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Article publié le 1er juillet 2014. oOo –alors à ce moment, la ville était effondrée sur elle-même, comme un sac affaissé, alourdi par moi et mon bonheur. Walter Benjamin
Au « chasseur »
I
L’hiver est la saison infirme, nous avions Plein nos poches des billets d’entrée pour nos mains Et le vin des regards dans les yeux. Nous roulions Sans corset ni abri pour briser l’abandon ; Toute neige est lisible comme dit Plotin. –« Je cherche en ce moment ce qui nous amusait Dans la conversation pendant que nous glissions Sur un printemps probable » Et voilà que déjà Les gens dépêchaient leurs vies vers les bureaux Et les estaminets, comme on disait hier. Une foule Se presse vers les gares –« On va l’rater chérie, Fais fissa » –« Nous songions à cela afin que s’en exprime Un éclatant prodige » On en entend de belles !! Et les encombrements sans pensées, les vitrines, Le mot pour la ville. La chaussée s’émeut De pas qui disparaissent pour laisser des traces. Noël est en route, le ciel est un renne –Dis moi quel cadeau Faire à un escargot, alors qu’il a tout ça et sans contrepartie ? Le pavé est immense dans la mare obscure Des pensées qu’on dit vraiment insignifiantes. –Comme je venais de m’asseoir un moment Dans le métro pour t’écrire : j’ai dit ma chérie, Parlant tout seul et fort et m’en suis aperçu Bien après, et à cause des regards des gens. Qu’ai-je bien pu te faire que tu me tortures De ne pas m’écrire ? Je prends à la lettre Même tes silences. La neige recouvre de son blanc profond La raie du jour qui court et va s’amenuisant. Tout seul disais-je, et contre moi, parmi ces gens, Tout le langage humain. L’hiver prend ses béquilles Ce sont nos pensées plus noires que de l’encre Sur la feuille dilapidée du sycomore. La foule, de ses pas, fabrique des fantômes, Des ponts mortaisés à des chutes d’élans : Des vagues incapables de hennissement.
Les terribles loisirs que ton amour me crée Paul Eluard
II
Ne dégoisons jamais sur ces inconvénients De ne pas nous comprendre. Les toits de la neige Recouvrent le sol de la chaussée luisante Même de la chambre. Le parquet ciré Est un chant de sirène : l’envers du mourir.
Des femmes s’apprêtent pour la nuit, musique De pas travestis en flocons efflanqués De minces hauts-talons noircis de profondeur Qu’on pourrait qualifier avec un grand bonheur Comme le fait Boccace pour la description De son Demogorgon(dont parle Coleridge) : De vestitod’unapallidezzaaffumicato. Je vous dis Que tout hiver claudique comme un ours en cage, C’est un baiser froid sur le museau d’un phoque. –(Il décrit un poème assis sur sa banquise) Une image et rien d’autre.
Le lit n’est pas fait, la chambre s’est vautrée Sur son confort de ruines, ses draps encombrés Par de sales pensées. Un ventre de commode Est plein de manuscrits comme de vieux jupons : « Ces feuilles de Printemps ».
Quelle odeur rôde encore De ce blond vénitien qui bouclait dans le bas ? Et de ce souvenir qui tache la blancheur Ombreuse d’un prénom de derrière un miroir Où ronronne une chatte ? (Où se mirer de dos, est la bibliothèque gonflée de volumes).
La lampe d’Aladin fourrée au frottement De l’imagination, reluit sur le papier. –On dit que dans la ville rôde des renards aux pattes d’incendie : « –C’est façon de parler des filles des quartiers où l’urine parade, et où la boue des rues leur salit les chevilles qu’elles font flotter les soirs de « faut bien vivre ». Les landaus font la manche dans les corridors.
III
–« Si ton corps remplissait la page de mes jours Comme une boite de Conserve-Danaïde Je l’ouvrirais avec un vicieux ouvre-boîte Et je dévorerais le contenu, léchant Comme un chien ta peau brune et musquée de gitane Qui part sur les routes. Mais je ne lèche que Les routes t’écrivant dans le métro des mots Que tu mets à sécher sur le fil de la ligne. » C’est ce qu’on entendrait aux heures d’affluence Après avoir un peu gaffé la secrétaire Du bureau des douanes. (Celui de ce poulet qui fait le coq en pâte sur toute la ligne)
–« C’est pas bien, pas nature, ces perversités. » La ville retentit de ce mea culpa qu’on veut légiférer. Il y a des guirlandes plus que fallacieuses Pour la noche du nouveau-né qu’a fait son temps. Le commerce a des mocassins en peau de rennes avec des certitudes-coton hydrophile Pour singer la neige et feindre le Saint-Sperme. que de suie, de fumée, se donne la lumière Un mendiant prend des poses comme un régiment des fantassins d’la dèche, dans « le flot des clients ». –Notre nuit qui déferle nous achèvera– chante papa Noël. –« Allez laisse-toi faire tu en meurs d’envie !! Comble-moi ma chimère prends-moi dans ta grotte, Imprime tes deux mains sur ma paroi rupestre !!! Le dur laborat de mes résurrections Est plein d’initiatives » Passent les véhicules des âmes sans âmes Et sur les étagères des dictions de spectres Aux yeux de mimosas en fleurs, des scènes de Pastorales risibles, des chemins de fer Qui passent des abîmes de papier mâché Avec un chef de gare et des femmes à barbe Sous des capelines de l’ancien régime. Vont des voyageurs Des faux et d’autres vrais qui sont tout aussi faux ; Et les stations service puissance de l’art Du paysage urbain, sérieux comme un pape, Guettent le client : tu la craches ta« Valda ? ». Autour de Dieu tout devient quoi ? Peut-être « Monde »
C’est le nihilisme seul qui est constructif. Car le nihilisme est le seul chemin qui mène son homme à s’installer dans la chimère. Jean Dubuffet
IV
–« Seul filant ma chimère dans ce lieu de pierres Où retentit l’orage aux jambes de déesse (J’entends mes paroles). Un monstre fait de roses Construit ses épines selon sa méthode Et se fait de l’abime un ciel à sa mesure : Un petit raclement d’échos dans la montagne (« Ce mot me sourit pour accoucher d’un lieu »). Voilà ce qu’on entend : un petit monologue Un rien, lézard de phrase sur le sol failli, Et sec comme la soif d’un os parmi les herbes. –« On ne peut estimer que celui qui jamais ne se cherche lui-même »– dit Goethe à Schlosser. Une voix prend sa faille à témoin qui s’écoute Interpréter la partition du dangereux. Quel torrent cet exil de soi dans le rugueux Et la gaie solitude aussi bourrue que l’air Qui circule, et les arbres minces et la lune ; Le réel entier dans le rêve et le rêve De ne pas rêver. Le torrent prend visage Entre les noirs rochers, de quelque colporteur D’un message sans injonction, que ce bruit blanc Qui contient tous les sons. Le corps se désaltère À la soif de ses pas. La machine à écrire Au sommet de midi clave des doigts aux mots. –« Seul filant ma chimère dans ce lieu de pierres » –(On voit beaucoup de beaux hameaux sur Mytilène ; Avons mouillé dans la petite baie de Mytilène–). –« Je danserai le tant à telle heure sur le thème « À chacun sa chimère » avec la compagnie « Langage desviscères », nous a-t-elle écrit, –et j’espère en votre présence– Cassandra ». La réponse fut telle : –« bien sûr nous viendrons. –Notre chimère est cet évier avec des ailes et aussi en métal où pousse le noly elle est le grand siphon du sourire et le plâtre tombé du plafond. Voilà notre chimère : les dents du bonheur et le bandage antique au visage du rêve ; est rouge comme un roc, est ombre sous le roc ; est parapet de soi et couteau sous la gorge pour que soit le chant, pour que l’os de la mort y morde à belles dents la roseraie du sang. » « Les portes mauresques sculptaient des prodiges Noirs et le fond sombre se creusait d’étoiles. »
Le lieu vibre de grâces lourdes, de senteurs De bas fonds. Quelque part quelqu’un s’est arrêté Pour humer sa présence qui est d’impudeur : Son sexe prend la mouche et se drogue de vie, Dans le sang de l’étalagiste, sur les baies Qui rougeoient dans les détritus, les doux gravats Sur leurs grabats défaits. La communication D’un esprit solitaire avec lui-même, Hawthorne Cite ici le lieu où coule son propos. –« Seul filant ma chimère dans ce lieu de pierres » La ville a oublié dans l’herbe sa capote et le Cagliostro D’une publicité.
Accoudé à la poussière des mots, un poète Se repait des graisses de Byzance, tout entier absorbé dans l’artifice éternité, il écrit Sur la nappe : voir ton pli secret ; Sa bouche frappe sur son verre qui se fane Dans sa transparence, comme sur un mort. Une consommatrice, au bar, boit son vermouth, En décroisant les cuisses pour que les mots passent –« Mis à ma hauteur », pense l’Orphée du bar « que mon corps se raidisse dans ta loge à bail », S’affame la plume accoudée à ce nu Féminin de la ville : quelqu’un lève un glaive, Pour porter un toast au tableau de Beckmann. La chimeuse du bar, haussée, chaussée de chair, Décroise et croise un ciel potelé, fait crisser, Deviner la venelle étroite, fait tinter D’étranges cuivres grimaçants, un singe roux. Il écrit en piquant dans les pickles. Au bar, Le barman louche un peu sur ce client qui,sûr, Reluque Irma et lui écrit un mot cochon : –Portez ce p’tit poulet d’papier à mad’moiselle. Mais l’écrit déchiré met les voiles du bar. Le barman est déçu qui est un peu poète : Le sens qu’il voyait poindre, a foiré s’est tiré. – « Le génie s’est levé pour s’bigler dans un’ glace »
–« Une occasion perdue ? m’en allant par les rues, Marche et déboule et va, m’y range comme un chien, Et cris et voix des Ophélie, de porte en porte, L’idée était fragile comme un vase étrusque ; Et son parfum vulgaire et chaud, un corridor ? L’idée qui s’est cassée a roulé sous la table En confetti sans fête, ce qu’on voulait dire, L’écriture et moi, étrusquement qui foire ; Une occasion perdue ? La poésie qui rame Entre ceci, cela, l’idée qui se raidit Devant ce que l’œil voit ;la poésie c’est du Poulet comme mon cul, en rythme s’il vous plaît. Ses jambes écartées studieusement, la ville : Un parfum d’occasion. »
Un sac au pied d’un arbre, on dirait les contours Embrouillés d’un visage ou bien ceux d’un nuage. Une personne ouvre le sac, sort un visage, C’est toujours un arbre, un poignet qui se plonge Dans le contenu invisible du sac, Une chanson pas loin qui met la ville à sac En passant par les portes pleines de moteurs Que l’on a peints en rouge et collés sur les murs Avec un point final, mais pas définitif. Un homme est essoufflé qui a des mots pressés De rentrer dans le sac de sa biographie, Il marche lourdement, il va parmi la foule Dans ce lieu commun. Le sac est lourd, serait-ce Buridan qui bouge à l’intérieur du sac ? Est-ce un colis suspect ? Pense-t-il : c’est l’époque. Un music-hall s’affiche lavé par la pluie Qui tombe comme un arbre, et le plan de la ville Tout le plan du ciel tricoté au crochet, –Merde c’était l’idée !! Quelqu’un s’est approché Du sac au pied de l’arbre pour fouiller dedans Et chercher quelque chose qui soit la rosée D’une aube, une autre nuit, un autre accouplement, Une barrière blanche une ligne où aller : Car se mettre le sens à dos le rajeunit. –Merde c’était l’idée !! et je l’ai déchirée « Cette feuil’ de papier est un’ propriété » A écrit William Gass.Les pigeons sont le thé De l’hiver qui piétine et poudre le commerce D’un alléluia qui montre ses béquilles. Des épouses superbes les bras encombrés De ne plus en avoir que pour cacher leurs seins Ressemblent aux vitrines. Une propriété.
–Sois en accord avec des chevreaux qui seraient Les feuillesmétissées, bronzées, des marronniers ; Déguste le ciel bas de ta couche flûtée Des plis de l’Eurotas.
Le jardin au moment des roses de la pluie Se remplit de salaces odeurs d’héliotrope Et monte en échalas où le verbe suppure En preuves de la chair –« Enfuis-toi à Carthage Où chantent les chaudrons, rentre dans le bouillon Car c’est là que boue l’âme, le champ du possible –Et toi l’prêcheur d’Hippone ! garde tes conseils Pour te les foutre au cul » dit une voix tout près Perchée sur l’acacia flexible d’une antenne.
Des échecs, des échelles, leur petit Jacob Observe le zeppelin qui ballonne le ciel Et brouille sa confiance pour le prodiguer, Ne sachant, en sachant, que les mots sont les cendres De cet imprudent d’Elpénor que disperse Circé au teint rose.
–« As-tu rencontré un nuage disons Transparent et si clair qu’il ne semble ni brume Ni ombre, un mot seul qui soit un pont, un toit ? Et reste sur le toit ton rêve entre deux âges Tout en déjeunant et monte entre tes coudes En ordre de chaos, à la seule lumière de tes cendres. Pour au dernier moment voir une queue plissée Se déployer en gloire d’un antérieur rose. » Chantent les oiseaux
Les choses sont en foules, l’air et la chanson ; L’aveugle a traversé la rue dans un murmure –« C’est gentil à vous », sa canne heurte la neige L’air et la chanson tâtonnent, tant de gens sur le pont de Clichy. Des hommes, des femmes qui marchent, qui parlent Qui rient quelquefois, ou marmonnent tout seuls Mais ils marchent, parlent, rient et jurent Comme des fantômes. Le soir c’est King Kong Qui frappe aux fenêtres.
–« Bon voyage » entend-on –« Bon voyage !! »
Dans la salle de bain, se coupe en se rasant : –« Où as-tu pu fourrer mon gel pour peau sensible Cronide barbu ? Une main féminine Te tient par le poil, comme elle j’implore Ta divinité. » Le miroir embué creuse son territoire Sur cette peau d’en face où il passe des trains, Où le sang a jailli sous la lame tranchante Des hordes cosaques de ce tremblement De la sénilité. Récite le début écumeux de Lucrèce Où le clinamen Aphrodite décline Ses lettres-atomes latines, se sèche Parmi la vapeur aux capes imprévues. Se sent comme un autre homme : Et comme « au point-repos du monde qui tournoie ». Ce confetti, ce monument de soi est restauré Pour toute la journée ; sort de la salle de bain Avec ce perpétuel fluide, un air frisquet Qui le fait frissonner : –« me ferai-je une raie Partagée sur la nuque ? puisque tout se donne partout et toujours à voir à entendre et à respirer et ne cesse d’exciter nos sens ». Et sort, soudain piégé par les yeux d’une femme, Se souvient du poème dans Les fleurs du mal « À une passante », et s’écarte d’une voiture juste à temps. –« Ce n’était pas écrit » ironise un passant Delphique comme un tract (qui conduit une chèvre En forme de caniche). Se souvient du regard Qui disait : la vieillesse est touchante et charmante. Le velours Croate de ses yeux revient foudroyante pitié. A noté le poète un 31 décembre Dunja, mon feu clos. Des pas, Mais le passant passe et le ciel féroce Reste sans orage.
V
La ville est une partie d’échecs dans les villas, Et dans les chambres de cartons, pas de feu Éclairant les décors, les consommables. –« Je peux dire oh pourquoi dors-tu car le ciel S’est séparé de toi et que la terre a fait De toi un étranger je parle du ciel sur la terre. » –Il tend la main qui a parlé, ni roi ni reine, ni Un simple pion gelé par la persévérance. Alors vint là quelqu’un qui d’un geste posa Sa main sur son épaule vaste terrain vague Encombré des débris de son humanité, Et versa son obole comme une réponse Au sphinx inamovible de Memphis. « Ô toi dont le visage est devenu la face Du vent de l’hiver »déclame un corbeau, « Tu t’es fait ton hiver, tu crèches sous Saturne ». Dans des combles, son joint en main avec un livre Sous un allogène puissant, lit défait : –‘quelle auréole pour Lamia ? quelle autre pour Lycius ? quelle pour le savant ? Le Vieil Apollonius ? sur le front douloureux de Lamia que l’on pende des feuilles de saule et un dard de vipère’. Les jambes étudiantes, suaves pipeaux, Miment les caniveaux. Flaireurs les chiens se tendent Vers les urinoirs fantômes des maisons. C’était près de la Seine, un gnon, et puis un gnon, Puis un corps étendu comme un linge mouillé ; La colonie des rats, l’odeur sale des ponts. –« La ville… » dit quelqu’un« est devenue »… le son Se perd dans le passage avec les nymphes pâles Du fleuve vineux charroyant ses flacons Et ses clacksons graisseux et ses relents cambrés Comme des sortilèges. Des feux chatoyants Passent sur les péniches, l’œil des amoureux Pétris d’adoration.–« Des ombr’s’ tripotaient J’les lorgnais mais macache, c’était comme deux mecs Mais j’en étais pas sûr, c’était un peu barjot : Le froid me les gelait, je n’pouvais pas bander, J’ai vu passer comm’un’comête, un rat panat ! »
Des boites sur les quais avec des noms, des corps La ville perd ses membres, les jette à la lune Mon ami Pierrot porte un nom suranné
Et sur les bateaux Mouche à tour de bras ça chante : « Voir Paris mon cœur ma chère Miss Gordienne » Et des verdures pissent le long des quais noirs, Les grands magasins trichent sur l’emploi du temps Des choses, des lumières. Et la conciergerie, les seins de Notre-Dame, Se rongent de manquer d’un rien d’éternité ; Un ongle de lumière incarné comme un cor Sonne son hallali rapide et chassieux sous La coupole du soir, demain il fera jour !! Et c’est comme un regret des rives siciliennes, Le cruel bon temps, celui « qu’est dans la Seine », Sa crue est : Demain.
Le flot bouge son attirail de baïonnettes Dans les yeux pleins d’ombres qui longent les quais Comme des poissons morts, présageant ce demain Dans un bruit de moteur marin et d’odeur verte.
–« La ville nous enserre dit une étudiante prends-moi dans tes bras et serre-moi plus fort j’ai un petite trouille on dit ? ou les chicottes ? le Mouche elle est perfectmydear, je veux chez nous. »
Les lumières se précipitent dans la Seine Sans pouvoir couler au fond où sont les ombres –« Quand on pass’ sous l’pont j’ai comm’un p’tit frisson qu’la pierre a nous écrase » dit un garçonnet. La ville est silencieuse comme les silures dans les draps du fleuve –« dit pas n’import’ quoi ça gueule de partout » –« je parle des choses, L’air de la chanson ».
VI
–« Ton corps est un hôtel dans les draps, l’écriture drapée de mon désir, l’hiver Est la saison des draps »– (lettre trouvée froissée dans le Compartiment) Elles disent je t’aime à leurs portables, D’un pouce amoureux : c’est doudou à dada. –« L’autobus met du temps, je peux pas te parler à cause de… trop long ? oui je disais… j’te laisse j’srais rentrée pour midi. » « Pour vivre dans le bruit du monde sans souffrir Il faut entrainer le plus de gens possible Dans ses illusions », dit à peu près le type du roman de Roth. –Barman voulez-vous bien me montrer cette image Prise entre le cadre et la glace du miroir ? –Ha, Monsieur veut-parler de la carte postale ? Une vue de Megève, un souvenir d’hiver, V’pouvez vous la garder, m’l’enlever d’la caboche : Cachait l’crottin des mouches ! « La réalité qu’on regarde prend la place de l’image » « On ne peut chercher que dans un espace, car c’est seulement dans l’espace que l’on a une relation au Là où l’on n’est pas. » Une circulation littéralement folle, des cheveux volants Des cuisses conquérantes nonnes sur des corps De diablotins femelles, parfums orientaux. Des cris à gros sabots : la paillarde me suit… La pollution des mots dans celle du brouillard, chacun bien s’entresuit continue la chanson De ce pauvre Villon.
Les écrans s’illuminent pour l’information. Voilà pour qu’ils se pressent, le foot, les journaux Télévisés du soir, la famille en déclin : Oh la bonne nouvelle !!! La Seine a coulé Son bronze sous ses jupes, on prévoit une crue Sous le pont Mirabeau. –« Le mec assassiné C’est toujours un poète, donc son assassin Qui titube de joie dans la neige et le froid »–, Pense en silence l’homme qui prend le trottoir, Glissant et miroitant, pour son attaché-case. Sur un mur, est écrit tagué en rouge vif : Attention la prostitution est menacée.
VII
–« Grise mon ami est toute théorie Et vert l’arbre d’or de la vie » La foule se précipite vers la réussite Couleur de l’asphalte ou d’un œuf de guenon Ce qui ne veut rien dire que la réussite –« Tu la crach’ ta Valda ? Les clacksons manifestent, Les coqs de la ville en rut zieutent les poules Qui font les trottoirs avec cette innocence Des bonnes pondeuses snobant les bruyères : –« La chasse aux perdrix fait se lever les choses, Rendues plus visibles et plus réussies ». Le gai passant flâneur avec son carnet d’or Son « lutin » acheté dans quelque monoprix Passe au vert qui sifflote. La roseest la chute amirale des chutes, est la définition de la vie, Pense-t-il à écrire, le scribe aux yeux verts !!! Et traverse le vert, frôlant des barbelés Langue tirée au clair comme les amoureux Qui traversent les clous : « des faînes de Judée ». Les machines de l’air écrivent dans les arbres ; Et dans le beau sourire ailé de la passante Qui est son souci, une canne d’aveugle Est une information pour toute la journée. Trois très petits enfants en patinette passent Et talonnent le temps, riant, vers l’avenir Qui leur confisquera l’élan vers cet élan Sans but ni perspective, c’est l’ange de Klee. Trois très petits enfants exaltés par un chien, Le présent qui aboie, comme leurs pieds aboient Le sol qui reste là, fidèle et permanent. La canne de l’aveugle, entre les deux serpents De la ville tâtonne sur la traîne blanche De la robe que pose sur son dos voûté La fille de Saturne.
–« Moi qui me suis assis aux pieds de Thèbes et qui suis descendu dans le puits de la mort je sens l’humidité des draps chauds de la ville m’enserrer tout vif. La pluie montre sa cuisse mince d’épitaphe, de criquet farceur et son odeur de chambres meublées pour une heure qui vient des dessous que je porte, deux vies en attente de quelque aventure, je vis toutes celles qui sont dans la brèche, deux lignes de chance, deux vies et donc entre deux eaux. –C’est un quartier très chaud, disent certains, rêvant la locution magique, l’ambigüe locuste et son fameux poison. Des ponts se multiplient entre immeubles de mauvaises vies. Ça fait rêver le limon des sermons hypocrites, jugeant avec délectation ses propres fantaisies. Je sens cette mauvaise dentition des mots mâcher la pluie qui tombe bas jusqu’aux enfers où s’ouvrent les vacantes chambres des possibles en instance d’un bleu célestement immatériel de Butagaz. »
La ville sent le poisson quand le jour tombe, –« J’ai mes affaires, attends demain, ou par derrièr’, Mais j’préfèr’ pas » –Les restaurants préparent La cène de minuit ; les sushis irradiés Sont rayés de la carte du tendre –On ira dans la chambre-panorama d’nos diasporas ouvrir le goitre brun des fruits de la passion. Les corridors, cornes baissées sous la coupole Foncent sur le rouge du siècle à venir ; L’enfant léporidé rêve d’être banquier. –« Aujourd’hui cher monsieur on visite la tombe De monsieur Kardec, on est au spirituel Comme aux spiritueux ! » Des gens vont aux offices Des plus comestibles, et des plus juteux –Ici, oui c’est la foule, on va chez les putains À Pigalle la chaude– et seulement parler Pour changer de soutane, décorer sa tombe En gestation folâtre, sa vivante chair, Avec le chrysanthème d’un décolleté Profond comme Socrate. Oh ! qu’est-il arrivé aux tonnelles de notre Chair, cheveux mêlés aux sueurs leptotènes ? Interroge l’odeur du fleuve en hauts talons. L’horloge bat sa coulpe comme un joueur ruiné.
C’est l’heure du désert de Gobi de la soif Et des brunes lunettes d’un cul rebondi Qui passe incognito.
–Je n’aurais jamais cru que le ciel pue autant Et qu’les les passions dernières fussent si lascives Bougonne le vieux et qu’la pensée se fige Autant, de plus en plus : "my dear, my dear, o dear It was an accident"
–« Chère Thérèse il ne faut plus que tu sois plate comme une punaise »
–« Ce n’était pas écrit »– ironise un passant Delphique comme un tract
(Qui conduit une chèvre en forme de barbet).
Un tremblement prend le feuillage et ses dix doigts Comme l’oracle à Delphes.
Décembre 2013 - Janvier 2014 |
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