Avec mon art, mes arguments
Cornus, mes railleries aiguës,
Mon air crâne et mes reniements,
J’allais tout droit à la ciguë.
J’ai bu le verjus de Cana,
Bu le bouillon de l’onzième heure,
Bu l’acqua della Toffana,
Fait malgré tout longue demeure.
Je ne reculais devant rien
Pour chanter le saut de Leucade.
J’avais un béguin faubourien,
Un amour fou, une toquade.
Je montais mon Pégase à cru.
Vous avez besoin d’une selle,
Jeunes gens, pour passer vos rus,
Vos ruisselets d’eau de vaisselle.
Que de nettoyeurs de noyaux
Et de poches de résistance,
Et de maquis, et de boyaux,
De planteurs de croix, de potences.
Sans abois pour les arlequins
Qui font les questions de Marfore
Et les réponses de Pasquin,
Où vont mes chiens lanterniphores ?
Flanqué de ces vieux chiens rouvieux,
Je carburais, à l’aube amère,
Au népenthès oblivieux,
Sur les pas trébuchants d’Homère.
Les cheveux courts, les ongles ras,
Tous ces songe-creux sans malice,
De mes proses chassent les rats,
Entortillés dans leur pelisse.
J’effeuillais des pourpris pourprés.
Une faune bêlante broute
L’herbe de Saint-Germain-des-Prés,
Et mes idées sont en déroute.
Si mes vers sont pleins de tourments,
C’est que je suis six pieds sous terre.
En mars encor dans un roman,
J’embarquais pour Anticythère.
Robert VITTON, 2014