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La belle âge
Ta belle Age s’en va au bras d’un marchand d’aulx
Un marchand de saveurs et d’odeurs provençales
L’oublieuse qu’elle est aura ton monde à dos
Et toi qui chaque jour mettais son linge au sale
Allons goûter ma mie l’ombre des châteaux d’eau
Ma belle Age s’en va au bras d’un violoncelle
On dirait par moments qu’elle joue les divas
Quel foutraque montreur tire sur les ficelles
N’étais-je qu’un racleur à ses yeux de pucelle
Ma belle Age s’en va ma belle Age s’en va
Une impatiente à sa guenille
Du charme dans ses yeux de fille
Ma belle Age s’en va ma belle Age s’en va
Ma belle Age s’en va la tête dans les nues
Ma belle Age s’en va comme elle était venue
Ta belle Age s’en va au bras d’un étranger
Les garçons de la noce à l’envi se disputent
Ses bas sa jarretière et sa fleur d’oranger
N’étais-je qu’un passant à ses doux yeux de pute
Ma mie ni toi ni moi n’y pouvons rien changer
Ma belle Age s’en va au bras d’un limonaire
Dans les rues de Paris où fanent les javas
Et les ardents bouquets que des amants tournèrent
J’entends sur les pavés les pas d’Apollinaire
Ma belle Age s’en va ma belle Age s’en va
Un tournesol à sa guenille
Du mauve sur ses yeux de fille
Ma belle Age s’en va ma belle Age s’en va
Ma belle Age s’en va la tête dans les nues
Ma belle Age s’en va comme elle était venue
Ta belle Age s’en va au bras d’un fusilier
Elle qui n’était pas pour deux sous patriote
Se souvient-elle au moins de nos tours d’écoliers
De nos bonnes ventrées de nèfles de griottes
Nous habitions ma mie sur le même palier
Ma belle Age s’en va au bras des sentinelles
Qui patrouillent parfois dans les bruyants gravats
De mes ressouvenirs où piaillent des tonnelles
Reprenant sans mollir ma vieille ritournelle
Ma belle Age s’en va ma belle Age s’en va
Une cocarde à sa guenille
Des armes dans ses yeux de fille
Ma belle Age s’en va ma belle Age s’en va
Ma belle Age s’en va la tête dans les nues
Ma belle Age s’en va comme elle était venue
Ta belle Age s’en va au bras d’un matelot
Moussaillon savonneux sous mon mât de cocagne
Je trouve le temps long c’est là mon triste lot
Les chiens du régiment aboient mes folles cagnes
J’attends les écumeurs de la plus rebelle eau
Ma belle Age s’en va au bras de la Faucheuse
A travers les blés gourds où jadis tu rêvas
Une barque jalouse à la pointe rocheuse
De notre île secrète atterre ô ma coucheuse
Ma belle Age s’en va ma belle Age s’en va
Un chrysanthème à sa guenille
Du crêpe sur ses yeux de fille
Ma belle Age s’en va ma belle Age s’en va
Ma belle Age s’en va la tête dans les nues
Ma belle Age s’en va comme elle était venue
Ta belle Age s’en va au bras d’un rimailleur
Sa muse de trois nuits avec orgue et délice
Mesure effrontément mes rythmes chamailleurs
En vidant son bissac et sa malle à malices
Qu’elle aille ce bas-bleu montrer sa frime ailleurs
Ma belle Age s’en va au bras d’une garçonne
Pour un bon canevas c’est un bon canevas
Il est minuit passé la Poésie me sonne
Ma plume est déliée je n’y suis pour personne
Ma belle Age s’en va ma belle Age s’en va
Une pensée à sa guenille
Des larmes dans ses yeux de fille
Ma belle Age s’en va ma belle Age s’en va
Ma belle Age s’en va au bras d’une inconnue
Ma belle Age s’en va comme elle était venue
1990