - Pourquoi pas cette fois ?

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 Article publié le 4 mai 2014.

oOo

— Ça va, Johnnie ! Le public adore vos délires, mais c’est pas dans le film. Papa délirait pas. C’était un super professionnel.

— J’suis d’accord, mec ! J’suis complètement O.K. avec ça. J’ai pas tout compris, mais je marche.

— Alors rangez cette poupée dans votre sac de voyage, mec. On va pas loin. Va falloir expliquer pourquoi vous zétiez pas à la Première et pourquoi le Yougo a fait vomir du monde parce que pour la première fois de sa vie, il vous ressemblait plus autant que c’est prévu dans le contrat.

— C’est quoi, ça !

— Un parterre de journalistes. 50 % du budget, pas moins, mec ! On parle de nous-mêmes dans les endroits où ils zont aucune chance de voir le film dans sa version commerciale. On fait circuler des extraits buggués au bagle. Histoire d’emmerder le Monde. Ça l’fait parler à la télé. Ya qu’la télé qui nous intéresse. Appuyez là !

J’appuie et j’m’électrise.

— Qu’est-ce que vous voyez ?

— Un mec qui dégonfle ma poupée ! Ah ! Le fils de… !

— Non ! Regardez dans le trou. Qu’est-ce que vous voyez maintenant ?

— Spielberg me prépare un Gibson avec des p’tits oagnons frais…

— Regardez au centre, merde !

— J’vois le symbole d’une connexion électrobiologique. La poupée est équipée d’un système capable de reconnaître les versets sataniques avec une marge d’erreur de 2%…

— Imaginez ce que ça donne en plein ramdam.

— Énorme !

— Maintenant, dites-leur que vous êtes d’accord.

— Avec qui ? Avec quoi ?

— On a pas zenvie d’se faire baiser en justice à cause d’un vice du consentement. Vous êtes le témoin capital.

— Témoin de quoi ?

— Zavez vu l’film ?

— Mais j’y étais, mec ! Même que j’ai écrit le scénario !

— Alors dites-leur que rien ni personne ne vous a poussé à trahir le père. Et surtout pas Dreamworks !

— J’ai trouvé la poupée dans la poubelle, mesdames, messieurs et les autres. D’où le titre du film : Une poupée dans la poubelle.

— C’était pas La troisième couille ?

— Non ! Ça, c’était avec Michael Jackson interprété par mon vieil ami K. K. Kronprintz. C’était avant la découverte de son testament. Spielberg a eu des problèmes avec la famille Jackson parce qu’il voulait tourner mon film et non pas celui que les fans rassemblés à Los olivos voulaient qu’on tourne à la place du mien avec le budget approuvé par David. J’vais vous dire une chose, les mecs et les meufs : j’y crois pas, moi, à tout c’qu’on raconte au sujet de papa. Alors j’écris des scénarios et Spielberg les propose à son Conseil d’Administration. Il se trouve que c’est par un glissement purement financier que K. K. K. s’est retrouvé dans la peau de Michael Jackson. Vu son obésité morbide, il était pas fait pour ce rôle autrement délicat que les émanations de sulfure d’hydrogène que les salles propulsent dans la rue pour attirer le gogo en quête d’un nouveau style porno.

— Putain, mec ! T’es au top de ta forme. Elle t’as sucé ?

— Qui ?

— La pute qui a épargné tes couilles…

— J’étais pas connecté. Yavait aucune raison de me couper les couilles. La production avait eu chaud. Sans cette paire de couilles mythiques héritées de papa, j’étais plus crédible. On a commencé à tourner dans ce climat de suspicion. Spielberg a alors installé deux caméras : une pour voir ce que je disais et l’autre pour témoigner de ce que je faisais en réalité.

— Et ça marche, mec ! C’est un sacré bonus ! À part la poubelle et la poupée, et ces deux couilles qu’on pourrait appeler des bonbons pour attirer les gosses, à quoi ressemblait le vaisseau de papa. À celui-ci ?

Une image du Pathfinder était projetée dans les hauts plafonds de Xanadu. Un essaim de filles nues dansait sur les ailes du Shuttle Carrier. J’savais toujours pas qui était aux commandes. Le Shuttle Mate-Demate Device était en place. On attendait plus que moi. J’étais impressionné par la perspective d’une manœuvre jamais entreprise par les systèmes publicitaires. Mais pourquoi une catastrophe aérienne qui endeuillerait les familles les plus fidèles ? Et pourquoi que j’devrais finir comme ça, peut-être brûlé vif en attendant de m’éteindre dans l’océan atlantique ? J’comprenais pas et Spielberg n’expliquait rien. Je le voyais parler dans le micro derrière la baie vitrée qui nous séparait. Ce s’rait un suicide avec du monde autour, mais il resterait pas un seul témoin à part les vidéastes chargés de connecter la réalité à son rêve relatif.

— Ouais, dis-je. Vous m’direz que l’Pathfinder c’est qu’un décor, pas un vrai Shuttle comme on a zenvie d’en voir au moins un dans sa vie. C’est la raison pour laquelle le Carrier le transporte sur son dos. J’sais pas qui pilotera le Carrier. J’voudrais bien savoir, mais Spielberg veut pas que j’emporte ce nom dans ma tombe, si jamais on retrouve mes morceaux et des fois que d’autres morceaux viennent changer le sens de ma mort. Moi, j’serais aux commandes, si on peut dire, du Pathfinder qui est comme qui dirait un gros jouet avec lequel faut pas jouer si on connaît pas les règles. Alors que se passera-t-il ?

Soit c’est l’ensemble Shuttle-Carrier qui sombre,

soit le Shuttle est largué, le Carrier retourne à la base, et comme le Pathfinder est un faux Shuttle, c’est lui qui emporte au Diable son contenu et ses machines.

C’estpas un beau film, ça ?

— Ça l’serait, mec, s’il y avait des survivants…

— Yen aura ! Après les cartons style années vingt dont j’vous ai parlé plus haut, c’est l’épisode du Pathfinder qui pose les conditions de la suite du film. Vous m’voyez dans la flotte en train de me demander pourquoi je m’suis laissé berné par la NASA qui m’a fait croire — et j’étais pas tout seul ! — que le Pathfinder était un Shuttle et non pas une maquette mise au rencart parce qu’on avait plus besoin de simuler des vols spatiaux.

— Vous allez donc reproduire cette scène en vrai avec des fans à bord et peut-être même une partie des actionnaires de Dreamworks dont Spielberg veut se débarrasser.

— Sauf que dans le film, je survis et que dans la réalité qui se profile à l’horizon publicitaire, je m’suicide.

— C’est donc vous qui allez provoquer cette catastrophe aérienne qui fera date dans les annales du tourisme de masse ?

— Justement, j’en sais rien ! J’ai besoin de m’suicider. J’peux pas vivre ces derniers instants sans cette idée.

— Et ça vous fait pas chier de faire crever des innocents ?

— Pas qu’des innocents, mecs ! Qui pilotera le Carrier ? Et qui décidera s’il rentrera à la base avec un équipage saint et sauf ? Je veux savoir qui est le mec qui le pilotera !

— Qui c’était dans le film ? J’me souviens pas de l’avoir reconnu…

— Personne ne s’en souvient, mec, parce que c’était un Mac Guffin !

¡No me digas !

— Tel père, tel fils !

— Vous prétendez ne pas avoir vu le film jusqu’au bout, Yougo ?

— J’suis pas Youyou ! Je suis…

— John Cicada, on sait ! Mais c’est qu’un personnage…

— Et qui croyez-vous qui pilotera le Carrier ? Un mec en chair et en os ou un interprète ? Vous êtes vraiment con quand vous pensez qu’à faire mousser l’info !

Je venais de jeter un froid dans l’assistance. Il y eut un silence réprobateur que je mis à profit pour demander à DOC un supplément d’orviétan. Il s’approcha, dissimulant sa gueule dans l’ombre d’un chapeau à large bord. La seringue m’atteignit en plein cœur. Je suffoquais, ce qui inspira la pitié. Le bruit se mit à courir que si je racontais des conneries, c’était dû en partie à mes vices. Je me rendis compte que depuis mon retour de Shad City, personne n’avait songé à me prêter des fringues. L’idée même que j’étais allé jouer avec ma queue dans un établissement de Shad City ne poussait pas mes détracteurs dans mon camp. Il faisait chaud sur le Môle. Spielberg s’amusait à arroser les filles en épargnant la terrasse où je répondais aux questions légitimes de la Presse. On était peut-être aussi dans les jardins de Xanadu. C’était le troisième épisode du film. Je rappelle pour les distraits

que le premier épisode, c’est celui des cartons style années vingt,

que dans le deuxième, c’est la catastrophe,

et que le troisième c’est la première du film et ses retours publicitaires sur la place publique, sauf dans certains territoires où le prétexte du film sert à diffuser des substances destinées à multiplier le facteur de reproduction des populations médiévalement organisées autour des chefs de tribu.

— Alors en quoi consistait le quatrième épisode, mec ?

— Spielberg aurait du mal à s’en sortir. On lui avait pourtant conseillé de pas s’embringuer dans le scénar que je lui avais proposé uniquement pour faire savoir au Monde que le lien de parenté qui nous unissait civilement était d’origine ancillaire.

¡No me digas !

— Ouais ! Imaginez son embarras. D’abord, je prévois un épisode qui indique clairement

qu’on va suivre les aventures de John Cicada parti à la recherche de son papa sous la surveillance divine de Gor Ur, le Gorille Urinant ;

et que Spielberg va nous expliquer pourquoi il tourne ce film sans ruiner les efforts de communication des producteurs.

Ensuite,

on assiste à la Première,

et on jouit à mort des images d’une catastrophe aérienne qui transforme tout le système endocrinien des spectateurs,

Puis

on apprend que je suis allé vivre dans une poubelle du côté de Los olivos et que DOC m’a aidé chimiquement à revenir sur les lieux du tournage, Xanadu, où se tient une conférence de Presse dans laquelle je révèle qu’une catastrophe est prévue pour éliminer des actionnaires en désaccord avec la ligne pornographique que Spielberg veut exploiter avant que quelqu’un lui pique une idée qui en réalité m’appartient.

 

Arrivé ce point du récit, Spielberg se rend compte que sans mon imagination, il est incapable de résoudre l’incohérence nécessaire au début du film pour intriguer le spectateur et le contraindre à un assouvissement qui ne peut avoir lieu sans une certaine cohérence. Le film doit basculer dans la réalité extérieure au film lui-même. Le principe de l’identification ne suffira pas cette fois, Spielberg en est conscient. Mais alors, pourquoi a-t-il accepté d’entraîner Dreamworks dans une production dont il ne maîtrise pas la solution ? C’est le quatrième épisode. On voit Spielberg jouer carrément les trois premiers épisodes devant le Conseil d’Administration. Je suis assis sur le window sit, la queue sucée par Alice Qand et le dos fouetté par Sally Sabat qui menace tout le monde de le détruire si on augmente pas son cachet. Spielberg a l’air de se montrer convaincant. Les administrateurs sucent des pastilles à l’eucalyptus et boivent une version light de Kolok Loca, ce qui les pousse pas bien loin dans l’hallucination, mais leur donne le pouvoir de décider selon leur intime conviction. Voilà ce que j’avais mis dans le quatrième épisode. Spielberg y trouvait forcément de quoi expliquer pourquoi il tournait ce film, quelles étaient ses raisons profondes d’impliquer à sa carrière universelle un virage aussi aigu que risqué. Ce fut la première fois qu’il me désigna comme son cousin. Il n’en savait pas plus. Il ignorait complètement comment se terminait ce quatrième épisode pourtant crucial quant à l’avenir du film. Il acheva sa présentation par des chiffres qui s’attaquèrent aux yeux des administrateurs et de leurs conseillers. En sortant de la salle du Conseil, il me confia qu’il avait confiance.

— J’les ai toujours convaincus, mec, me dit-il. Pourquoi pas cette fois ?

 

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