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L'origine des lèvres - chez Tarmac éditions
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 Article publié le 7 avril 2024.

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« À la demande de Jean-Claude Goiri. Une vingtaine de pages sur liberté/aliénation. Je réponds oui. Oui à liberté. Non à aliénation dont j’ignore tout. Je laisse ça aux pisse-copie comme le bien-pensant Frantz Fanon qui s’est vautré sur le motif ! Beurk ! »

Que me dirait Jacques Cauda si je lui disais, sans le lui apprendre, que la cauda, en castillan, est la traîne qui suit les évêques espagnols comme un petit chien ou quelque chose de mal digéré ? Que me dirait-il si, toujours sans le lui apprendre, le vinaigre de l’éponge n’en était pas, que c’était de la posca, boisson (vinaigrée) conçue pour désoiffer et non pour torturer la langue ? « Je m’en fous ! Je suis libre ! Je bande ! »

En cette réponse probable, un hommage à Depardieu, celui qui désigne clairement la sexualisation de la fifille. C’est qu’ici, en ce texte, on est à la limite de la graphomanie doublée d’érotomanie. Maladie dont la « mère truie » inflige à l’enfant (et à l’enfance) le diagnostic indiscutable alors que le Bien est ailleurs, en la langue, ombre de la bite et pourvoyeuse, non de prépuces, mais de sperme. Conversation des attablés, des assis, des couchés.

Non pas un sperme baume à tout faire (factotum) mais, au contraire de la paresse une formidable énergie qui associe le corps non à l’esprit mais à ce que la langue collectionne comme autant de prépuces. Ce doigt ganté de velours épineux comme la couronne ne cesse de plonger dans la matière encore vivante, quoique passablement décomposée, de cette enfance qui n’a proposé que le seul choix possible : soit tu es fou (Va donc te faire soigner ! mais où queue veux-tu maman truie ?) — soit tu n’es qu’une merde et sur cette merde tu bâtiras ta réglisse (elle voulait dire bâton).

Rarement on voit de visu enfance s’éloigner aussi loin de ses géniteurs ainsi dépossédés, car le Diable sans doute était en eux. Il le faut bien si tout s’explique. Ensuite, et c’est en toute logique, ce n’est pas le hasard qui s’en mêle, mais l’intrus (en la personne autant de la professeure de langue que du voisinage savant), on ne s’éloigne guère de chez soi, — l’œil, déjà, scrute alentour et y trouve, en vrai troubadour, pas en trouvère émasculant le trobar clus, toutes les origines de tant de sens (les cinq associés aux cinq ersatz : l’alcool, la drogue, la bouffe, le panard et le jazz).

En cette ballade rondement menée, trottant ses rues et ses ruts, Jacques Cauda réduit encore la distance, inévitable pour excuse de folie ou de merde, qui le sépare encore et toujours du public qui ne serait pas le sien. Ça va vite ! De la langue du conteur à celle du poète, cette distance aussi qui rappelle, si besoin est, que nous sommes tous semblables, quel que soit le jugement que nous portons sur l’enfant situé au seuil de l’âge d’homme, qu’il soit con ou salaud déjà, et même quelquefois beaucoup mieux.

Ça va vite et ça vous rappelle forcément quelque chose. Pas seulement parce que vous êtes passé par-là, par ces lectures, revues, voisinages savants, corps donnés et repris, et cette rencontre somme toute surréaliste entre la puanteur du poisson (on l’imagine entrevu dans le pli d’un journal) avec les miasmes d’un vagin exposé pour être peint après avoir été nommé « lèvres »… « Entre l’Idée et l’Acte… le Royaume… »

La question n’est plus « Qu’est-ce que je fous là ? » mais « Je sais où je vais ! » (hé oui, c’en est une, de question). Entre cette enfance privée d’adolescence et cette vie d’adulte vouée à la vieillesse, sans doute le texte y est-il né, l’espace d’une fraction de ce temps qui n’est fait que d’infimes instants. Liberté. Aliénation en effet non. Œuvre. Catalogue d’une figuration qui connaît ses mots, ceux qui ont été et seront toujours soufflés comme des bougies.

Au Dictionnaire historique, philosophique, linguistique, poétique, et tique tique, Jacques Cauda ajoute ses mots, ses lèvres et celles des autre.es. Il s’additionne étonnamment connaisseur de Sade, de Rimbaud, de Joyce, de Bataille, de Céline… et de Jacques Cauda qui écrit sous le pseudonyme de Christian de Saint-Germain (si j’ai mal compris). On mesure ici l’effroyable situation dans laquelle peuvent bien crever l’Académie et la Presse (déjà péremptoirement attaquée et liquidée par Jean Ricardou en son théâtre des métamorphoses).

Bon sang mais où va-t-on (pour répondre à la question dite plus haut) ? C’est une joie sans larmes, cet ouvrage contre les audiences génitrices. Comme ça va et vient du mot à la couleur et de la couleur au sang. Le cerveau bande bien, mieux que la brute de Baudelaire. Comme je le disais : de ce qui se raconte à ce qui se dit. Leçon de liberté pas vraiment. Est moral ce qui me procure du plaisir et immoral ce qui ne m’en procure aucun (Hemingway, de mémoire). La momie Sollers (autre aristocratique aka) est-elle en mesure de comparer le taureau combattu au phallus con battant ? Chaque fois que Jacques Cauda prend la plume, on n’en finit pas de lire, signe qu’il écrit, qu’il peindrécrit comme il veut. On sent ici à quel point la volonté et la liberté s’entreculent. Infini ! Et pourtant achevé, définitif. Circulaire. Comme la folie ? non. Comme la vie.

On ne fait pas moins vite avec plus de mots. Ça tourne comme une architecture et comme une architecture ça tient debout parce que l’architecte sait de quoi il parle et qu’il ne parle pas de lui-même, mais de nous : les bons comme les mauvais.

*

Ce texte phare à mineur est publié dans la collection [Ricochet], chez Tarmac éditions. À consulter si on veut en savoir plus sur les intentions de l’éditeur qui n’est autre que Jean-Claude Goiri dont la [tête carrée] a en corps traversé la RALM.

Patrick Cintas

 

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Commentaires :

  Merci !! par Goiri

Cher Patrick, Un grand merci pour cette chronique au souffle remarquable !!


 

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