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Un été, j’ai voulu voir Petite Plaisance, ta maison de Mount Desert Island, Marguerite Yourcenar, en souvenir de l’OEuvre au noir ; il est, de tout ce que tu as écrit, le livre que je préfère. Tu as vécu là de 1950 à 1987 avec ton amie américaine. Vous travailliez face à face, sur vos machines à écrire identiques posées sur un minuscule bureau, dans un non moins minuscule cabinet. Partout des livres en français, anglais, allemand, espagnol. Tu as souhaité que Petite Plaisance reste en l’état après ta mort. Comme chez Ernest Hemingway, le visiteur s’attend à te voir surgir à tout moment. Tes châles dont tu aimais te couvrir quand le soir fraîchissait sont là, sur le dos des fauteuils. Dans la cuisine, les bocaux à épices, bien alignés sur les étagères, sont tout prêts pour donner plus de saveur aux plats que vous allez préparer, ton amie et toi. Derrière la maison peinte en blanc, une pelouse bordée de massifs avec lupins et digitales, un petit bois bien entretenu, sont traversés d’un sentier qui ondule entre des massifs de fougères. En le suivant, je suis parvenu à une pièce d’eau où tu aimais venir saluer les grenouilles. Au fond, tu as mis en terre trois épagneuls qui furent les compagnons de ta vie. Dans l’OEuvre au noir le héros de l’histoire, Zénon, médecin, philosophe, alchimiste, affirmait : « À force de creuser de nos dents l’écorce des choses, nous finirons bien par trouver la raison secrète des affinités et des désaccords. » J’ai gardé cette phrase en mémoire.