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Extrait de : Bottelage
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 Article publié le 13 septembre 2020.

oOo

C’est là qu’elles sont , je danserai dans leurs chœurs avec elles.
Euripide (Les Bacchantes)

Faut-il s’oser ? dit Paul en sautant sa propre haie qu’il est devenu. Louchant vers la ferme et vers la remise à foin où sont les femmes et les fourches belliqueuses autant qu’aimantes.

L’air chante autour de ses roues herbues et prêtes à équiper les futures charrettes.

Pierre répond à peine un pudding de mots ronds et gélatineux pensant :

- Colette et le purin.

Les herbes sont dévouées à quelques grandes biques, femmes faméliques, que saute et s’ose donc Pierre et son burin de cœur en fer de lance en main.

Les imagine nues aiguisant une faux avec un long sourire rouge entre les dents.

-Ça doit danser les foins serrés à la ceinture pour venir à nous plus abusivement s’abuse Pierre (dure).

Paul racle un peu sa vue contre les distancées bourriques de l’endroit.

-Elles viendront à nous ou bien c’est nous qu’on doit ? point d’interrogation.

Paul aime mal parler comme on dit et Pierre dit :

-c’est elles con.

Les femmes sont en pleine esbroufe de boulot parmi les foins et leurs promesses commentées de futures culbutes dans les foins coupés. Paul et ses cuirs langagiers volontaires, fait à la langue ce qu’il fait à Colette avec l’avidité de la dite et ses bâts.

-De misaine répond un écho verdoyant auquel Pierre en répons :

-tu m’emmerdes. .

-Attendons les, n’allons pas plus avant et travaillons des yeux vers la ferme où ça vanne.

Un grand cri met le feu au cul des environs avec leurs avirons qui pour l’heure ne remuent que cette humidité qui suppure du soir. Paul se touche l’envie qui nenni est un but mais un trouble des mots restés de la pensée. Du brouet Coletien. Et bande sa longue vue de chair : évalue la distance : haie/ ferme/ et remise.

-Tu crois qu’elles sont jeunes et canon les donzelles demande sans parler Pierre inquiet ?

-Pourquoi donc tu questionnes ? ne demandera pas à qui n’a rien jacté rote le Paul un pied déjà sur un peu plus de territoire : un arpent vers le foin, des saletés de plus. Et resaute la haie qu’il était devenu.

-Puis-je ? ne demande pas Pierre l’enflé qui avance : 

- mimerai-je ou pas ta haie de longue vue vers la remise ?

Saletés de plus est : penser à Colette et à ses collections d’araires caressants jusqu’à l’inquisition pour qu’Éros avoue tout.

Paul dit sans dire et sans même penser :- tu connais la Colette, elle a des « mes copines » certainement tout aussi canon qu’elle.

-Il y a des formes qui s’agitent là-bas dit sa vue basse à Pierre quelque peu septique 

C’est comme aller vers le soleil avec un crêpe de deuil appelé stratus ou cumulus ; Elles sortent on dirait même qu’elles s’instituent dans la campagne en stratosphère ;

-Gros mollets gros seins marmonne l’un des deux dont un corrige silencieux :

-c’est la vue qui déconne et déchante avant l’heure.

Un petit bruit fait sa petite entrée dans les herbes qui crissent. Hello !!!!

-ça vient de loin : et loin- c’est elles. Ce sont elles.

Une odeur se précise : murmure d’eau sale et nue comme un aveu d’abbé coquet. De loin s’avance un contingent femelle en cotillon de foin et rires avec des cornes belliqueuses de vaches normées comme dans les vignettes pour enfants normés, et donc déjà morts nés.

-entendez vous le pas des fleurs du printemps comme chantait Sappho ? déclame Paul

- Elles ont picolé ma parole s’exclame en son for Pierre qui sent son sang danser et crier évohé o bacchantes venez.

Le cortège de vie retourne la prairie et bute un sol épais monument de surface plein de draps plissés comme un terrain amant de plaques tectoniques.

Leurs cris sentent la vase à mesure que Paul et Pierre voient leurs anatomies, membres et gorges nues tout pleins de sang séché sous un sang rutilant. Colette est rubiconde et presque dénudée jusqu’à la nudité intégrale : donc nue comme une dent qui mord ( fouinesquement) : donc : celle d’un trident.

Ils allaient… mais soudain se coupent le silence au tranchant de la faux ou d’une herbe tranchante (l’écriture coule quelque soit l‘agent).

 

La moisson autochtone du serpent-dragon montre des cuisses dingues entre lesquelles s’occupent des cohues de mains d’agave qui empognent. Leurs mains innommables charrient des espaces entre les meules des Pierre-Paul qui deviennent fagots à lier comme des fandangos.

Le chœur des nanas suinte un remugle fort de foins coupés et liés à foison de mollets vus de près et savamment dosés.

-Tu dois le reconnaitre pense Paul, et ce, en aparté à Pierre qui d’un cil approuve à l’air absent de l’autre.

Les filles se rameutent parmi les effluves du vin des travaux à languottes-veux-tu. Colette est un peu la culotte des autres. Bien entendu culotte mise à bas pour des cunnilingus aux fosses campagnardes.

Angèle la plus forte est la charrue ad hoc pour entrainer la troupe et Pierre s’y met en soc. Becs et ongles les voilà devenues insectes bien fournis en articulations qui pincent et triturent.

Paul s’agrippe à Hortense la problématique qui n’est qu’une aisselle fortement velue où Colette se tient voûtée comme un aqueduc de sueur.

-On est là pour fouiner, les filles, s’annonce Paul à lui-même imaginant l’orgie brutale des possibles.

Pierre corrige (bien sûr en pensée) Paul qui s’est rabroué pour cet écart (ement) et regarde de biais Pierre se taire fort et se tarir à force d’horizon probable et bottelé déjà, depuis toujours en lui.

- Faner et pas fouiner .

Les autres filles sont tapies plus loin dans les haies nues les pieds dans le ruisseau qui coule de leurs reins. Elles sont crottées de baies sucées et ce, de bouche en bouche comme une pensée mal jointe à la réalité, comme dans Théorie et Praxis ce scaphandre troué.

La campagne se bouge en se tirant les cartes.

Les mollets vont vite parmi les orties dont le mot fait bander Angèle qui pétrit des angles jusqu’au sang. Ce sang qui fait le funambule sur le fil des serpettes, ces lunes des foins. Si l’Angèle godaille c’est que Pierre en entier, tout entier est Angèle : une pierre taillée : est une vergeture de l’angle Angèle en lui.

-C’est comme une charpie dit Paul à la contrée pleine de bruits de bouches et d’écarts.

-On se fait un sang d’encre ailleurs où l’on a peur d’y perdre la raison se répand Pierre brumeux soudain flapi du bas qui coule dans le tuf crissant et asséché d’élytres déboulant pour de vrai du Littré. Ruisseau philosophique à ses pieds rehaussé d’un viril pissenlit.

Le dieu dont il branlait le coude gémissait en lui qui subissait le joug turgide des menottes sales des mégères
tueuses de l’après-midi.

-Je ne vois rien venir pense Paul qui regarde

 Et Pierre un peu plus tard qui croit encore au loin…

Ils rejoindront la ferme qui n’est que poussières de l’après midi dans la chaleur moins herbivore que carnivore avec l’Evohé en main (et sur la langue), d’un manche de fourche.

Après ce silence d’affrontement bâclé d’un dieu turbulent ils se parlent déçus l’un à l’autre pensant :

-Que pourra-t-il bien me dire après ce qui s’est passé ?

-N’est-ce pas cela l’intelligence : une modeste douceur dans les mollets après le divin tremblement ?

Ils débouchent le litre et disent : à la tienne.

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Commentaires :

  Commentaires (sic) sur « bottelage » par Gilbert Bourson

Je dois avouer que pour choisir mon titre, j’ai pensé à l’expression : « proposer la botte à quelqu’un ». Ne restait plus qu’à trouver l’occupation de mes deux énergumènes, et de les placer dans un lieu sujet à toutes sortes de mutations et perturbations, propices à leur en mettre plein la vue.

La vue est intérieure, même quand elle donne accès à l’extérieur avec les organes adéquats. Une prairie me parut l’endroit où la lumière permet grâce à ses perpétuels changements : poussières et pollens envahissant l’atmosphère, de voir ce que l’on imagine, et que l’on voudrait voir dans cette collecte permanente de fantasmagories du réel. Même le nom de la femme de Paul évoque la collecte des informations qu’il peut trouver en elle afin d’à travers elle avoir Toute la Femme.

J‘ai fait en sorte que Colette soit la clé de voûte des oiseuses visions de Paul, ainsi que des détestations de Pierre. D’où l’évocation du purin susceptible de stagner dans la remise et d’avoir communiqué son parfum à la compagne de Paul, donc à la campagne elle-même, pleine des fragrances où pullulent ensemble : abeilles corsetées de pollens « sentant bon » et mouches débraillées en quête « d’odeurs basses », les unes et les autres en accord de synthèse à propos d’olfaction et de son appréciation.

De débandade en débandade mes deux botteleurs-voyeurs ne bottellent que leurs faunesques illusions. Mais dans leurs illusions ils glanent quelques bouts de corporéité en se donnant à eux-mêmes la preuve indéfectible que le dieu réside en soi et qu’il franchit les haies existentielles.

Le sens rougit toujours quand s’évoque une envie de corps, de sueur, d’étreinte ou de confrontation avec l’élément nu. Ici le foin coupé que des filles remuent dans un lieu qui n’existe que de loin en loin, une remise à foin qu’il faudrait déloquer. Un lieu à mettre à bas, à fouiner donc de vue, à vue aveuglément.

J’emploie le mot « ferme » parfois me perdant dans le nombre des attributions de bâtiments ruraux ayant en tête cette basse cour que se font certains corps fous à lier de leur sang, qui les conduit aux trips avec les amoureuses les plus agressives, ces bacchantes qui parfois tiennent dans un gland ou le fruit orageux d’un oranger, celui qui a séduit Chateaubriand via l’abbé Rancé, par son odeur lui évoquant sans coup férir un profane parfum d’Andalouse.

Mes bonshommes ne se parlent pas, chacun jouissant de son activité campagnarde qui tant les bottelle avec ses insistantes périodes ligamenteuses, que leur imaginaire s’épand comme un pollen où percevoir les milliers de corolles paniques qui le dissémine. Ils s’arairent en quelque sorte, jusqu’à labourer la grammaire des choses où la langue se perd dans le corps du texte.

L’écriture louche toujours vers le lieu où la langue retourne les foins du langage (ou l’inverse). Et c’est dans la poussière qui est sa lumière et qui semble sortir d’une grange (ou de quelque entrepôt), qu’elle lorgne en clignant pour gerber et meuler son agreste fiction. 

épandre


  Cas pathologique d’un égoïsme formidable ? par Patrick Cintas

Cher Gilbert,

Un peu par provocation (tu me connais…), mais surtout parce que je souhaite t’entendre encore et encore me parler de ton art (ou de ce que tu en penses…), voici un extrait d’un de mes essais publié ici dans la RALM) —

Je déchantais aussitôt, non pas parce que des voyous prenaient le pouvoir directement ou par procuration post-mortem, mais parce que je voyais bien qu’en abandonnant ses aspirations ’schizophréniques, la littérature s’adonnait à la ’paranoïa, sorte de divagation qui peut bien passer pour de l’art, mais qui n’est somme toute qu’un aspect de l’ignorance et de la superficialité qui forme alors le lit des textes proposés à l’achat. Ainsi, comme je l’ai formulé ailleurs, au lieu de dire : « La marquise est sortie à cinq heures », on écrit « Cette conasse s’est cassée à cinq plombes pétantes » — genre prisé des défenseurs d’une littérature digestible — ou « J’étais là quand elle s’est extraite, couvert d’horloge et passablement inquiet pour le devenir du peuple » — commentaire du commentaire comme il arrive à ceux qui n’ont pas grand-chose à dire et qui le disent quand même… Et je passe sur les pseudo jargons hérités de Michaux et de lectures obliques de Freud. En résumé, le paranauteur traduit sa médiocrité intellectuelle et artistique en enfilant du vocabulaire et des règles qui tiennent plus du football que de l’intelligence et de la perspicacité naturelle aux véritables créateurs, que ceux-ci soient chansonniers ou poètes des profondeurs, narrateurs du romanesque et ou contempteurs du roman où il ne se passe rien parce que ce n’est pas le sujet, etc. Comment ne pas alors finir par considérer que ces paranauteurs ne sont pas honnêtes ni fréquentables ? Pourtant, leurs bouquins ont bien souvent pris la place des grandes œuvres de l’esprit et même s’imposent par leur « cri » et les difficultés lexicales. Là où les mauvais poètes du XVIIIe siècle augmentaient les mots d’une majuscule explétive sans en accroître donc la portée signifiante, les paranauteurs fouillent les dictionnaires spécialisés pour nous faire passer les vessies, qui servent ordinairement à ne pas se pisser dessus, pour des lanternes dont ils sont évidemment les éclaireurs.

Il est arrivé, au sein de ce forum, qu’un lecteur volontiers populiste s’insurge si puissamment contre ta « littérature » que je me suis vu contraint de ne pas publier ses diatribes somme toute peu judicieuses. Gilbert, es-tu un paranauteur ?

Ce débat est important, car tu n’es pas du genre à baisser le nez devant les provocations (incessantes) des partisans de l’accessibilité ordinaire. Que ce soit en prose ou en vers, quelle est ta « joie » ?

 


  Contre-attaque par Jean-Michel Guyot

Quoi qu’on pense par ailleurs de cette philosophie nouvelle, un peu partout de diverses manières, la conscience s’est répandue que l’angoisse n’est pas une souffrance négative et supprimable, mais une façon d’être essentielle à l’homme, sans laquelle nous n’avons de l’Être qu’une expérience inauthentique. Il est banal aujourd’hui de parler (peut-être est-ce un peu superficiel) du prix, de la valeur et du sens profonds de l’angoisse. Il se peut qu’à Fribourg, à Heidelberg, Heidegger, Jaspers reprennent leur enseignement. Mais, si des esprits avides d’horizons plus larges, cherchent des lieux d’où l’on aperçoive dans son étendu tout le possible de l’homme, je veux penser que ces écoles où reparleraient les philosophes de l’angoisse les laisseraient déçus : dans des salles de cours, on ne mène pas loin l’« expérience de l’être ». [En revanche] je doute qu’il existe aujourd’hui un peuple ou généralement des hommes susceptibles d’apporter aux autres un enseignement plus authentique que le peuple ou les hommes de l’Espagne libre. Georges Bataille, in L’œil de l’expérience, Actualités, 1945

Si l’excellence individuelle est souvent signe de servilité, il ne s’ensuit pas que nous puissions résoudre la servilité de l’esprit si nous ne disposons que de faibles moyens intellectuels. Georges Bataille, in A propos d’assoupissements, 1946

L’infraction de lois données dépend du pouvoir que gardent ces lois. Et comme elle tend à les priver de tout pouvoir, elle tend à devenir vide à son tour. Georges Bataille, in Labyrinthe, 1946

*

Il y a fort longtemps - mais en matière de connaissance solide le temps ne compte pas - mon professeur de Latin nous apprit que bâcler un travail, le saloper, se dit en latin elucubrare, c’est-à-dire littéralement travailler intellectuellement à la lueur blafarde d’une vilaine bougie, les yeux tirés et incapables de vraiment se relire correctement.

La faible lueur d’une bougie - lucubrum - projette paradoxalement une lumière crue sur un travail qui se veut lumineux, mais se révèle pour ce qu’il est : un travail d’une affligeante médiocrité.

Une élucubration, c’est du mauvais boulot, du travail salopé, de la pensée bâclée, un texte mal fichu et mal pensé.

A l’heure actuelle, une élucubration désigne un fatras d’idées mal ficelées et mal dites, mal dites, c’est-à-dire mal pensées, foutraques en d’autres termes.

Ce qui pose le problème de la mise en forme : est-elle si nécessaire que cela ? ne peut-on envisager, imaginer, admettre qu’une pensée foutraque, désossée, désincarnée, mal agencée et, pourquoi pas, exposée dans un texte truffé de fautes d’orthographe - ait une valeur propre impossibles à évaluer, si l’on s’en tient aux canons de la bienséance littéraire ?

A cela je répondrais qu’on fait de l’Académie et de l’académisme ce que l’on veut dans la limite de ce que l’on peut.

On peut l’ignorer purement et simplement, s’en moquer comme d’une guigne, et faire naïvement, comme bon nous semble à nos risques et périls, car les critiques ne manqueront pas de nous tomber dessus comme volées de bois vert.

On peut aussi décider de la combattre en s’inscrivant en faux contre ses ukases, auquel cas l’on s’embarque pour une aventure au long cours qui risque bien de déboucher sur de nouvelles normes tout aussi contraignantes, mais, certes, réservées à un cercle restreint d’adeptes enclins à stigmatiser leurs adversaires, l’adversité ayant cette « vertu » bien connue qu’elle contribue à resserrer les rangs des membres de la secte qui se sent attaquée.

Il me paraît plus intéressant, et beaucoup plus aventureux, de considérer l’académisme comme un ennemi intérieur qui nous guette tous, un adversaire pugnace, bien armé et surtout imbu de sa séculaire légitimité bâtie puis patiemment construite en un riche lieu réservé à une élite qui a l’heur de complaire aux pouvoirs établis.

Cet ennemi intérieur offre le considérable avantage d’être à la fois omniprésent, extrêmement visible et dans le même temps fort sournois. C’est qu’il agit à la manière d’un puissant aimant, quasiment irrésistible en ce qu’il oriente tant nos pensées que nos écrits, nos écrits pensés-repensés, nos pensées écrites-réécrites.

Il consacre la pensée écrite, en lui conférant le primat du sens et la primauté qui en découle.

Le primat du sens, c’est très simple : n’a réellement de sens que ce qui peut s’articuler en un écrit dûment pensé et réfléchi.

Réfléchi par la pensée qui se pense penser.

Penser, alors, peut aussi bien être affaire d’imagination que de réflexion pure, parfois même, comme ce fut le cas chez Hölderlin et Nietzsche, et plus proche de nous chez René Char, penser, consiste à concilier l’axe poétique et l’axe philosophique au risque de paraître fort obscur, difficile, inaccessible.

Et c’est là que le bât blesse certaines personnes qui inclinent à penser, suivant en cela leur pente naturelle figée-érigée en destin, que le sens ainsi prôné n’est rien qui vaille en un sens mais seulement dans tous les sens possibles, c’est-à-dire, tant au sens latin que germanique, que nos cinq sens indiquent une direction et une voie à suivre, ouvre un chemin en constante mutation et en perpétuelle ramification, et que seul, dès lors, l’itinéraire, même insensé, même délirant compte, sachant que la fin, le bout du chemin, l’arrivée, la halte sereine ne sont pas pour demain et peut-être même ne seront jamais données.

Cette pensée ouverte au cheminement peut se trouver désorientée et tourner en illusion rédemptrice : on s’imagine penser, alors qu’on ne fait que s’illusionner sur la portée d’une pensée faible foncièrement incapable d’accueillir l’inconnu, l’étrange et l’étranger.

Une pensée faible, en proie aux railleries, s’en trouve blessée et tente à son tour d’être blessante. Sa vulnérabilité foncière tient à son manque d’envergure et d’ampleur. Son amplitude est inversement proportionnelle à la fréquence des attaques qu’elle lance. Le désorienté peut bien s’agiter en tous sens, ses efforts ne mènent nulle part et l’enferment progressivement dans une gesticulation verbale insane, dont il ne peut sortir que la queue basse.

Le non-sens, disons-le tout net, consiste dans cette perspective restreinte - le spontanéisme anti-intellectuel qui vise et valorise exclusivement « l’accessibilité ordinaire » (Patrick Cintas) - à ériger sa vie et ses manques en principes d’écriture à l’exclusion de tout autre perspective ouverte sur l’obscur, l’impensé, l’étrange et l’étranger, en un mot le non-familier.

Ce non-sens-là carbure à l’anti-intellectualisme, qualifiant tout ce qu’il ne comprend pas de prime abord de masturbation intellectuelle, rejoignant en cela une tradition mortifère.

Je me souviens, oui, je me souviens de ce rire de connivence qui unit quelques secondes la jeune femme que je croyais aimer alors et un ami rencontré au lycée, au moment où cette dernière s’amusa à réduire l’activité intellectuelle universitaire dont nous étions tous tributaires en tant qu’étudiants à de la masturbation intellectuelle.

Cette charge contre la masturbation avait de quoi faire rire en ces années de libération sexuelle où toutes les pratiques se libéraient pour le meilleur ou pour le pire, je vous laisse juge. Je me sentis visé par cette remarque hilare et me fermai aussitôt comme une huître. Les perles ne viendraient que beaucoup plus tard !

Je vois clairement à qui j’avais affaire, le vent de l’aile de l’imbécilité, et celui, encore plus redoutable, du meurtre de masse, me frôla ce jour-là dans ce qui paraissait être une remarque anodine, innocente, en fait perverse.

Je me sentis imbécile en effet, incapable de répondre quoi que ce soit d’incisif et de décisif à cette charge en apparence inoffensive. J’en fus durablement marqué parce que cette phrase anodine illustrait ce que je sentais alors être déjà à l’œuvre dans la société française de l’époque Nous étions en 1980, un an avant l’élection de Mitterrand, qui fut pour moi la première et l’ultime illusion politique dans le panneau de laquelle il me fut donné de tomber, comme beaucoup d’autres.

J’irai jusqu’à dire que je me sentis menacé dans mon existence et ma raison d’être ce jour-là. Et cette impression n’a jamais cessé de m’habiter, marqué que je fus par mon histoire familiale. On peut y voir une forme de paranoïa, moi, j’y vois un avertissement qui sonna le glas de ma déjà fragile tranquillité d’esprit de jeune homme tout à la fois naïf et très au fait des horreurs commises au nom de l’anti-intellectualisme.

Un vilain mot, certes, pour une bien vilaine chose.

Me revient en mémoire une bribe du discours de Goebbels tenu lors de l’autodafé organisé à Berlin avec le concours des étudiants berlinois : « Das Zeitalter eines jüdischen überspitzten Intellektualismus ist nun zu Ende. »

Dans un texte récent de Gilbert Bourson, remarquable de bout en bout, et joliment intitulé « Eloge de la masturbation, donc de l’écriture », j’ai pu retrouver cette verve que j’aime, incisive et presque froide, mais en fait brûlant d’un ardent désir de poésie que j’aime entendre et lire sous la plume d’un auteur de première grandeur. Gilbert Bourson est de ceux-là et il fait mouche à chaque phrase.

Je ne tisserai pas les fils rouges et bleus et jaunes, jaunes surtout, jaunes comme on rit jaune, qui lient, relient, entrecroisent l’intime de ma pensée tournée vers le monde d’aujourd’hui exposé au pire. Il suffit de lire entre les lignes de ce déjà trop long texte pour sentir et ressentir ce qui motive ma prise de parole.

L’anecdote de la masturbation intellectuelle narrée plus haut m’est revenue en pleine figure en lisant d’abord le texte d’un ralmiste intermittent, intitulé « Stop à la masturbation de la plume ». Le texte de Gilbert Bourson est à l’évidence une contre-attaque finement et puissamment menée contre ce genre de façon de voir et de dire.

Le dire ici engage tout l’être, la façon de voir n’étant que l’enfer du décor dont le ralmiste en question n’envisage pas une seule seconde toutes les funestes implications. 

Je ne suis au sommet de rien, et dans certains régimes ma place serait au mieux dans un charnier. Mon antinazisme et mon anticommunisme trouvent là leur origine : de gauche, de droite ou du centre, je me fous bien de savoir d’où vient le danger, je sais qu’il est là, qu’il veille et se réveillera à la moindre occasion.

J’estime en effet que tout est lié, qu’un glissement individuel s’opère avec une facilité déconcertante vers une idéologie x ou y constituée, passée ou présente, résurgente ou morcelée, qui a essaimé dans nos sociétés modernes après la Deuxième Guerre Mondiale.

En sommeil, comme une bactérie ou un virus capable de muter à grande vitesse, l’anti-intellectualisme est sur toutes les lèvres de ceux et celles qui veulent ignorer et la raison et ses marges, et tant les sciences que les arts.

C’est un univers dont la circonférence est partout et le centre nulle part, d’où, hélas, la difficulté de s’attaquer frontalement à ce phénomène délétère dangereux pour notre liberté et notre sécurité. Les états modernes certes, à quelques exceptions près en Europe au moins, ont laissé de côté la haine des Juifs et des intellectuels supposés être leurs affidés : les classes dirigeantes, les hommes et femmes politiques, les dirigeants des grandes entreprises, les hauts fonctionnaires, tous sont devenus prudents, beaucoup condamnent sans réserve la haine susdite au nom de leurs principes démocratiques, ce qui n’était pas le cas avant la Deuxième Guerre Mondiale. On se rappelle que la classe dirigeante et l’aristocratie anglaise, l’administration et les grands entreprises » nord-américaines (que l’on songe à Henry Ford…), la classe politique française, etc… étaient littéralement infestées de personnes hauts placées qui haïssaient les Juifs et les intellectuels.

Un grand paranoïaque interné dit un jour à un ami professeur d’université : Taisez-vous ! Vous n’existez pas ! On songe, par-delà ce triste exemple de folie furieuse, au projet nazi qui se voulait de portée historique, mais ne pouvait se revendiquer tel au grand jour, sans révéler son infamie.

On débouche en plein absolu de pacotille, les bords de la sphère étant, on s’en doute, toujours en contact avec l’altérité dont elle nie l’existence, et dont elle a besoin pour affirmer qu’elle peut s’en passer et vivre en autarcie complète. Pour être vraiment seul, il faudrait être le seul à être seul, et pouvoir s’en assurer.

Tout texte, dans cette perspective paranoïaque, devient une auberge espagnole qui s’auto-alimente.

On y trouve ce qu’on y apporte en vrac, et ce qu’on y apporte, c’est son ethos, sa manière d’être, de dire et de faire, sans tri préalable, toutes les nourritures-pourritures spirituelles étant de facto réputés bonnes à consommer sur place.

En somme, le lecteur abasourdi, ébahi, choqué, scandalisé, épouvanté ne peut que s’en prendre à lui-même, s’il se révèle incapable de se mettre à table pour consommer la nourriture au mieux faisandée fournie par l’auteur installé à demeure dans l’auberge dont il se croit l’unique et heureux propriétaire.

Parataxique ou hypotaxique, complexe, ramifié, exubérant ou au contraire linéaire, abrupt, avare de mots de liaison et au lexique pauvre, le texte, peu importe.

Le non-sens anti-intellectuel prime sur le texte ordonné, pensé, réfléchi jusqu’au vertige. Il faut savoir danser sur la corde raide au-dessus de l’abîme. Une corde tissée par nos soins.

Un texte ordonné, pensé, réfléchi jusqu’au vertige exige un travail raisonné de la Raison qui ne peut appréhender ce qu’elle ne peut être - l’irrationnel compulsif, débridé, spontanéiste - qu’en cédant momentanément à la déraison, car, enfin, le sens qui se cherche, le sens qui vagabonde, se perd et s’épuise dans sa recherche, s’il n’est pas le but premier ni le but ultime d’une littérature qui se fonde en se cherchant, n’en est pas moins le pôle magnétique vers lequel, irrésistiblement, se trouve attiré l’auteur du texte qui n’en peut mais au moment où il marche sur la corde raide qu’il tend de toutes ses forces au-dessus de cet abîme qu’est la condition humaine.

Pôle magnétique, vagabondage, corde raide, autant de moments qui dessinent une singulière géométrie au sein de laquelle marcher droit équivaut à aller de-ci, de-là !

Le non-sens anti-intellectuel qui s’adjuge tout le sens possible, excluant toutes autres possibles au nom du sens ne peut exister, s’épancher et se pérenniser que par le truchement d’un texte qui feint d’avoir un sens, et qui, persuadé de l’avoir trouvé, débouche sur une perspective de non-sens pérenne, le non-sens alimentant sans discontinuer l’illusion de sens qui entretient l’ivresse du non-sens à l’œuvre, devenu sa raison d’être, son moteur et son unique horizon.

L’anti-intellectualisme a de beaux jours devant lui, pour sûr. Ce non-sens proclame qu’il est seul à avoir la légitimité requise pour se dire sensé en vertu de ses manques.

Arguer de ses manques pour en faire une vitrine auto-complaisante, voilà qui est fort de café ! Le non-sens n’est qu’une vision abâtardie, euphémistique du nihilisme et de l’obscurantisme.

Il rampe dans les limbes de consciences obnubilées par leurs histoires personnelles dérisoires érigées en absolus.

Il ne s’agit pas là d’une quête asymptotique du sens, mais bel et bien d’un marasme langagier qui ne possède ni les vertus d’une lande couverte de bruyères, parsemée de tourbières aux eaux noires ni d’une mangrove luxuriante qui protège les côtes, tout en abritant des espèces d’oiseaux et de poissons en pleine croissance qui y trouvent le gîte et le couvert.

La luxuriance, l’âpreté des lieux nous sont également refusées dans ce monde clos sur lui-même.

Pas de fantastique elfique, runique, fantomatique ni de défoulement verbal rabelaisien.

Balayés d’un revers de plume des auteurs aussi différents que Sade, Mallarmé, Rimbaud, Lautréamont, Breton, Desnos, Char, Bataille, Blanchot, Sartre, puis biffés et enfin bouffés par une écriture qui trempe sa plume dans un lacrymatoire. 

Une morne plaine hérissée de pics et de ronciers où se frayer un chemin cause douleurs et désarroi à qui s’y aventure. N’est pas Siegfried qui veut en ces temps de disette mythologique.

Ecrivez pauvrement, savamment, linéairement ou bien en suivant plusieurs lignes de crêtes en même temps, peu importe.

L’essentiel, c’est d’introduire sur l’agora de l’opulente cité littéraire le cheval de Troyes d’une vérité qui ne s’avoue que se cherchant parmi des lecteurs qui partagent le même souci de vérité humaine hic et nunc.

Et pour cela, tous les styles sont permis.

Ni la force brutale de l’assaut ni la ruse du riche, cette ruche qui feint la pauvreté, ne sont de mise, mais la clarté, la clarté pâle ou flamboyante, lunaire ou solaire mais qui toujours s’obscurcit, dès lors qu’elle est confrontée à la connerie et à l’inculture, et qui prend, ce faisant, le risque vital de paraître obscure.

Une clarté qui refuse de mourir. Une clarté qu’on ne souffle pas comme on souffle une bougie, et qui jamais ne servira à allumer des autodafés ou des fours crématoires.

Une clarté assez rusée, assez habile, assez lucide en un mot, pour savoir qu’elle porte en elle toutes les obscurités originelles qui nous habitent et nous travaillent, nous hantent et nous font vivre, mais qu’elle renverse et retourne contre elles-mêmes, comme on renverse et relève un bloc de rocher dont on fera une pierre runique, une statue, un jalon, un élan.

Prendre d’assaut l’Académie en ridiculisant ses membres, voilà qui est aussi infantile que de s’imaginer pouvoir simplement l’ignorer en la contournant.

Il faut bien plutôt en traverser l’espace assourdissant et le sillonner un long temps pour espérer un jour échapper à ses charmes surannés.

En fouler les terres, les retourner en tous sens, jusqu’à les rendre ingrates, stériles et froides, réduites enfin au silence.

Il ne s’agit pas de conquérir pour piller des richesses dont nous n’avons que faire ni d’asseoir un nouveau dieu sur le trône céleste d’une foi nouvelle ou prétendue telle.

Ici, on ne se prosterne pas, pas plus qu’on ne remâche complaisamment de vieilles lunes et de vieilles rancœurs.

 


  Un poète par Jean-Michel Guyot

Loin de moi l’idée malvenue de me livrer ici à une quelconque défense qui n’a pas de raison d’être, inspirée qu’elle serait par une adversité médisante, tant l’évidence d’un Dit soutenu par un Dire puissant s’impose à mon sens et à mes sens comme une voix reconnaissable entre toutes.

Cette voix, je l’aime. Elle donne du bonheur.

La joie qui l’anime, tout à son auteur qui peut en être fier, tout idiosyncrasique qu’elle soit, n’en est pas moins communicative.

Tant pis pour ceux et celles qui restent sourds à son chant. 

*

Envergure, plumage et ramage… Tout cela à la fois. Eh oui… et rapporté l’un à l’autre pour donner un chant unique, une contenance unique et un acabit unique dans le paysage de la poésie contemporaine de langue française tous horizons confondus.

Un plumage coloré, chatoyant, digne d’un oiseau exotique encore inconnu. Qui plus est métamorphique, mimétique, varié et variable.

Un ramage aux modulations extraordinairement variées, une palette de couleurs sonores empruntés à tous les registres de la langue, un langage aviaire dont la complexité n’a rien à envier à quelque complexité delphine plutôt que delphique, si l’on veut bien me pardonner ce néologisme. Ce ramage n’est pas oraculaire, tant s’en faut, mais il porte en lui une énigme qui le porte vers des sommets de poésie en ces temps difficiles, mais quels temps ne sont pas difficiles ?

Une envergure impressionnante enfin, digne d’un albatros ou d’un aigle royal.

Tout cela, ramassé en une seule personne qui manie la langue française dans tous ses coins et ses recoins, soutenue par une syntaxe souple et ductile et un lexique d’une richesse confondante qui ne craint pas le mot rare toujours juste.

Ce poète est décidément un drôle d’oiseau, libre et fier mais qui aime à chanter autant pour le plaisir de ses congénères que pour toutes celles et ceux que l’envol lexical et la hauteur de vue n’effraient pas.

La poésie de Gilbert Bourson se passe allégrement d’un plaidoyer pro domo, n’a besoin de nulle plaidoirie pathétique déclamée en sa faveur, car elle parle d’elle-même à qui veut bien l’entendre.

D’elle-même en un double sens : l’œuvre est désormais si riche que chaque poème renvoie à quantité d’autres pour non pas former un tout fermé sur lui-même, une entité auto-suffisante et pleine de suffisance mais pour ouvrir sans cesse une nouvelle porte qui donne sur une pièce encore inconnue au sein d’un dédale savamment construit en expansion constante depuis de si nombreuses années maintenant. C’est bien ainsi qu’elle parle d’elle-même, qu’elle s’impose, poème après poème, avec une évidence toute naturelle.

Pour le lecteur que je suis, ces poèmes n’ont rien de bizarre ou de contourné ; ils créent un monde verbal dans lequel j’aime me promener en allant de surprise en surprise, frappé que je suis par la justesse des inventions verbales qui n’ont rien de trouvailles aléatoires, nourries qu’elles sont, ces inventions verbales, par une grande culture. La parole y est forte, vibrante, sure d’elle-même et pleine d’humanité.

Qu’on ne s’avise pas de la stigmatiser en la disant livresque, cette culture, car elle est non seulement parfaitement assimilée mais elle est aussi et avant tout vécue de l’intérieur et redonnée comme en passant, disséminée comme autant de clins d’œil au lecteur que ce dernier lit et vit comme autant d’énigmes stimulantes qui vibrent au contact d’autres poèmes et d’autres poésies d’autres lieux et d’autres temps, qui s’y frottent et s’y piquent, véritables stimulus qui entraînent l’imagination de l’auteur puis celle du lecteur vers des rives inédites.

Ces poèmes à lire, à dire sont des plaisirs de bouche.

Leur variété m’évoque, entre bien des choses, un marché aux fruits et légumes, aux épices aussi, dans un pays lointain si proche, une France ouverte à des saveurs et des odeurs rares et variées, tant exotiques que locales, marché où l’on parle une langue française savoureuse qui régale les oreilles un jour de grand marché sur une place bruyante, haute en couleurs, enlevée de cris, traversée par d’incessants conciliabules tenus par une foule sagace et heureuse d’y faire ses emplettes un dimanche matin.

Profusion à portée de regard et sonore oh combien pour toutes celles et ceux qui veulent bien prendre le temps de flâner dans les parages de sa mise, mise en son, mise en ligne, mise en jeu. 

Avec Gilbert Bourson, on ne s’ennuie jamais.

 


  Sur une feuille de hêtre par Gilbert Bourson

à Patrick Cintas
et en réponse à POÈTE de J-M Guyot

Que dire une fois de plus, aux gens « intelligents » qui trouvent la littérature obscure et sans pensées profondes, qui n’ait été dit concernant tant d’écrivains (Dante Shakespeare, Mallarmé, Ducasse (Camus n’y a rien compris), Faulkner, Rimbaud, Gaddis, Gass, Pynchon, Rabelais, Gongora, Joyce, etc… d’hier à aujourd’hui et inversement. En fait, de la littérature qui fait bouger le sens de la vie et ne se contente pas de décrire la soi-disant réalité, mais cherche où dénicher les possibles dans lesquels exister, dans lesquels se trouver une langue où l’exprimer.

La poésie n’est pas dans le constat banal du monde. Quand il pleut on n‘a pas besoin de nous dire de la pluie, qu’elle mouille, mais de l’associer à notre charge symbolique et donc de la métamorphoser (mais peut-être qu’Ovide fait-il aussi partie des obscurs comme Lycophron.).

Ce problème existe de tous temps. Pour être profond il faudrait seulement « discuter », tordre les « propositions » dans tous les sens, lesquels sens, sont le même accommodé à des sauces soi-disant « contradictoires ».

Il se fait que pour un écrivain « aventureux » ces propositions s’avèrent participer de la croyance qu’il y a un sens clair et qu’il n’y a qu’à le rédiger comme on boit l’eau du puits.

Un poème de Dylan Thomas se pense, plus qu’il n’est pensé par le poète. Le lecteur est requis par cette invitation à suivre non la pensée du poète mais celle du texte, qui tout à coup, fait partie des choses du monde.

J’essaie d’être le plus clair possible pour que certains me comprennent. Quant à moi, et à bien d’autres, je pense donc je EST dans les possibilités d’être contradictoirement et dans tous les sens, cet autre, ces autres que sont le poème.

Une autre façon d’être clair, c’est de leur dire qu’une certaine « intelligence » frôle bien souvent son « contraire » ou la pure cécité. Et qu’on nous foute la paix avec cette infirmité qui empêche certains « intellectuels » de lire. Mallarmé avait la politesse de les nommer « des contemporains »

Mais je conseille à tous de lire les textes magnifiques de Jean-Michel Guyot sur ce sujet. Ils sont d’une acuité et d’une pertinence, portées par une écriture en bec d’aigle qui sait fouiller les foies les plus jaunes et qui ne supportent pas les promesses de l’ombre. Je n’aurais pas l’outrecuidance de redire ce qu’il a si magistralement écrit, je l’aurais fait avec moins de talent, n’étant pas essayiste ni polémiste. Je le remercie de l’intérêt qu’il porte à mon petit arsenal poétique et suis heureux qu’un tel écrivain, dont j’admire l’intelligence (La vraie, laquelle fait son marché loin des étals où la doxa faisande parmi les idées-allégées préparées en barquettes), et dont j’apprécie hautement la poésie.

Je me sens en fraternité avec ce verbe puissant, cette fraîcheur de vue, cette ouverture au réel, ce dire frappant haut qui accepte et recherche l’éblouissement, le petit grain de nuit qui explose le jour, lequel est si obscur à certains.

Merci cher Jean-Michel Guyot. Nous sommes ensemble parmi mes « botteleurs » à rechercher et à guetter le terrible Dieu Pan.

Le poète est celui-là qui est réceptif aux pollens du réel, (que j’oppose à la Réalité, cette fille aux jambes grêles) et sait en éternuer les explosives révélations qui défatiguent des vieilles contingences, en levant les perdreaux que sont les poèmes (comme dit le poète Wallace Stevens) pour leur mettre le sel le plus déluré sur la queue (donc la langue) et faire chavirer la sérieuse raison.

Le poète est un rétiaire en quelque sorte. Il ne sort pas sans son filet, car bien heureux si le perdreau en question s’avère un adversaire à sa taille et particulièrement virulent.

Je n’oppose pas la prose au poème ni le poétique au fictionnel, il ne s’agit pour moi que de la manière d’envelopper l’un dans l’autre. Le récit dans le non-récit et inversement, donc de la manière d’en faire une histoire et basta. Quand je fabrique un poème ou une prose, j’habite un baril d’Heisenberg comme Diogène, et que je fais rouler comme un dé sur le vert, qui est sournoisement tapi sous la langue comme le mot Bengale ou flamboie ou tel autre incongru qui s’étant fourvoyé, prend sa fuite à son cou mais en m’y entrainant. J’aime que mon ramage soit aussi mon plumage, (puisque aussi bien Jean-Michel Guyot me fait l’honneur de me parer des plumes de Pan) et que mon battement d’ailes multicolores a parait-il le don de tenir éveillé.

Oui je fabrique ma poésie avec ce qui se trouve sous le pas des cavales d’Elée qui m’entrainent et dont j’ai les naseaux fumants comme horizon. Oui il est également juste que je fais mon marché où les mots sont bradés. Certains sont des légumes, d’autres des mollusques, des faisans, des pâtes, quelques fois des pierres, des algues, des sangsues. Mais ce sont toujours des choses plus concrètes que les choses avant d’avoir été nommées.

En fait j’écris contre l’ennui d’être sans cri, et sans aspiration à quelque paradis, capitonnant de joies fréquentes et multiples, la banalité et les répétitions. Ces joies ce sont mes pages non pas disgraciées comme le page de L’Hermite, mais graphiées sans pudeur et jusqu’à l’inversion. Je me permets parfois/souvent les pires sauts de carpe ou de diem et franchit mon otium comme le Rubicon. Mon trip est simplement cette littérature qui me confie le monde et sa délectation, n’en déplaise aux esprits profonds qui s’enterrent dans le composte maigre de leur raison à sens unique. Je me sens plus un artiste qu’un explorateur de ces profondeurs, et qui en bon péripatéticien arpente les étendues d’un bon pied comme Nietzche disait que l’on devait écrire. Voilà mes démêlées avec l’intelligence courte, que John Cage qualifiait d’irrationnelle, par défaut d’aller s’aventurer vers d’autres sens possibles.

La joyeuse folie des vues opératiques qui s’imposent en douce, convoque aussi un rythme où se déséquilibre l’oisillon fragile d’une idée qui couine en se carapatant. Suis-je un auteur parano ou pas je n’en sais rien et je m’en moque. Je colle des images sur des impressions lesquelles me viennent malgré moi, malgré l’autre, qui en fait se voudrait un peintre avec des mots, un musicien de capitons. Je passe le temps avec du temps, sans décider si quoi ou qu’est-ce, je bricole, me parachute pour venir me pendre aux branches d’arbres blancs de la minceur énorme d’un folio de Hêtre.

 


  Des "plans" de la lecture par Patrick Cintas

Content d’avoir arraché une feuille à ton hêtre suprême.

Une fois évacuées ces questions de compréhensibilité, peut-on s’intéresser à la lisibilité ?

Mais avant d’en venir à l’écriture comme instance du texte, qu’en est-il des plans de la lecture : littérale, allégorique, métaphorique, voire éthique (Dante) ?

 


 

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