Je n’avais plus rien à faire.
« Vous voilà déconnecté du passé. Et vous ne penserez plus jamais à l’avenir. Goutez-moi donc ce présent de la psychiatrie moderne ! »
J’y goûtais.
C’est ce que j’ai fini par appeler poésie.
Pratique de l’instant.
Aussitôt fait, aussitôt dit.
Personne n’écoutait.
Je me voyais.
Ainsi commencent les vocations.
Il faut qu’on vous enferme d’abord.
Personne n’avait jamais pensé à ça.
Et je suis devenu flic.
Sans ce terroriste, jamais je n’en serais venu à écrire des vers.
« Tu oublies Lucienne, non ? » me dit paterson venu m’apporter des friandises. Elsie ne vient pas. Elle ne viendra plus. Oui, oui. On me soigne bien. Je mange bien aussi. Et Lavatory m’offre beaucoup de cigarettes. Je ne lui en veux plus.
Pas de survie de l’espèce sans la mort inéluctable de l’individu. Voilà pourquoi l’éternité est une idée et seulement une idée.
Ah bon ?
« Un projet ? Sans la mer à mes pieds ? Sans le désert à traverser ? Sans un combat l’après-midi ? Vous n’y pensez pas ! Non, pas de projet. Je voudrais que vous me fichiez la paix pour que je puisse profiter de l’instant. J’en veux même à mon sommeil. Il n’y a rien de plus contraire à la tranquillité que le rêve et ses personnages bêtement copiés sur la réalité ! »
Qui n’oublierai-je pas dans ces conditions ?
pas de poésie sans poésie
pas de bonheur sans bonheur
le phénomène se nourrit de lui-même
il n’y a que la vie qui mange autre chose
la mort est la proie du vivant
je ne chantais pas vraiment
je me spacialisais plutôt
campanile personnel tranchant le ciel à la verticale de nos maisons tranquilles
la vie ne se versifie pas
nous ne chantons pas assez pour ça
trop d’idée et pas assez d’art
on ne le dira jamais assez
ou bien de la décoration à la place de l’art
et alors même les idées ne sont plus des idées
des projets ?
ici ?
je ne vais jamais plus loin qu’ici
comment pourrais-je me projeter ailleurs ?
pas de projet sans cet ailleurs qui ne me connaît pas
aussi bien que je le connais.
quelquefois tu reviens
et je t’appelle Elsie
parce que c’est ton nom
tu te souviens ?
qui me connaît mieux que moi-même ? personne.
voilà qui répond à la question de Dieu.
De l’espace ! De l’espace !
Je n’ai rien à faire du temps !
Élever ce temple à moi-même.
quelquefois je te vois
et pourtant tu n’as jamais existé
c’est fou ce qu’on est fou
et je m’en souviens
plaisir de l’invention
il n’y a rien comme une invention
pour faire de l’homme un homme
je ne vais tout de même pas passer ma vie
à désirer ce que je suis sur le point de trouver
clair des fenêtres et noir des tombes
nous connaissons trop bien ce chemin
il faudra bien un jour s’y aventurer
au lieu d’en espérer quelque chose
mais souvent je suis seul
ce n’est pas pour ça que je suis fou
tu sais bien pourquoi
je ne t’ai pas inventée
éclairez le chemin de vos pas
paterson me transmit les vœux de prompt rétablissement de tout le bureau. Il accompagnait ce poème d’un étui contenant un stylo. Il suffisait d’utiliser l’encre prévue par cette marque prestigieuse pour éclairer le chemin. Rien n’était dit de la tangente. Aussi, quand paterson me quitta ce jour-là, je bus l’encre. Et non content de la boire, je la tirai à tous ceux qui voulaient en savoir plus sur ma capacité à me comporter normalement. N’avais-je pas écrit le contraire ?
Tu n’écriras jamais rien d’autre.