Deux perruches dans un arbre décharné qui pousse ses premières feuilles. On les voit parfois dans cette rue où j’ai vécu tant d’années, et ailleurs, elles sont devenues un rite de la rue. Elles sont quelquefois avec des colombes, mais le plus souvent seules. On n’en avait jamais vu à Barcelone. Quand on les vit d’abord, on dit (voyons si c’est vrai) qu’il s’agissait d’un couple qui s’était échappé d’une maison du Paseo de la Bonanova. Si c’était vrai, il faudrait dire que c’était un couple presque biblique, apte à peupler non pas la terre, mais toute une ville. On se souvint qu’il y en avait à Buenos-Aires. On s’est habitué à cette verte présence et à ses cris. Il y a longtemps, alors qu’on venait de s’apercevoir de leur présence, mon père et moi, sortant du tribunal, en vîmes un envol. Mon père défendait alors un chanteur d’opéra qui avait été plagié et je l’accompagnais. C’était en 89, ou peu après. Je me souviens de mon père, et de l’hiver, à cause de son chapeau et de son manteau, et je me souviens aussi de la joie qui inonda son visage pendant que ces oiseaux, qu’on n’avait jamais vus en liberté ici, se rendaient maîtres de l’air loin de la triste prison de leur cage. Libérés de l’obligation de répéter les bêtises de leurs propriétaires. Une volée d’oiseau est toujours une joie, une explosion de liberté dans l’air et c’est dans cet air que je vois ces deux perruches et que je me souviens de mon père et de sa joie, la joie qu’on ressent devant le spectacle de la liberté.